Édition du 16 avril 2024

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Europe

Refuser le traité transatlantique

Il y en a qui n’ont pas encore compris le sens qu’avait eu l’élargissement de l’Union européenne en 2004 de 15 à 25 puis à 26, 27, 28… A défaut ne restent plus que des « coopérations renforcées »… sorte de sous Europe à la carte.

Publié le 19 mai 2013

(tiré du blogue de Gérard Filoche)

L’arrivée de 10 états avait bouleversé toute la donne, les règles communautaires avaient sauté et avec elles l’impossibilité d’en rétablir, sauf à l’unanimité.

A l’époque les libéraux et quelques autres avaient accusé ceux qui s’y opposaient d’être des « frileux », non internationalistes, anti européens, qui « préféraient la Bourgogne à la Pologne ». Depuis, des millions de citoyens européens ont compris que la précipitation en faveur de l’élargissement sans règle et sans démocratie, était une forme de coup d’état des libéraux. L’Europe ex de la CCE, ex du traité de Rome, était livrée aux marchés aveugles et rapaces, sans garde fou, sans frein, sans contrôle.

Ils vont se réveiller bientôt encore plus choqués quand elle va être élargie d’un seul coup à 50 états de plus. La Turquie n’en sera pas, parait il « pour des raisons géographiques »…mais les USA, oui !

Le Parlement européen et les Etats membres vont être consultés pour approuver un « mandat de discussions » et aux Etats-Unis, le Congrès doit aussi être consulté sur la question. « Tout doit être sur la table, y compris les questions difficiles, sans exception » déclare le Premier ministre britannique David Cameron. « Il y a une véritable chance que le processus soit lancé à temps pour le sommet du G8 (le17 et 18 juin 2013 en Irlande du Nord ). Les cinq prochaines semaines sont donc cruciales ».

Les négociations vont donc commencer entre les Etats-Unis et l’Union européenne pour parvenir à un accord de libre-échange qui organiserait la plus grande zone de libre-échange du monde.

C’est la fin de ce qui reste d’un projet européen, politique, économique, démocratique, citoyen et le début d’une déréglementation mondiale sans précédent.

Les Etats-Unis et l’Union européenne ne sont pas sur un pied d’égalité. Les Etats-Unis n’hésitent pas à aider massivement leurs entreprises avec des fonds publics, aussi bien leurs entreprises industrielles que le secteur des services ou l’agriculture. Les articles 107 à 109 du traité de Lisbonne (traité sur le Fonctionnement de l’Union Européenne) interdisent les aides des Etats aux entreprises pour que soit assurée la « concurrence libre et non faussée ». Alors que l’Union européenne soutient la libération à marche forcée des marchés publics, les Etats-Unis réservent 25 % de ces marchés aux PME états-uniennes.

Cet accord signerait la fin des industries qui ont, jusqu’à aujourd’hui, réussir à survivre en France.

Un traité de libre-échange entre les deux zones se fera donc inéluctablement au détriment des salariés européens qui verront leurs conditions de salaires et de travail s’aligner sur les salariés les moins bien lotis des Etats-Unis et du Canada, mais aussi sur les salariés du Mexique puisque les Etats Unis, le Canada et le Mexique sont liés par un traité de libre échange, l’Alena.

Les salariés des Etats-Unis, du Canada, du Mexique, de leur côté, seront confrontés aux conditions de salaire et de travail des salariés roumains, bulgares ou polonais.

C’est le nivellement vers le bas assuré.

Il suffit d’observer les effets de l’Alena ou de l’élargissement de l’Union européenne des 15 aux pays d’Europe centrale et orientale. La tâche d’homogénéiser les salaires et les législations sociales avait été laissée au marché « libre et non faussé ». Il n’est malheureusement pas très difficile de constater que, dans de telles conditions, l’ « harmonisation par le haut en matière de normes sociales » était un leurre dangereux. Les seuls à trouver leur compte dans le « traité transatlantique » seront les actionnaires des grandes firmes transnationales.

La préservation de l’ « exception culturelle » ne peut servir de prétexte à l’adoption d’un tel traité. Il faut immédiatement suspendre les négociations visant à la mise en place de cet accord de libre-échange transatlantique.

On arrive à cet autre débat burlesque entre des dirigeants du PS : faut il s’y opposer ou faut il y mettre des conditions.

« Impossible de s’y opposer dit l’un, car entre la Chine et les Etats Unis, au XXIe siècle il faudra forcément choisir, il sera impossible de rester neutres ! » Ceux là n’ont rien retenu de Jean Jaurès, sauf que sachant que « le capitalisme engendre la guerre comme la nuée porte l’orage », ils s’apprêtent déjà à votre les crédits de guerre. Et, à défaut, en attendant, à acheter les « drones » US plutôt que d’en fabriquer chez EADS.

« Il faut y mettre des conditions » dit l’autre, qui en énumère 24 parmi lesquels il commence à dire que seules 4 sont importantes puis finit par n’en plus citer que 2 : « l’exception culturelle » et « la protection des industries de la défense ».

On peut se souvenir que chaque fois que ce « jeu » des conditions est mis en avant, c’est la capitulation qui s’annonce : la direction du PS n’avait elle pas mis des « conditions » à l’élargissement de 2004 dont aucune n’a survécu ? L’Europe des 15 avait une durée maximum du travail hebdomadaire limitée à 48 h que l’Europe des 27 n’a toujours pas reprise.

