La majorité des amendements portaient sur le Bloc I « Économie et transition socioécologique » et sur le Bloc II « Habitation, énergie, ressources naturelles et travail ». Dans les domaines économiques et écologiques, les mesures adoptées restent symboliques ou limitées : la décroissance est réduite aux industries fossiles, et le rôle des PME et du secteur privé est légitimé comme pouvant être l’instrument de la transition socioécologique. Si la discussion a permis de clarifier que le secteur privé ne se limite pas aux PME, mais qu’il comprend également de grandes entreprises engagées dans le capital fossile et dans les industries d’extraction des ressources naturelles, souvent multinationales, aucune politique concrète en direction de ces secteurs n’a été définie. La définition de la décroissance a été limitée aux industries fossiles, évitant toute prise de position explicite sur la décroissance globale. Ainsi, la reconversion des industries militaires en industries productrices de biens utiles (comme des moyens de transport électrifiés), par exemple, n’a pas été discutée. Pourtant, à l’heure où Legault veut relancer cette industrie, une position claire sur sa nécessaire décroissance aurait été indispensable.
Les propositions de nationalisation/socialisation des grands monopoles du secteur de l’énergie, de l’exploitation des ressources forestières ou minières ont toutes été rejetées. Ces propositions ont été présentées comme trop spécifiques, et il a été avancé que ce serait un éventuel gouvernement de Québec solidaire qui pourrait définir les entreprises à nationaliser. Le texte du programme révisé s’est donc contenté de définir des critères. C’est un choix qui empêche de prendre en compte que, tant que les grandes entreprises contrôleront les choix en matière d’énergie et d’exploitation des ressources, la planification démocratique et décentralisée nécessaire à la transition écologique sera entravée. C’est un choix qui reporte dans un avenir indéterminé, après l’accession hypothétique de Québec solidaire au pouvoir, la lutte effective pour la reprise en main de nos ressources naturelles. Les propositions adoptées se contentent de parler de surveillance attentive des entreprises, sans s’interroger sur le pouvoir réel que garderont les grandes entreprises sur l’économie du Québec.
Dans les secteurs sociaux — Bloc III « Santé et services sociaux » — tels que le logement, le travail et l’éducation, des mesures progressistes ont été adoptées. Mais la proposition de réduction du temps de travail à 35 heures, puis à 32 heures, sans baisse de salaire et sans augmentation de l’intensité du travail, qui était reprise de l’ancien programme de Québec solidaire, a été rejetée (jugée trop spécifique). A également disparu, faute d’amendement en ce sens, le soutien à la syndicalisation multipatronale. En ce qui concerne la santé publique et les services sociaux, aucune discussion n’a eu lieu sur la privatisation rampante du système de santé, ni sur la rémunération des médecins. Les débats sur le système de santé sont restés limités à la reconnaissance ou non des médecines traditionnelles.
Dans le Bloc IV, portant sur la fiscalité, les familles, l’éducation et la justice, Québec solidaire a confirmé son refus des politiques d’austérité et adopté une fiscalité orientée vers la réduction de la pauvreté. Les services de la petite enfance ont été élargis et le caractère mixte du réseau scolaire a été maintenu. Des mesures redistributives et progressistes ont été adoptées, mais sans que des propositions concrètes en ce sens ne soient discutées, car elles avaient été d’emblée écartées des débats.
Dans le Bloc V, sur le plan démocratique et culturel, certaines avancées symboliques ont été adoptées : élargissement du droit de vote à 16 ans, protection contre l’usage discriminatoire de la laïcité, régularisation des sans-papiers et promotion de l’inclusion.
Le Bloc VI « Indépendance et altermondialisme » illustre des reculs dont l’importance reste à évaluer. L’abandon de l’élection au suffrage universel de l’Assemblée constituante affaiblit considérablement la stratégie indépendantiste de Québec solidaire. Le débat portait sur le tirage au sort, l’élection au suffrage universel ou le fait de ne pas se prononcer sur le mode de constitution de l’Assemblée constituante. C’est cette dernière proposition qui a été retenue, avec le soutien du porte-parole masculin, Sol Zanetti. Cette position a été, comme les autres, adoptée à la va-vite. Il s’agissait pourtant d’un abandon de la position traditionnelle de Québec solidaire.
