Édition du 26 mars 2024

Une tribune libre pour la gauche québécoise en marche

Syndicalisme

Quand l’hiver fut venu… et le temps des faibles revenus

« C’est l’hiver ma chérie…tatata… »(air de musique).Effectivement l’hiver est à nos portes avec les flocons de neige, son air vif, les arbres gonflés de frimas et toute la poésie qui s’en dégage. C’est aussi le temps du ski, de la raquette et du patin pour les personnes amatrices de sports.
Ça c’est une vision de l’hiver. Il y en a une autre beaucoup moins euphorique. C’est celle de la pauvreté ; des loyers pas chauffés, des vêtements pas assez chauds et de la faim parce que l’argent a servi à payer autres choses.

« Il y a de plus en plus de gens qui ne mangent pas à leur faim à Montréal. Les demandes d’aide alimentaire ont augmenté de 32 % à Moisson Montréal depuis 2008. Cette augmentation s’explique notamment par un plus grand nombre de familles à faibles revenus qui n’arrivent tout simplement plus.
Chaque mois, environ un million de kilos de denrées alimentaires sont distribués par les 50 bénévoles de l’entrepôt de Moisson Montréal.
Danny Michaud, le directeur général de l’organisme, affirme qu’il y a de plus en plus de gens avec un emploi qui reçoivent cette aide alimentaire.
« Les travailleurs pauvres, les familles, les enfants, on voit une tendance où la pauvreté se déplace tranquillement pas vite, et je trouve ça inquiétant, je trouve ça inquiétant que maintenant, un emploi n’est pas suffisant », a-t-il indiqué. » [1]

Soulignons le : ce sont maintenant les travailleurs et travailleuses au salaire minimum qui ont besoin d’aide. Avec le salaire minimum et le coût de la vie qui augmente : hausse des tarifs d’Hydro, taxe santé, hausse du coût des aliments, il devient de plus en plus difficile d’arriver. Le moindre pépin fragilise le budget. Les banques alimentaires deviennent une voie de secours.

Cette situation est maintenant si reconnue qu’aux États-Unis, un magasin de Wall Mart, le plus grand distributeur mais surtout le plus grand employeur au salaire minimum vient de lancer une campagne de soutien à ses propres employé-e-s :

« This isn’t a merchandise display. It’s a food drive - not for the community, but for needy workers.

"Please Donate Food Items Here, so Associates in Need Can Enjoy Thanksgiving Dinner," read signs affixed to the tablecloths.

Is the food drive proof the retailer pays so little that many employees can’t afford Thanksgiving dinner ?
Norma Mills of Canton, who lives near the store, saw the photo circulating showing the food drive bins, and felt both "outrage" and "anger."
"Then I went through the emotion of compassion for the employees, working for the largest food chain in America, making low wages, and who can’t afford to provide their families with a good Thanksgiving holiday," said Mills, an organizer with Stand Up for Ohio, which is active in foreclosure issues in Canton. "That Walmart would have the audacity to ask low-wage workers to donate food to other low-wage workers — to me, it is a moral outrage." [2]

Au Canada, les magasins WalMart ne vont pas si loin mais préfèrent subventionner les banques alimentaires :

« En partenariat avec Banques alimentaires Canada, Walmart Canada a instauré une collecte de fonds en ligne pour aider les familles qui ont besoin de l’aide des banques alimentaires de partout au pays. Les Canadiens sont invités à donner la valeur de leurs aliments, repas ou produit personnel préféré en se rendant au http://support.foodbankscanada.ca/walmart. Les fonds amassés aideront les banques alimentaires locales à offrir la nourriture et les produits ménagers essentiels aux familles dans le besoin d’un bout à l’autre du pays. La campagne se tiendra du 12 au 30 novembre 2013. » [3]au lieu d’accorder des conditions décentes à leurs employé-e-s. Mais combien d’entre eux et elles doivent recourir aux banques alimentaires pour les fins de mois ?

Pas étonnant que des travailleurs et des travailleuses de certains magasins de Wall Mart aux États-Unis se mettent en grève et exigent :
« The strikes against Walmart, which have been staged in the last several weeks across the country, including at stores in California, Florida and Illinois, are focusing on three issues : ensuring that no associate makes less than $25,000 a year, offering employees more full-time work and "ending illegal retaliation" against employees who speak out against pay and working conditions » [4]

Pas étonnant non plus de constater que c’est tout un mouvement qui est en train de se développer aux États-Unis chez les travailleurs et travailleuses avec de bas revenus.