N’avait elle pas mis des « conditions » au TCE… dont aucune n’a été respectée. N’a telle pas mis la « condition » d’un « pacte de croissance » à la signature du dernier « traité » (TSCG) alors que tout le monde sait, en dépit, des proclamations répétées, qu’elle n’a pas été davantage respectée ? Et on l’imagine mal mettre des « conditions » bancaires au delà de l’atlantique, ni en matière d’industries de défense, ni d’industries tout court. Ne parlons pas de politique agricole, c’est Monsanto qui gagnera. Ne parlons donc pas non plus de cinéma, encore moins d’enseignement, l’actuelle ministre des universités, livre déjà nos cours à l’anglais.

Des difficultés de l’exception culturelle :

Quand on sait déjà que sur 27 pays de l’actuelle UE, il est impossible (et même interdit par le traite de Lisbonne) de trouver une harmonisation fiscale et sociale, quand on sait que les « petits pas » de l’union bancaire, de la taxe sur les transactions financières, divisent les états de l’Union, on imagine ce que ce sera avec 27 + 50 états !

Treize ministres de la culture européens ont cosigné une « lettre » d’Aurélie Filippetti, pour que le secteur audiovisuel soit exclu de l’accord de libre-échange entre les Etats-Unis et l’UE. Le texte, signé par les représentants allemand, autrichien, belge, bulgare, chypriote, espagnol, hongrois, italien, polonais, portugais, roumain, slovaque et slovène a été adressé courageusement et précipitamment à la présidence irlandaise de l’Union européenne et à la Commission européenne. Treize pays sur 27 sont donc signataires. Cela fera demain 13 pays sur 77.

Des difficultés de l’union bancaire

De la même façon que les Européens se sont divisés sur l’implication des déposants au-delà de 100 000 euros dans le renflouement des banques en difficultés. Les ministres des finances des Vingt-Sept appelés à se prononcer sur la hiérarchie des créanciers sollicités en cas de faillite bancaire ; en ont été incapables alors qu’il s’agit d’un aspect important de la future directive sur la résolution des crises bancaires, l’un des piliers de « l’union bancaire » que les Européens sont en train de mettre sur pied. Préférence ou traitement égal des créanciers ? Séparation ou pas des banques dites « universelles » entre banques de dépôts et banques de spéculations ?

Le commissaire chargé du marché intérieur et des services financiers, Michel Barnier, s’est dit « convaincu des mérites d’un système accordant aux déposants un rang privilégié ». Ceux-ci « ne seraient donc mis à contribution qu’après tous les autres créanciers ». Cette « préférence » pour les déposants, réduisant leur exposition en cas de faillite, est aussi défendue par la BCE, l’Autriche, la Belgique et le Portugal.

A l’inverse, l’Allemagne, le Danemark et les Pays-Bas souhaitent un traitement égal entre les déposants non assurés (au-dessus de 100 00 euros) et les créanciers seniors. Ca reviendra sur la table lors de la prochaine réunion des ministres des finances le 21 juin à Luxembourg.

Des difficultés de la lutte contre la fraude fiscale :

Les ministres des finances ont aussi échoué sur le sujet de la lutte contre la fraude fiscale. Le but était d’obtenir l’unanimité des ministres sur la révision d’une directive européenne, dite sur la fiscalité de l’épargne, prévoyant l’échange automatique d’informations sur les intérêts versés à des personnes physiques non résidentes. La Commission souhaite la renforcer et en étendre le champ d’application, notamment à l’assurance-vie.

La levée du secret bancaire n’est pas encore acceptée par tous, et le Luxembourg comme l’Autriche ont bloqué jusqu’ici l’adoption de la directive révisée. Bruxelles dit vouloir s’attaquer aux sociétés-écran qui dissimulent le réel bénéficiaire des fonds soustraits au fisc. L’Autriche « reste en travers de la route ». Les discussions sont renvoyées au sommet européen

Des difficultés de la taxe sur les transactions financières :

Cette taxe, inspirée de travaux de l’économiste américain James Tobin publiés dans les années 1970, a une portée symbolique après 5 ans de crise née sur les marchés puisqu’il s’agir de mettre à contribution des banques remises à flot par… l’argent public.

Elle est censée coûter 0,1% des actions et obligations et 0,01 % du montant du produit dérivé échangé en 2014. La Commission européenne a présenté ce projet de taxe sur les transactions financières qui s’applique seulement à 11 pays de l’Union européenne : l’Allemagne, la France, l’Italie, l’Espagne, l’Autriche, le Portugal, la Belgique, l’Estonie, la Grèce, la Slovaquie et la Slovénie. Cette « TTF » pourrait ramener jusqu’à 30/35 milliards d’euros par an. Mais il reste à préciser quel est le périmètre de prélèvement de cette taxe selon le lieu d’émission, et ou ira l’argent ? La Commission estime que cela vise 85 % des transactions des institutions financières. Il reste que « tout citoyen achetant, par exemple, 10.000 euros d’actions paiera aussi une taxe de 10 euros sur la transaction ». Les fonds de pension seront également concernés par la TTF mais pour un coût « extrêmement limité » si le volume de leurs transactions en actions reste faible. Les financiers menacent déjà d’exode massif. On devine les batailles qui restent à mener enter les « 11 » sans parler des 27, pour que cette taxe soit vraiment en œuvre quel que soit le lieu d’émission des transactions.

Même si les pays du G20 ont déclaré en 2010 à Toronto, au Canada, que le « secteur financier devait contribuer de manière substantielle et équitable à la prise en charge du fardeau lié aux interventions des gouvernements » est accepté par les pays du G20, cela reste lettre morte ! On imagine la difficulté de se mettre d’accord à 77 quand on ne parvient pas à 27 à se mettre d’accord au delà de 11 membres.

Quand tout sera paralysé ainsi, l’UE plus que jamais sera un libre marché, ouvert aux loups, fermés aux citoyens.

Gérard Filoche, lundi 20 mai 2013

http://www.sinemensuel.com/filoche-seme-son-blog/refuser-le-traite-transatlantique/

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