Édition du 16 avril 2024

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Reprise des actions de protestation : Pourquoi le hirak préfère attendre

Entre Covid et urgences citoyennes, le cœur du hirak balance. Sur les réseaux sociaux, la question de la reprise ou non des marches fait débat (de façon tout à fait informelle), tandis que des manifestations sont organisées ça et là, comme on l’a vu à Tigzirt, à Béjaïa et dans d’autres villes.

Tiré de El Watan.

Alors que la levée du confinement se précise et qu’un déconfinement progressif est engagé à des degrés divers à travers le pays, que la vie reprend peu à peu ses droits et que nos villes se raniment, d’aucuns s’interrogent si le moment ne serait pas venu aussi de « déconfiner » le hirak.

Pour rappel, le mouvement de contestation populaire observe une trêve sanitaire depuis trois mois. La dernière manif’ enregistrée remonte exactement au 13 mars 2020, coïncidant avec le 56e vendredi du hirak populaire.

Et force est de constater qu’il y a comme de l’impatience dans l’air, une volonté sourde d’en découdre et de hâter le come-back du hirak.

Ce sentiment d’urgence se trouve naturellement attisé par la multiplication des arrestations et des convocations judiciaires en plein confinement, et l’absence de tout geste d’apaisement, ce qui conforte l’idée que le régime profite de la crise du coronavirus pour régler leurs comptes aux opposants, en particulier les figures et les activistes du mouvement issu de l’insurrection pacifique du 22 février 2019.

Esprit « Hirako-responsable »

Ainsi, entre Covid et urgences citoyennes, le cœur du hirak balance. Sur les réseaux sociaux, la question de la reprise ou non des marches fait débat (de façon tout à fait informelle), tandis que des manifestations sont organisées ça et là, comme on l’a vu à Tigzirt, à Béjaïa et dans d’autres villes.

Face au climat répressif ambiant et les velléités d’un glissement inexorable vers le bon vieux statu quo mortifère et à la « routine autoritaire », de nombreux hirakistes considèrent qu’il est grand temps de réoccuper la rue et de réengager un bras de fer avec le pouvoir politico-sécuritaire pour l’obliger à lâcher du lest.

Cependant, un large secteur de l’opinion hirakienne estime qu’il faut temporiser et ne pas tomber dans la précipitation, surtout que la pandémie est loin d’avoir été enrayée, et que le risque sanitaire est objectivement persistant.

Les sages du mouvement en appellent à ce même esprit « hirako-responsable » qui a présidé à la suspension des manifs en mars dernier et à se donner le temps de préparer le retour à la contestation dans l’espace public.

« Le retour non concerté d’un demi-hirak (sans l’adhésion massive de la population et de la majorité des activistes ) avant la levée de la trêve sanitaire décrétée par le hirak, est un cadeau offert au régime pour arrêter le maximum d’activistes en vue d’affaiblir le mouvement populaire » fait remarquer Saïd Salhi, vice-président de la LADDH et une des figures les plus respectées au sein du mouvement, dans un post publié, samedi dernier, sur sa page Facebook.

Et d’exhorter les militants à faire preuve d’endurance en ajoutant : « Patience et vigilance, le régime n’attend que ça. Il en profite au maximum. Le hirak a besoin de ses activistes pour revenir plus forts et en rangs serrés contre l’arbitraire et pour le changement pacifique du système. Restons solidaires. Halte à la répression, libérez les détenus d’opinion ! »

De son côté, Me Abdelghani Badi, l’avocat engagé qui sillonne les tribunaux et les prisons du pays sans relâche en portant assistance à tous les détenus du hirak, a posté ce message, ce même samedi, sur son compte officiel : « Il peut arriver que tu fasses une halte non pas pour te reposer mais pour examiner sereinement une situation. La perspicacité et la clairvoyance porteront indubitablement leurs fruits.

Nécessité d’éviter l’impulsion qui conduira fatalement à commettre des erreurs que guettent les ennemis du progrès et de la démocratie. »

« La santé du citoyen avant tout »

Contacté par nos soins, Me Abdelghani Badi plaide pour le prolongement de la trêve sanitaire en faisant observer que « la vie et la santé du citoyen sont plus importants que tout ». « Et le régime est parfaitement prêt à mettre sur le dos du hirak les échecs de notre système sanitaire », prévient-il.

« On a bien vu comment Mohamed Saïd (Bélaïd Mohand-Oussaïd, porte-parole de la Présidence, ndlr) a accusé le dernier vendredi du hirak (celui du 13 mars) d’avoir causé la propagation du corona. » Référence à une déclaration de Bélaïd Mohand-Oussaïd, faite lors d’une émission de la télévision nationale diffusée le 9 avril.

Le porte-parole de la Présidence a apporté toutefois des clarifications dans un communiqué officiel en précisant que « le terme ‘hirak’ utilisé lors de l’émission ne s’entendait pas à toutes les composantes du hirak, mais il était clair que les propos visaient uniquement les intrus qui incitaient au rassemblement, alors que la situation générale ne permettait pas de tenir de rassemblements qui favorisent la propagation de l’épidémie ».

Me Badi poursuit en soulignant : « Moi, je suis convaincu que le hirak est devenu une nature enracinée dans l’esprit du citoyen algérien dans le fait de réclamer ses droits, et cela est en soi un acquis.