« Je suis un humain », « les droits des travailleurs sont des droits de l’homme », « nous ne pouvons pas survivre avec 7,25 dollars », « battons-nous pour 15 dollars »… Le message des manifestants est clair : le salaire minimum américain, fixé par l’Etat fédéral à 7,25 dollars de l’heure (5,45 euros) est insuffisant pour vivre dignement, il doit être doublé. Les travailleurs des fast-foods l’ont réclamé lors de trois journées de grèves. Qui traduisent l’émergence d’un mouvement social inédit aux Etats-Unis, en cours depuis huit mois. La troisième journée d’action, fin juillet, a ainsi mobilisé des milliers de salariés dans sept villes.

Tout a commencé à New York, à l’automne. « Nous discutions des problèmes économiques que rencontraient les habitants de quartiers populaires, et ils se plaignaient de salaires insuffisants dans les fast-foods, les seuls emplois disponibles. Certains disaient vivre dans des foyers pour sans-abri, d’autres dans leur voiture », raconte Jonathan Westin, militant à la tête de New York Communities for Change. Ces révoltés des fast-foods se sont inspirés de la campagne menée depuis 2011 par les travailleurs de Walmart pour de meilleures conditions de travail, et ont lancé en novembre une journée de grève. « La première jamais organisée dans les fast-foods », estime Westin. Les revendications ? Un salaire décent. Et la défense des droits des travailleurs dans un secteur où la culture syndicale est inexistante, entre autres à cause d’un turnover très élevé. » [5]

Ce secteur du commerce et de la restauration aux États-Unis et au Canada ne bénéficie pas de salaire et de conditions de travail décents. Le faible taux de syndicalisation explique en partie l’état de la situation. En 2007, Human Right Watch n’ a recensé aucun groupe syndiqué chez Wall Mart.
« Il ne reste plus de magasin Walmart au Canada qui compte des employés syndiqués » [6]

« Car les bas prix s’obtiennent par une minimisation optimale des coûts (sur les produits et sur la main-d’œuvre). Le groupe est donc connu pour les très bas salaires de ses employés et pour ses positions très antisyndicales.
Durant 40 ans d’existence, aucun magasin du groupe n’a compté de représentation syndicale à l’exception d’un groupe de bouchers aux États-Unis qui réussirent à se syndiquer mais leur département a alors été remplacé par la viande préemballée.

Le 1er mai 2007, Human Rights Watch a publié un rapport sur la répression des droits des salariés et du syndicalisme dans l’entreprise. Les directeurs sont formés pour et tenus de combattre toute implantation syndicale ou toute action revendicative y compris légale, ce qui, du fait des lois américaines offrant de très faibles protections aux salariés, conduit à ce que les salariés ont été incapables de mener des actions collectives pour faire valoir leurs droits, en matière de salaires, d’heures de travail ou de lutte contre la discrimination sexuelle » [7]
« Un autre aspect contesté est la précarité supposée de l’emploi dans cette entreprise. Un mot dérivé, McJob, est utilisé par les jeunes pour parler des emplois les plus difficiles et mal payés. McDonald’s a attaqué en justice un dictionnaire voulant inclure ce terme » [8]McDonald’s

Ces géants du commerce et du fast food sont loin d’une marge de crédit déficitaire. Ils font des surprofits en exploitant les travailleurs et les travailleuses et en leur refusant le droit de s’organiser.
« Que pèse Walmart ?
· Walmart, la plus grande entreprise de vente au détail au monde, devrait atteindre 500 milliards de dollars de chiffre d’affaires d’ici 2014
· En tant que le plus important détaillant d’épicerie aux États-Unis, Walmart réalise 50 % de son chiffre d’affaires dans l’épicerie
· Quatre des dix Américains les plus riches appartiennent à la famille Walton, actionnaire majoritaire de Walmart
· Les Américains dépensent plus de 36 millions de dollars par heure dans les magasins Walmart
· En 2008, Walmart a réalisé un bénéfice de 40 000 $ par minute sur ses ventes mondiales » [9]

