Par Pierre Jasmin (artiste pour la paix)
Sa première mondiale a eu lieu au prestigieux Festival de Tribeca (New York) et sa première européenne au 57e Festival international du film de Karlovy Vary (République tchèque). La carrière de ce tout premier long métrage de Pier-Philippe Chevigny se poursuivra cet automne, puisqu’il est sélectionné dans de prestigieux festivals tant au Canada (Vancouver, Calgary, Sudbury, Halifax) qu’à l’international (notamment Namur et Antalya).
Présente tout au long des quatre-vingt-dix minutes intenses de l’œuvre, l’actrice Ariane Castellanos porte tragiquement, avec son destin à la Bertolt Brecht, la difficile humanité de celle qui, suite à un divorce douloureux, a accepté pour payer les traites de son appartement de travailler pour une entreprise agricole. Elle tente d’y maintenir une distance entre d’une part le contremaître québécois joué avec intensité remarquable par Marc-André Grondin soumis à des pressions économiques insoutenables d’un patron français, et d’autre part les travailleurs, à qui elle a pour tâche officielle de traduire les exigences excessives qui s’accumulent, jusqu’à l’endossement d’illégales intrusions dans leur vie privée avec des caméras de surveillance, point sur lequel se rompt sa docilité d’employée.
Ces travailleurs immigrés guatémaltèques n’ayant à cause de la barrière de la langue personne d’autre à qui confier leurs états d’âme (et de corps, vu les maladies qui les affectent causées par un travail éreintant et les heures supplémentaires ajoutées impitoyablement), Ariane (car c’est aussi le prénom du personnage) va, d’abord à son corps défendant, peu à peu s’inspirer de celle qui vainc le minotaure du capitalisme, Pasiphaé « la lumineuse pour tous ». Elle peut heureusement compter sur le soutien moral de sa mère logeant au bord du Richelieu, jouée par la si humaine comédienne Micheline Bernard.
Avec les nuances indispensables et grâce à des informations sensibles (les travailleurs doivent signer un onéreux contrat syndical, même si leur contrat d’emploi initial leur refuse tout recours syndical !), le jeune réalisateur Pier-Philippe Chevigny a su magistralement éviter les nombreux écueils de manichéisme inhérents à un tel sujet, afin qu’on s’attache à l’intrigue inexorable, sans recours à des émotions artificielles, comme le faisait hélas le si médiocre Oiseaux ivres de 2021i.
Qui est ce réalisateur ? Le jeune cinéaste originaire de la région de Sorel-Tracy remarqué pour ses courts métrages Vétérane (présenté à Clermont-Ferrand et Namur) et Recrue (TIFF, Busan, Tirana) dont Richelieu est le premier long métrage, s’appuyant comme pour ses courts métrages sur un rigoureux processus de recherche documentaire, semble suivre le chemin exigeant de l’artiste anti-nucléaire René Char : « Il n’y a que deux conduites avec la vie : ou on la rêve ou on l’accomplit. L’essentiel est sans cesse menacé par l’insignifiant. »
Si bien servi par la direction photo signée Gabriel Brault Tardif, le scénario implacable ne relâche jamais la tension de l’essentiel, sans fuir vers quelque intrigue secondaire (même en abordant la bureaucratie hospitalière qui aurait été un terrain fertile !), jusqu’à la fin offrant à notre grand soulagement une éclipse d’ouverture lumineuse à laquelle participe l’acteur Nelson Coronado soumis à tant d’épreuves.
Richelieu est distribué au Canada par Funfilm Distribution, tandis que Be For Films assure les ventes internationales. Il est produit grâce à la participation financière de la SODEC, de Téléfilm Canada, du Fonds Harold Greenberg, du Conseil des arts et des lettres du Québec, de la SACD, de la région Bretagne en partenariat avec le CNC, en association avec UniversCiné et en collaboration avec Radio-Canada.
Fondée en 2019 par Geneviève G. Gosselin, Le Foyer Films est une compagnie de cinéma montréalaise dédiée au cinéma d’auteur et à la coproduction internationale. Le Foyer veille à développer des courts et longs métrages qui réfléchissent autant aux thématiques choisies, qu’à la façon de les mettre en forme, en s’intéressant particulièrement aux démarches cinématographiques poétiques et politiques.
1. Hélas préféré par le jury des prix Iris 2021 au film incandescent Bootlegger de Caroline Monet : https://lautjournal.info/20211013/bootlegger-bien-davantage-quun-suspense-passionnant
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