L’élection d’une assemblée est essentielle à une réelle expression de la souveraineté populaire.
Cette élection permet de définir le peuple québécois comme le seul détenteur du pouvoir constituant, capable de définir ses institutions, ses droits fondamentaux et son mode de gouvernement. Elle permet à chaque Québécoise et Québécois de participer directement à la fondation de son pays. L’élection d’une assemblée constituante ouvre toute une période où les mouvements sociaux, syndicaux, féministes, écologistes et communautaires sont invités à formuler leurs propres propositions constitutionnelles. Cette élection ouvre un vaste débat public sur la société québécoise à construire. Les peuples autochtones, s’ils le souhaitent, peuvent s’impliquer dans ce processus. L’ensemble des citoyennes et citoyens sont invité·es à se prononcer sur les droits sociaux, sur la protection de l’environnement, sur la laïcité, sur la démocratie économique… Cette élection de la constituante et le travail qui s’en suivrait permettraient d’articuler le projet d’indépendance au projet de société défini collectivement, dans une réelle démarche de souveraineté populaire. L’élection n’est pas qu’un simple mécanisme de désignation : c’est un moment d’expression de la souveraineté populaire. Il faut reconnaître qu’une assemblée élue au suffrage universel, ouverte à toutes les forces politiques et validée par un référendum final, comme le proposait le programme de Québec solidaire, aurait une légitimité indiscutable pour parler au nom du peuple québécois lui-même. Le tirage au sort, lui, court-circuite cette politisation, en réduisant la participation citoyenne. Affirmer que la question reste ouverte, et qu’il sera toujours possible de réactualiser cette position, c’est affaiblir la position de Québec solidaire dans le débat actuel.
Le refus du congrès d’indiquer explicitement qu’un Québec indépendant refuserait de participer à l’OTAN et au NORAD constitue un recul par rapport au programme original de Québec solidaire. L’OTAN est une organisation qui « oblige ses membres à dépenser 5 % de leur PIB au détriment des investissements en santé, en éducation, en logement social et dans la lutte contre les changements climatiques ». À l’heure d’une reprise de la course aux armements, sous l’impulsion de l’OTAN, cette position nous désolidarise de celles et ceux qui mènent chaque jour un combat contre le militarisme.
Le Bloc VII, portant sur le féminisme, les identités sexuelles et de genre, et les peuples autochtones, n’a pas donné lieu à des débats, car, contrairement aux autres, le seul amendement significatif concernait la reconnaissance de l’écoféminisme. Le texte réactualisé a donc été adopté avec un minimum de débats.
Le Bloc VIII, sur l’immigration, l’inclusion et la langue française, a permis l’adoption de mesures favorisant l’inclusion et l’égalité des droits. L’obligation stricte « pour toute personne vivant au Québec de maîtriser suffisamment le français pour en faire sa langue d’usage dans la vie courante comme au travail » a été biffée du texte du programme actualisé. La régularisation des sans-papiers et l’égalité de traitement pour toustes les résident·es ont été adoptées. La tendance qui se dégage est clairement progressiste et inclusive, évitant toute forme de discrimination ou de traitement différencié.
En résumé, le programme se distingue par son caractère idéologique, son absence d’objectifs politiques concrets et sa faiblesse critique à l’égard du pouvoir économique de la classe dominante. Les luttes syndicales, populaires, écologiques, féministes et décoloniales ne sont pas présentées comme le principal moteur du changement. En fait, le programme est réduit, dans l’ensemble, à de futures orientations politiques et sociales d’un éventuel gouvernement de Québec solidaire. Les transformations sociales y sont ainsi présentées comme s’effectuant à partir des sommets de la société. Cela découle du choix d’avoir écarté l’idée de faire du programme une boussole pour les luttes de rupture sociale et écologique, pourtant si nécessaires dans le moment actuel.
L’organisation de la discussion a su imposer l’idée que la « lisibilité » du programme devait primer sur la cohérence politique, et que les débats de fond sur la stratégie de rupture pouvaient être ajournés au nom de la définition d’un projet de société sans propositions spécifiques claires.
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