« En 2012, avec un chiffre d’affaires s’élevant à 469 milliards de dollars et 17 milliards de dollars de bénéfices, Walmart est la deuxième entreprise mondiale en termes de chiffre d’affaires derrière Shell et la 1re entreprise dans la grande distribution. Avec 2,1 millions de salariés travaillant dans plus de 6 100 supermarchés et hypermarchés (mais aussi dans les filiales), le groupe peut revendiquer le titre de plus grosse entreprise du monde. C’est le premier employeur privé aux États-Unis avec 1,2 million de salariés, appelés « associés », mais aussi celui du Mexique sous l’enseigne Walmex. » [10]« Les revenus de McDonald’s ont augmenté de 5,5 % au cours des deux années se terminant en 2007 à 21,6 milliards de dollars accompagnés d’une croissance des bénéfices de 36,2 % du revenu d’exploitation à 3,5 milliards de dollars » [11] Et ces géants multinationaux ont aussi les moyens de se défendre contre la syndicalisation :

« La multimilliardaire Walmart se paie les services de la firme d’avocats Heenan Blaikie, dans laquelle œuvrent, entre autres, Jean Chrétien et Pierre-Marc Johnson, la même firme qu’a engagée McDonald’s pour briser la syndicalisation de leurs restaurants. » [12]

« Par le biais de tactiques antisyndicales qui sont en grande partie conformes au droit américain, Wal-Mart commence souvent par créer un environnement hostile à la syndicalisation dès le moment où les employés et les directeurs sont embauchés. L’entreprise utilise des séances de formation, des vidéos, et d’autres moyens pour endoctriner ses employés avec l’idée selon laquelle les syndicats sont mauvais pour eux et mauvais pour l’entreprise. Wal-Mart donne aux responsables de magasins des instructions explicites sur la façon d’empêcher la constitution de syndicats, dont beaucoup sont contenues dans la « Boîte à outils du directeur » de l’entreprise, un guide destiné aux directeurs de magasins et qui se présente comme « la façon de rester sans syndicat dans l’éventualité où des syndicalistes choisissent votre magasin comme prochaine cible. »

Les directeurs de magasins doivent appeler le numéro d’urgence de Wal-Mart pour les problèmes syndicaux lorsque les employés ignorent les mises en garde de l’entreprise et essaient de se constituer en syndicat. Par le biais de ce numéro d’urgence, les directeurs signalent l’activité syndicale au siège de l’entreprise et ils reçoivent des conseils de la part d’avocats et de spécialistes des relations de travail sur la façon de faire échouer les tentatives de syndicalisation. Chaque appel est résumé et rentré dans une base de données centralisées appelée communément « Remedy System » (« Méthode thérapeutique ») qui permet à Wal-Mart de suivre l’activité syndicale dans tous les magasins du pays.

Nous avons constaté que Wal-Mart riposte généralement en quelques jours à la syndicalisation des employés en envoyant depuis le siège de l’entreprise des membres de son Equipe des relations de travail, une équipe spécialisée capable de se déployer rapidement et qui s’efforce de réprimer les efforts naissants de syndicalisation. Les membres de l’Equipe des relations de travail et les directeurs de magasin tiennent des réunions en petits groupes et en groupes plus larges, auxquelles les employés sont fortement incités à assister et au cours desquelles les employés sont mis en garde sur les conséquences néfastes de la constitution d’un syndicat. Du fait des tactiques employées par Wal-Mart, les syndicalistes et sympathisants du syndicat se voient refuser la possibilité réelle de répondre aux craintes des travailleurs. Dans la plupart des cas, les travailleurs et les responsables de magasins n’entendent que la version de Wal-Mart, renforcée par le déséquilibre inhérent à la relation de travail. » [13]

Aux États-Unis, malgré tout cela, des gens mènent présentement des luttes pour reconquérir leur dignité. Au Québec, une première convention collective vient d’être signée chez les détaillants syndiqués Couche Tard. Mais le cher directeur, pour contrer la généralisation de la syndicalisation, selon la rumeur, accorderait à tous ses employé-e-s, les mêmes conditions.

La pauvreté revêt donc un visage nouveau : celui du travail au salaire minimum. La seule possibilité d’enrayer cette misère c’est de syndiquer ce secteur du commerce et de la restauration. Et en finir de considérer ces emplois comme des emplois d’étudiants. L’hiver sera toujours froid pour les gens pauvres.

Chloé Matte Gagné

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