Édition du 23 avril 2024

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Syndicalisme

Salaire hommes-femmes dans le secteur public : deux poids, deux mesures !

Si on travaille dans le réseau de la santé et des services sociaux, où les emplois sot très majoritairement féminins, on gagne beaucoup moins, à travail équivalent, que dans les autres secteurs à prédominance masculine.

On s’en doutait sauf que...

On ne le savait pas officiellement. C’est maintenant établi : tout le monde n’est pas à égalité au plan salarial dans le secteur public québécois. Une toute récente étude de l’Institut de recherche et d’informations socio-économiques (IRIS) le prouve noir sur blanc. Quand on compare entre elles les différentes branches de cette grande famille que forme le secteur public québécois dans son ensemble (voir tableau), il y a nettement un parent pauvre : les services publics, formés par la fonction publique, le réseau de l’éducation et le nôtre, celui de la santé et des services sociaux. La rémunération globale des salarié·e·s des services publics est, en moyenne, de 24% inférieure (voir tableau) à celle de leurs vis-à-vis qui travaillent dans les grandes sociétés d’État comme Hydro-Québec, Loto-Québec et la Société des alcools. La grande raison de cette différence ? La discrimination salariale fondée sur le sexe. Si on gagne moins dans les services publics, c’est notamment parce qu’il s’agit d’un secteur d’emploi majoritairement féminin (à 72% (voir tableau), et même à 81% dans le réseau de la santé et des services sociaux). Voilà un des grands constats de l’étude de l’IRIS.

Pénalisées deux fois plutôt qu’une !

Non seulement les femmes font-elles l’objet d’une discrimination fondée sur le sexe dans les services publics, mais elles se trouvent en plus à travailler dans le seul secteur où les employé·e·s ont connu une diminution de leur niveau de vie depuis le début des années 2000. Durant cette période le niveau de vie des employé·e·s des entreprises publiques, ainsi que des administrations municipales et fédérale, a augmenté en moyenne de 10,7 % par rapport à l’IPC (tableau). Dans le même temps, celui des employé·e·s des services publics a encaissé un recul de 1,2 %. Pareil recul du niveau de vie s’explique par une stratégie continue de répression salariale, exigée par l’État à l’égard des employé·e·s des services publics. On se souviendra du « déficit zéro », de la « réingénierie de l’État », de l’« austérité »… le refrain est archiconnu. Sachant que ces mêmes services publics constituent un secteur d’emploi majoritairement féminin à 72%, à qui a-t-on demandé de se serrer la ceinture, pensez-vous ? Poser la question, c’est y répondre.

La faute des stéréotypes

Elle est loin ‒ heureusement ‒ l’époque où l’homme était l’unique pourvoyeur et la femme, seule responsable des enfants et des tâches domestiques. Les femmes ont beau avoir envahi le marché du travail à compter des années 70, et former aujourd’hui 48 % de la main-d’œuvre québécoise, les stéréotypes liés au genre, eux, perdurent. Le clivage traditionnel des rôles sociaux s’est en effet transposé dans le monde du travail. Voilà pourquoi les femmes occupent aussi largement de nos jours des métiers dits « féminins » liés aux soins des personnes, à la relation d’aide et aux services (enseignantes, travailleuses de la santé, etc.). Le phénomène est encore plus sournois qu’il n’y paraît, car la valeur attribuée aux tâches effectuées par les femmes sur le marché du travail est inférieure. Pourquoi ? Parce que la force de travail des femmes a, de tout temps, été mise à contribution dans la sphère privée sans être rémunérée. Le modèle se perpétue. Autre facteur, les métiers liés à la santé et à l’éducation ont longtemps été la chasse gardée des religieuses, entretenues par leur communauté. Ce « don de soi » a largement contribué, lui aussi, à la sous-valorisation du travail des femmes lorsque ces métiers se sont laïcisés. Plus ça change, plus c’est pareil…

Une loi qui a ses limites

Mais n’y a-t-il pas au Québec une loi pour corriger l’iniquité salariale ? Oui. La Loi sur l’équité salariale, qui impose aux entreprises et aux organisations de dix employé·e·s et plus de mettre en place des mesures d’équité salariale et d’en assurer une évaluation périodique. Sauf que la loi est ainsi faite qu’elle ne vise qu’une seule entreprise à la fois, rendant pratiquement impossible l’application des règles de l’équité salariale entre différentes entreprises ou entre différents secteurs. Impossible de se comparer avec Hydro-Québec, par exemple.

Dans les faits, le Conseil du trésor est considéré comme un employeur différent pour chaque composante de l’administration publique québécoise (la fonction publique, d’un côté, et les réseaux de l’éducation, de la santé et des services sociaux, de l’autre).

Il est même Impossible de se comparer « entre nous ». Résultat : l’État peut offrir aux employé·e·s des services publics une rémunération inférieure à celle qu’on retrouve dans des entreprises publiques comme Hydro-Québec ou Loto-Québec, tout en respectant la lettre de la loi, mais pas son esprit. C’est donc légal. Mais ce n’est pas du tout équitable !

L’iniquité a un prix

Cet écart de rémunération entre les employé·e·s des services publics, surtout des femmes, et les employé·e·s des autres branches du secteur public québécois, surtout des hommes, est impressionnant : 5,9 milliards $ en salaire uniquement. Une somme, en rémunération non versée, que l’État demande aux 543 000 employé·e·s des services publics d’assumer, année après année. C’est le prix de l’iniquité. Le prix de la discrimination systémique fondée sur le sexe dans l’administration publique québécoise. Il en est notamment ainsi parce que l’État, depuis quelque 20 ans et même davantage, demande aux employé·e·s de ses services publics de se presser le citron à l’extrême.

Chose qu’il ne fait pas avec les sociétés d’État, les policiers ou les médecins. Si l’État refuse d’opérer un rattrapage salarial et de modifier la Loi sur l’équité salariale pour comparer différents secteurs entre eux, c’est à lui de porter l’odieux de cette discrimination et de cette iniquité. Et de faire ainsi défaut à son devoir d’exemplarité à titre de législateur et d’employeur. Pour l’heure, sa politique est simple : « Faites ce que je dis, pas ce que je fais... »

Un investissement, pas une dépense

Un rattrapage de 5,9 milliards $ ? « Pensez-y même pas ! » diront certain·e·s. Mais pourquoi les personnes qui travaillent dans les services publics devraient-elles payer pareille facture ? On parle ici de 543 000 Québécois·e·s au total ! Lorsqu’il s’agit des 22 000 médecins de la province, l’argent coule à flots, et on s’empresse de combler l’écart salarial d’avec leurs collègues de l’Ontario. Y’a-t-il une iniquité salariale basée sur le genre dans leur cas ? Sont-ils victimes d’un effort systématique de répression salariale depuis 20 ans ? Ont-ils vu baisser leur niveau de vie ?

Non. Il faut changer de perspective, cesser de voir l’argent consenti à la santé et aux services sociaux comme une dépense qu’il faut toujours réduire. Il s’agit en fait d’un investissement. Un investissement dans ce que nous avons de plus précieux : notre collectivité, nos concitoyennes et nos concitoyens. Opérer un nécessaire rattrapage salarial pour rémunérer équitablement celles et ceux qui travaillent dans les services publics aura en outre un effet tonique non seulement sur leur moral, mais aussi sur l’économie et en matière de retombées fiscales, et ce, partout au Québec. Les choses doivent changer.

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