Quant au choix du timing approprié pour le retour du hirak, il faut encore patienter jusqu’à la disparition de tous les cas de contamination au coronavirus, ainsi que la levée du confinement et le retour à la vie normale. »

« Et ce choix n’est pas seulement dicté par le souci de ne pas prêter le flanc aux accusations du pouvoir (de propager l’épidémie, ndlr), mais il est aussi guidé par la volonté de préservation de la santé publique et des vies humaines. La pandémie a emporté des centaines de milliers de personnes de par le monde.

Ce n’est donc pas quelque chose d’anodin », insiste l’avocat hirakiste. Pour lui, « le hirak ne se réduit pas à un phénomène de rue et à sa dimension ‘‘manifestations publiques’’. Le hirak, c’est aussi des idées, des principes, une âme qui habite le citoyen dans sa vie quotidienne ».

Le juriste mentionne un autre aspect : le coût judiciaire des manifs dans ce contexte épidémiologique qui sert parfaitement le pouvoir en place.

« Il y a des textes de loi qui ont été confectionnés spécialement pour être utilisés contre les activistes et ceux qui sortent manifester durant cette conjoncture sanitaire difficile », affirme Me Badi.

« Les lois qui ont été promulguées au mois de Ramadhan dernier prévoient des poursuites contre les personnes qui pourraient sortir, sous couvert de préservation de la santé publique.

Ainsi, même les libertés des gens pourraient être menacées s’ils sortent manifester au nom du hirak dans un tel contexte », déplore-t-il en citant notamment les derniers amendements apportés au code pénal. Et ce traitement judiciaire, relève l’avocat, « met la menace à la santé publique au même niveau que la menace à l’unité nationale et à la sécurité nationale ».

Dès lors, les sanctions prévues en vertu de ces nouvelles dispositions sont sévères.

La « loi n°20-06 du 28 avril 2020 modifiant et complétant l’ordonnance n°66-156 du 8 juin 1966 portant code pénal », dispose : « Est puni d’un emprisonnement de six (6) mois à deux (2) ans et d’une amende de 60 000 DA à 200 000 DA, quiconque, par la violation délibérée et manifeste d’une obligation de prudence ou de sécurité édictée par la loi ou le règlement, expose directement la vie d’autrui ou son intégrité physique à un danger.

La peine est l’emprisonnement de trois (3) ans à cinq (5) ans et l’amende de 300 000 DA à 500 000 DA, si les faits suscités sont commis durant les périodes de confinement sanitaire ou d’une catastrophe naturelle, biologique ou technologique ou de toute autre calamité » (art. 290 bis).

Selon le juriste, « on pourrait alors se retrouver à la fois avec un problème sanitaire et un problème de privation de liberté ».

Et de recommander : « Moi je suis pour l’idée de patienter jusqu’à la résorption de cette épidémie et qu’on ait une stabilité de la situation sanitaire. Notre combat s’inscrit dans la durée et n’est pas conditionné par des péripéties conjoncturelles. »

« Cela risque d’être contre-productif »

Pour sa part, la politologue Louisa Aït Hamadouche insiste sur la nécessité d’un consensus autour de la reprise du hirak et le choix de son timing : « Je trouve que le retour aux manifestations et aux rassemblements doit d’abord être le résultat de débats comparables à ceux qu’on a connus au début du mois de mars (au moment de la suspension du hirak, ndlr), déclare-t-elle d’emblée.

« Ce qui serait utile aujourd’hui, c’est que les réseaux sociaux qui sont l’unique espace d’expression disponible, vu que tous les autres médias sont fermés, redeviennent le lieu de débats contradictoires, argumentés, sur cette question.

A mon avis, c’est le processus qui devrait être suivi pour aboutir à une décision commune, de façon à mettre en avant cette intelligence collective qu’on cite constamment, quand on évoque le hirak », préconise-t-elle.

Livrant son sentiment personnel sur le sujet, Louisa Ait Hamadouche nous dira : « A titre personnel, – et cela n’engage que moi – si le débat aura lieu, je ferais partie de ceux qui considèrent qu’une reprise précipitée des manifestations serait une décision risquée.

Pourquoi ? Parce que tant que l’épidémie continue, les moindres actions à risque vont fatalement multiplier les contaminations, ce qui reviendra à faire porter aux manifestations la responsabilité de nouvelles vagues de contagion ».

S’agissant des marches qui ont eu lieu ces derniers jours dans certaines régions, et qui, tout en exigeant un changement radical du système, étaient surtout motivées par l’exigence de la libération des détenus du hirak, la politologue estime que cette démarche risque d’être « une mauvaise solution pour un vrai problème ».

Elle explique : « Les arrestations, les pressions, les convocations policières sont un réel problème en termes non seulement de légalité mais aussi de respect des droits de l’homme.

Mais le retour aux manifestations publiques n’est certainement pas la solution, parce que 1 : ce retour n’est pas consensuel ; 2 : quand une minorité de personnes se retrouve dans la rue, c’est ce qui facilite la répression.

Et, 3 : cela peut être un argument qui sera utilisé contre les hirakistes, si le taux de contaminations augmente.

Certes, le soutien aux détenus, le fait de condamner les arrestations, c’est une position parfaitement justifiée, mais l’exprimer à travers les manifestations de rue a toutes les chances de se révéler contre-productif. »

Mustapha Benfodil

Journaliste pour El-Watan.

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