Édition du 26 novembre 2024

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Cinéma

« Pride » : les luttes pluralistes sont révolutionnaires

C’est une union dans une lutte improbable qui s’est nouée entre des mineurs gallois en grève et un groupe de militants LGBT londoniens. « Pride », un film britannique mis en scène par Matthew Warchus (2014) à partir du script de Stephen Beresford, raconte une histoire vraie et pourtant inconnue du grand public. [1]

Nous sommes au printemps 1984 ; la grève des mineurs commence. À Londres, Mark Ashton, un militant gay, est chez lui devant son poste de télévision. À l’écran, Arthur Scargill, le leader du National Union of Miners, s’exclame : « Les mineurs pourront se rappeler avec fierté qu’ils ont eu le privilège de participer à la plus grande lutte sur Terre ! ». Dans la séquence qui suit, on aperçoit Margaret Thatcher qui déclare sur un ton martial qu’elle veut faire plier les mineurs, ceux qu’elle appellera plus tard « l’ennemi de l’intérieur ».

Mark rejoint ses amis qui participent à la marche de la Gay Pride. Il veut les convaincre de soulever des dons pour aider les mineurs en grève. Cette idée est, pour la plupart des gays et lesbiennes, aberrante : pourquoi se battraient-ils en faveur des mineurs ? Un homme originaire du nord de l’Angleterre exprime son opposition catégorique au projet : issu de la classe ouvrière, il garde de sa jeunesse le souvenir d’une communauté minière homophobe, profondément intolérante à l’égard des homosexuels.

« La victoire des mineurs serait une victoire pour tous »

Mark Ashton, originaire d’Irlande du Nord, est le plus politisé d’entre eux. Il est membre du Parti communiste de Grande-Bretagne. Ashton persévère : « Chaque communauté devrait exprimer sa solidarité vis-à-vis d’une autre. Il n’est pas logique de dire : ‘Je suis gay et je me borne à défendre la communauté gay, et je ne m’intéresse à rien d’autre’. » Il poursuit : « Les brutalités des flics de Thatcher à l’encontre des mineurs, nous les avons connues aussi », et conclut : « La victoire des mineurs serait une victoire pour tous ».

Un petit groupe s’engage à collecter de l’argent pour les mineurs. Lorsqu’une somme significative a été rassemblée, une autre question doit être tranchée : à qui remettre le pactole ? Le choix se porte sur une petite ville minière dans la vallée du Dulais, située dans le sud du pays de Galles. La donation sera faite au nom des « Lesbians and Gays Support the Miners ». En décembre 1984, 11.000 livres sterling ont été récoltées, ce qui fait du LGSM le principal soutien financier des mineurs en grève dans l’ensemble du pays.

Les militants LGBT prennent la route dans un minibus déglingué qui parvient en pleine nuit dans un village minier au sud du pays de Galles. L’accueil dans la salle communale des mineurs est franchement hostile. Seules les femmes qui organisent l’intendance pour nourrir des mineurs sans paye depuis des mois, les reçoivent décemment. Elles ne sont pas dénuées d’auto-ironie et d’humour moqueur (« Est-il vrai que les lesbiennes ne mangent pas de viande ? », demande l’une d’entre elles sur un ton navré). Parmi ce groupe de femmes décidées, se trouve Siân James. Elle s’est mariée à un mineur à 16 ans, et à l’âge de 20 ans, elle a déjà deux enfants. Son univers bascule pendant cette année de grève. Ses responsabilités dans le comité de grève et la dureté du conflit la politisent. Elle passera ensuite son bac et fera des études universitaires. En 2005, elle est élue députée de la circonscription de Swansea pour le Parti travailliste. Son travaillisme est résolument de gauche et populaire.

