Édition du 23 avril 2024

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Europe

Entretien — Présidentielle

Sandrine Rousseau : « On a besoin d’une radicalité écologique »

Reporterre s’est entretenu avec chacun des candidats à la primaire écologiste pour l’élection présidentielle de 2022. Aujourd’hui, Sandrine Rousseau, vice-présidente de l’université de Lille et ancienne secrétaire nationale adjointe d’Europe Écologie — Les Verts.

Reporterre publie chaque jour de la semaine le portrait et l’interview de l’un des cinq candidats à la primaire des écologistes, dont le premier tour se déroule du 16 au 19 septembre et le second du 25 au 28 septembre, en vue de la présidentielle de 2022. L’ordre de passage a été tiré au sort.

9 septembre 2021 | tiré du site Reporterre.net | Photo : Sandrine Rousseau

Reporterre — Quelles sont les trois premières mesures qu’il faudrait prendre pour enrayer la crise climatique et la sixième extinction des espèces ?

Sandrine Rousseau — Un revenu d’existence, une réduction du temps de travail et un prix élevé du carbone. Un revenu d’existence permet d’augmenter la situation des plus faibles, et par conséquent de faire accepter un prix du carbone élevé. Pour le financer, on a besoin d’une réforme fiscale. Cela diminue le revenu des plus riches, c’est quelque chose de redistributif qui a des effets positifs sur les humains. La réduction du temps de travail permet de partager le travail, retrouver du temps pour soi et faire en sorte qu’on reprenne goût à la nature, aux loisirs et qu’on sorte d’une société de consommation. Enfin, le carbone est ce qui nous met le plus en danger aujourd’hui et c’est pourtant la chose la plus gratuite qui existe. Il nous faut un prix élevé du carbone. Les économistes disent qu’il faudrait atteindre en cinq ans une tarification entre 200 et 250 euros la tonne.

Pour enrayer la sixième extinction des espèces, il y a l’enjeu d’inscrire dans notre Constitution, dans notre droit, la préservation de la nature en tant que telle. Cela passe par la définition d’un crime d’écocide ; aussi par le fait de réserver une partie de notre territoire à de la nature sauvage, totale, complète, indépendante de toute action humaine. J’évoque toujours le chiffre de 10 % du territoire français. Aujourd’hui il y a très peu d’espaces vierges, tout est colonisé par l’Homme. Si on souhaite construire, on peut le faire sur des parkings, sur tout ce qu’on a dégradé. Il y a plein d’autres choses à faire pour la biodiversité, mais la définition de la nature dans le droit, le respect des espaces vierges, l’arrêt de l’artificialisation et la sortie des pesticides, ce serait déjà pas mal.

La transition énergétique ne se fera pas sans action sur les économies d’énergie, angle mort des politiques. Quelle mesure prendre pour la sobriété énergétique ?

La première des mesures, c’est l’accompagnement du changement des systèmes de production : si on fixe le prix de la tonne de carbone à 200 euros, on a des financements qui peuvent aller aux entreprises pour s’adapter. Ensuite il nous faut un plan massif de rénovation des logements, accompagné, pour tout le monde. Avec des obligations de résultats, pas uniquement des obligations de moyens, y compris des obligations de résultats sur les consommations, sur les usages. En économie, on connaît l’effet rebond, l’effet Jevons, c’est un des effets qui tue toute mesure écolo [1].

Une autre mesure de nature à diminuer la consommation énergétique est la mise en place d’une tarification progressive, en fonction de la consommation. Cela permet d’avoir les premières dépenses gratuites. Mais cela doit se faire en parallèle de la rénovation des logements, sinon cela défavorise encore plus ceux qui vivent dans des passoires thermiques.

Comment sortir du nucléaire ?

En prônant la sobriété énergétique, en mettant en place des mesures de sobriété énergétique, en développant les énergies renouvelables. En changeant la structure des organisations des personnes qui maîtrisent l’énergie nucléaire, aussi. On voit bien qu’il y a des corps d’ingénieurs qui veulent garder leur monopole sur le nucléaire. Tant qu’on ne déconstruira pas ça, il y aura des résistances trop fortes pour sortir de cette énergie.

