Édition du 23 avril 2024

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Projet de loi 195 sur l’identité québécoise : affirmations identitaires ou combat indépendantiste ?

Mardi 30 octobre 2007

La direction péquiste fait-elle avancer la cause de l’indépendance du Québec avec son projet de loi sur l’identité québécoise ? Son idée de constitution québécoise ouvre-t-elle des perspectives de rupture avec le fédéralisme canadien ? Son projet de citoyenneté québécoise comme un élément de plus ajouté à la citoyenneté canadienne va-t-il attirer populations immigrantes et les groupes ethnoculturels à soutenir plus massivement le projet d’émancipation nationale du peuple québécois ? Poser ces questions, c’est y répondre !

Le projet de loi 196, une constitution croupion mise au point par commission restreinte.

Dans son projet de loi 195, Pauline Marois et le Parti québécois proposent l’adoption d’une Constitution interne (décrite dans le projet de loi 196), qui respecte l’empire de la constitution canadienne, son caractère monarchique et constitutionnel et le rapetissement du Québec. La volonté de souveraineté nationale est passée sous silence, remise aux calendes grecques. On ose prétendre qu’une telle constitution va assurer la prédominance de la langue française alors que l’on sait pertinemment que la Cour suprême continuera à pouvoir estropier la Charte de la langue française. La constitution interne proposée reconduira des institutions parlementaires qui concentrent le pouvoir dans les mains du Premier ministre au mépris de la souveraineté de l’Assemblée nationale. Quelle utilité aurait donc cette constitution qui laisse au fédéral la pouvoir de dépenser comme bon lui semble au Québec et qui s’inscrit dans une logique provincialiste ? Comme l’écrivait Robert Laplante : « … faire l’indépendance, c’est mettre à mort la gestion provinciale et non pas s’en accommoder*.". Mais pour Pauline Marois, Turp et leurs semblables, la lutte pour l’indépendance n’est plus à l’ordre du jour et la perspective de souveraineté est repoussée au loin.

Enfin, pour la direction du PQ, cette constitution ne sera pas le produit d’une assemblée constituante élue, mais celui d’une commission spéciale de 32 personnalités. Pour une constitution croupion, une souveraineté populaire atrophiée semble faire l’affaire. On est loin d’un projet ayant le moindre souffle libérateur !

Les conditions d’une citoyenneté québécoise

Le Parti québécois parle de citoyenneté québécoise et c’est tant mieux. Encore faudrait-il clarifier un certain nombre de points que les péquistes laissent malheureusement dans l’ombre. Notamment le fait qu’une citoyenneté québécoise ne pourra se réaliser pleinement qu’avec la souveraineté du Québec et que la souveraineté québécoise ne pourra se construire qu’en s’opposant à la citoyenneté canadienne.

Au-delà même de la lutte pour l’indépendance, la question essentielle qui est devant le peuple québécois en matière de citoyenneté, c’est la nécessité de faire de la nation québécoise un pole d’attraction pour les nouveaux arrivants alors que ces derniers sont déjà interpellés par le ralliement à la nation canadienne. Essayer de faire abstraction de cette réalité, c’est se placer en porte-à-faux face aux défis réels de l’intégration citoyenne et nationale.

Reconnaître la réalité de l’offensive de l’État fédéral contre le Québec

Soyons clairs, la violente campagne de presse qui a accompagné le dépôt de projet Marois sur l’identité québécoise, est une campagne fédéraliste chauvine visant à nier les droits du Québec. La politique identitaire du clan Marois sert aujourd’hui à masquer l’abandon par le PQ d’une lutte effective pour l’indépendance du Québec. Cette politique véhicule un nationalisme étroit qui a comme effet d’affaiblir encore davantage la lutte souverainiste dans des secteurs entiers de la population québécoise. Les médias fédéralistes cherchent à mousser la méfiance que le projet de loi Marois crée dans la population afin de consolider les bases du projet canadien.

L’intégration des immigrantEs et des minorités ethniques est donc conditionnée en grande partie par la place du Québec dans le Canada et par le projet de construction nationale mis de l’avant par l’État canadien, politique inspirée du multiculturalisme et du bilinguisme institutionnel. Il s’agit rien de moins que de refuser de reconnaître la définition du Québec comme principale communauté politique d’intégration des membres des groupes ethnoculturels. Les populations immigrantes et les communautés culturelles sont doublement piégées par des stratégies de construction nationale opposées et modèles d’intégration concurrents.