Des luttes pluralistes

Un petit miracle social va se produire : des individus issus de milieux sociaux et culturels jusqu’alors totalement étrangers vont apprendre à se connaître, se respecter et même s’apprécier. Mark et Dai, un délégué syndical, fraternisent. En se serrant la main, ils ont conscience de « donner vie » au symbole qui orne les drapeaux du syndicat minier : la poignée de mains, symbole d’une union qui fait la force, mais cette force est ici pluraliste. Les différences culturelles, sociales et géographiques entre les mineurs et les militants LGBT ne sont pas effacées par un coup de baguette magique. Elles subsistent, mais cette diversité provoque une dynamique positive au sein des deux groupes. Ce pluralisme est bien plus qu’une simple réaction de tolérance : il pose les bases d’une compréhension mutuelle, au-delà des divergences. Il n’y a aucune acculturation forcée : ce pluralisme dans les luttes implique au contraire le maintien de l’identité de chacun, et repose sur le dialogue et l’échange. Cette démarche est potentiellement révolutionnaire car elle décloisonne les combats politiques et syndicaux traditionnels à gauche.

L’humanité est un sens pratique : cela commence par partager des moments de fraternité autour d’un verre, puis les femmes chantent le sublime « Bread and Roses ». Jonathan, l’un des premiers Britanniques à avoir été testé positif du virus du sida, danse de manière effrénée dans la salle communale. Les femmes, hilares et joyeuses, l’entourent et sont bientôt rejointes par quelques hommes. « Je n’en reviens pas, dit Siân, les mineurs gallois ne dansent jamais ; ils ne savent pas bouger les hanches ! »

Ne plus avoir peur d’être soi-même

Le 10 décembre 1984, au plus fort de la grève, les LGSM organisent un concert dans l’Electric Ballroom à Camden (nord de Londres). Sur les affiches et les tee-shirts, une inscription qui provoque : « Pits and Perverts » (des puits et des pervers), qui n’est que la reprise textuelle d’une manchette du quotidien The Sun. Le tabloïd thatchérien et homophobe entendait ridiculiser l’alliance entre le mouvement LGBT et les mineurs. Les intéressés adoptent l’insulte et la retournent avec une ironie mordante contre l’agresseur. C’est la Pride (fierté de soi) ; c’est le fait de ne plus avoir peur d’être soi-même, et de revendiquer de manière positive une cause et des idées minoritaires dans la société.

Jimmy Somerville, le chanteur du groupe Bronski Beat, est venu chanter et apporter son soutien aux mineurs : « Les mineurs vaincront et le socialisme aussi ! », affirme-t-il. Les années 80 furent intensément politisées en Grande-Bretagne, notamment au sein de la jeunesse. La scène rock n’était d’ailleurs pas en retrait, organisant de nombreux concerts contre le racisme, l’extrême droite et Margaret Thatcher. « Power in a Union » (La force dans un syndicat) de Billy Bragg (1986) est alors la chanson politique par excellence. Mais « Smalltown Boy » de Bronski Beat (1984), qui raconte l’histoire d’un jeune homosexuel rejeté par sa famille et victime d’actes homophobes, l’est tout autant.

Au printemps 1985, les mineurs ont repris le chemin des puits. Ils n’ont pas oublié le témoignage de solidarité du groupe LGBT. Des bus quittent le pays de Galles et rejoignent Londres. Les mineurs vont prendre part, en tête de cortège, à la marche de la Gay Pride. La boucle de cette lutte hybride et pluraliste est bouclée. Deux ans plus tard, les syndicats font inscrire la reconnaissance de droits en faveur des LGBT dans le programme du Parti travailliste.

« Pride » est dans la veine de « Brass off » (1996), « Billy Elliot » (2000) ou « Made in Dagenham » (2010) ; celle de comédies sociales britanniques qui mettent en scène la classe ouvrière. Celle-ci n’est ni glorifiée, ni méprisée. Elle est représentée telle qu’elle est, avec ses forces et ses faiblesses. Les luttes pluralistes sont mobilisatrices : dans le cinéma de Londres, les spectateurs autour de moi rient et pleurent. À la fin de la séance, nous applaudissons longuement et nous échangeons quelques sourires.

Note

[1] Le collectif Lesbians and Gays Support the Miners a tourné un film intitulé « All out ! Dancing in Dulais » (1986). Ce document d’archives, qui retrace la lutte des LGSM en soutien des mineurs, est très émouvant. Des gays et lesbiennes, ainsi que des mineurs gallois sont interviewés. Mark Ashton apparaît à deux reprises (à partir de 5’10 et de 12’10). Il décède de la maladie du sida en 1987 à l’âge de 27 ans.

La bande-annonce (en anglais) du film : https://www.youtube.com/watch?v=vsFY0wHpR5o

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