Il faut réaffirmer la primauté du politique sur la technique, sur la maîtrise de la technologie. Ce sont les politiques qui décident, et à travers elles, les citoyens et les citoyennes ; pas les ingénieurs. Sur le nucléaire, ils ne sont pas habitués au débat démocratique : il n’y en a jamais eu. Donc je pense que sur la question du nucléaire, il faut réaffirmer la question du débat démocratique.

Passer à la VIᵉ République est une priorité largement partagée. Mais quelle évolution de la Constitution vous semble prioritaire ?

La priorité, c’est la sortie du présidentialisme, la diminution des pouvoirs du président de la République — et de la présidente de la République en l’occurrence, puisque ce sera moi. Ce serait une sorte de présidente à l’allemande, avec une forme de garantie de la Constitution, une garantie du fonctionnement démocratique et une fonction de représentation. Le reste des pouvoirs reviendrait au Parlement et aux territoires, notamment aux régions, avec le Sénat transformé en chambre territoriale. Il y aurait la possibilité pour les citoyens de saisir le pouvoir législatif, via des référendums d’initiative citoyenne.

Il y a aussi un statut de l’élu à trouver, pour éviter les carrières politiques et mieux protéger les élus. Une réforme sur le cumul des mandats dans le temps et dans l’espace est indispensable : la fonction d’élu doit être un temps que l’on donne chacun dans notre vie à la collectivité, mais ça ne peut pas être un parcours de vie.

Comment faire pour qu’au niveau mondial les émissions de gaz à effet de serre se réduisent fortement ?

Montrer l’exemple ! Faire en sorte que la France soit le pays de la lumière renouvelable. Pour l’instant, au niveau international, on est dans un truc du « Je te tiens, tu me tiens par la barbichette, le premier de nous deux qui sera écologiste aura perdu ». Il faut assumer une sorte de leadership mondial, comme on l’a fait pour la COP21. On est quand même un pays reconnu et respecté dans le monde. Si un pays du G7 change de cap, forcément ça interrogera les autres et ça interrogera les populations civiles de ces pays. Elles sont en attente et en demande, on l’a vu avec les marches pour le climat.

On doit aussi mettre en œuvre des mesures de protection de nos entreprises pour qu’elles ne soient pas discriminées. Pour ça, il y a des mesures de compensations carbone aux frontières. Les entreprises étrangères ne peuvent pas émettre du carbone en Chine, arriver en Europe en faisant patte blanche et en affirmant que leurs produits sont moins chers. Il y a tout un travail à faire sur nos frontières, et assumer le fait qu’on doit sortir du libre-échange. Ce n’est plus l’heure du libre-échange aujourd’hui.

Le coût écologique des riches est démesuré. Quelle politique de justice redistributive envisagez-vous ?

Il n’y a pas 36 solutions pour la redistribution, la fiscalité est le premier outil de solidarité sociale. Il y a plusieurs choses à faire : envisager la taxe sur le capital des ménages, et réaffirmer que les tranches les plus élevées des revenus doivent avoir un taux d’imposition marginal [2] élevé. Aujourd’hui on subit encore les effets du bouclier fiscal de Sarkozy, avec cette espèce d’imposition maximale à 50 %. Il nous faut un taux d’imposition marginal important, du temps de Mitterrand il était de 80 %. Cela n’encouragera pas à une accumulation de richesses, c’est absolument essentiel.

Comment accueillir les personnes migrantes ?

Bien et dignement. 60 % de la population mondiale vit près du littoral. Donc si on laisse le changement climatique s’emballer, ça veut dire qu’on prépare les migrations de demain. Il faut évidemment développer des structures d’accueil, développer l’accès également à l’université. Je travaille à l’université, je sais la galère que c’est d’accueillir des étudiants étrangers [3]. Nous devons développer l’apprentissage du français, dès que les personnes arrivent. Il faut aussi reconnaître les qualifications des pays d’origine et faire des formes de transfert de qualifications d’un pays vers un autre.