Associer toutes les composantes de la société québécoise à un projet national d’indépendance nationale articulée à un projet d’un Québec égalitaire, écologiste et citoyen

Tant que le Québec demeurera dans la Confédération, l’intégration des immigrantEs à la société québécoise se fera contre les politiques et l’argent du gouvernement fédéral, contre son multiculturalisme, contre son bilinguisme et le discours des mass médias qu’il contrôle.

Au Québec, la trop faible intégration des personnes immigrantes et leur marginalisation ont des fondements économiques. Nous devons avancer des mesures concrètes contre les discriminations de toutes sortes vécues par ces secteurs de la population québécoise. Mais nous devons également reconnaître qu’il existe une dimension politique à l’intégration des immigrantEs à la société québécoise et à son projet d’émancipation sociale et nationale. Ces deux dimensions se combinent pour faire de cette intégration un véritable problème social.

Intégrer les groupes ethnoculturels devra d’abord se faire sur le terrain économique, sur le terrain de la lutte contre la discrimination face à l’emploi, sur le terrain de l’égalité des droits et des conditions d’existence concrètes et sur le terrain de la lutte antiraciste. Mais elle devra se faire également sur le terrain politique, celui de notre projet national et social.

Une véritable intégration ne pourra pleinement se réaliser que si le projet d’indépendance du Québec est redéfini comme un projet d’une société égalitaire, démocratique et pluraliste. Une véritable intégration est à ce prix. Tant que la lutte pour l’indépendance sera sous la direction d’un parti politique néolibéral, dont le projet social est de moins en moins intégrateur et de plus en plus soumis aux diktats d’un néolibéralisme prudent, incapable d’opposer un véritable projet libérateur au fédéral, la politique ou les modèles d’intégration resteront en panne.

Et ce n’est pas des poses identitaires et des ultimatums posés à des secteurs les plus vulnérables de la population que nous voulons associer à nos projets qui nous aidera à parvenir à faire du Québec un pôle d’attraction et d’intégration véritable.

Des mesures toutes simples pour faciliter l’intégration

Pour favoriser politiquement et culturellement cette intégration, la lutte pour la défense du français comme langue de travail, d’accueil et de débat citoyen des immigrantes et des immigrants, il faudrait 

  Abaisser de 50 à 25 employéEs le seuil à partir duquel s’applique la Charte portant sur la langue de travail. Nous soutenons fermement cette proposition. 
  Exiger du gouvernement fédéral qu’il se conforme à la Charte de la langue française et qu’il cesse de subventionner les organismes qui cherchent à invalider cette Charte. 
  Renforcer le soutien financier aux médias alternatifs, particulièrement des médias exprimant la voix des personnes immigrantes et des communautés ethnoculturelles ; 
  Exiger la diversification du recrutement du personnel dans les mass médias publics et privés afin de donner une représentation proportionnelle aux membres des groupes ethnoculturels ; 
  Définir clairement une citoyenneté québécoise en stipulant ce qu’est un-e citoyen-ne du Québec : toute personne vivant sur le territoire du Québec depuis deux ans et qui en a fait son lieu de résidence et de vie en accordant une carte de citoyenneté québécoise à toutes les personnes résidant au Québec qui leur donnerait un droit de vote et de présentation aux élections provinciales, municipales et scolaires. Il n’est pas nécessaire d’être citoyen canadien pour devenir citoyen ou citoyenne du Québec.

Et tant que la souveraineté ne sera pas réalisée, l’accession a une double citoyenneté restera un choix. Mais le choix que nous proposons aux personnes immigrantes, c’est le choix d’offrir une citoyenneté plus inclusive, plus large, qui leur permet de s’inscrire plus facilement dans notre projet d’émancipation nationale. Nous n’avons aucune crainte que cette piste démocratique, loin de s’opposer à la perspective indépendantiste, ne pourra que la renforcer.

*(Revoir le cadre stratégique, 2003, in Les grands textes indépendantistes, 1992-2003 chez Typo)

Mots-clés : Québec
Bernard Rioux

Militant socialiste depuis le début des années 70, il a été impliqué dans le processus d’unification de la gauche politique. Il a participé à la fondation du Parti de la démocratie socialiste et à celle de l’Union des Forces progressistes. Militant de Québec solidaire, il participe au collectif de Gauche socialiste où il a été longtemps responsable de son site, lagauche.com (maintenant la gauche.ca). Il est un membre fondateur de Presse-toi à gauche.

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