Nous devons arrêter d’humilier ces personnes comme on le fait actuellement, où la seule politique est de mettre des coups de canif dans les tentes où vivent ces personnes. Je ne sais pas à quel degré d’inhumanité on est tombés pour faire ça tous les matins sans sourciller. En outre, la manière dont on traite les personnes migrantes dans les préfectures, lorsqu’elles demandent le renouvellement de leurs papiers ou des titres de séjour, est tout à fait inhumaine. Il faut sortir de ça. Il faut qu’on les intègre. Et on met en place un fonds de développement — ce qui était le projet initial de l’Europe, avec une taxe sur les transactions financières.

Comment mettre un terme aux violences policières ?

En le disant déjà, en affirmant qu’il y a des violences policières. En affirmant aussi que le pouvoir politique doit être supérieur et doit contrôler la police. En faisant en sorte que ce contrôle soit indépendant de la police : typiquement, l’IGPN [4] doit sortir de la police.

Il faut interdire les pratiques discriminantes et violentes comme le contrôle au faciès. Il faut donner des moyens à la police afin d’avoir une police de proximité, de médiation, de désescalade, non armée. La police ne peut pas avoir le seul rôle de répression, elle doit aussi avoir un rôle d’accompagnement, d’assurer la paix plus que le maintien de l’ordre. Pour l’instant, elle maintient l’ordre, y compris un ordre social. La police n’a pas à garantir un ordre social, elle a à garantir la paix sociale, c’est très différent.

Il faut faire en sorte que la police soit issue de tous les niveaux de la population. Ça c’est une question pour toute la fonction publique, il faut revoir les modalités de recrutement. Il faut retrouver de la proximité dans la fonction publique, y compris dans les personnes qui l’incarnent.

Comment rendre concrètement la société moins sexiste ?

En élisant une présidente de la République ! Et en faisant en sorte que chaque politique publique qui soit menée, chaque discours, chaque prise de parole publique, même chaque déplacement dans l’espace public porte ces valeurs-là. On ne peut plus avoir de sortie de ministres où il n’y ait que des hommes, des conseillers et des gardes du corps masculins. On rend la société moins sexiste lorsque, dès qu’il y a un discours public, le féminin est systématiquement utilisé. Il faut qu’on ne passe pas du temps à interdire le crop top [5] dans l’espace public. Il faut plutôt qu’on lutte efficacement contre les violences, qu’on croie les femmes, qu’on soutienne financièrement la justice pour qu’il y ait de véritables enquêtes, qu’il y ait des condamnations. Et qu’on ne mette pas la responsabilité de toute violence sur les femmes. Ça nous changerait déjà la vie.

Sur la lutte contre les violences, on doit mettre en place l’imprescriptibilité des violences sur mineurs, et changer la définition du viol. Aujourd’hui, pour condamner un viol, c’est à la femme de prouver la menace, la contrainte ou la surprise. On pourrait imaginer que la charge de la preuve soit à l’adversaire et que le consentement soit défini. On pourrait aussi imaginer que la lutte contre les violences sexuelles et les traumatismes des violences sexuelles ne soit pas le fait d’associations sous-financées, mais que ce soit dans le cadre d’une politique de santé publique.

Il faut réaffirmer qu’un enfant a plusieurs parents, pas juste une mère ; il faut qu’avoir un enfant ait le même impact en termes d’arrêt de travail, de partage des tâches domestiques et de responsabilité financière pour les hommes comme pour les femmes. Si vous mettez en place un congé paternité égal au congé maternité, ça oblige les hommes à prendre en charge le foyer pendant la même durée. Moi je suis favorable à des mesures comme le fait qu’au moment des divorces, le non-partage des tâches domestiques soit un critère pris en compte. Je suis favorable à ce qu’un congé soit accordé en cas de fausse couche, je suis favorable à ce qu’on ait des salles de repos pendant les règles sur les lieux de travail. Qu’on prenne en compte l’intégralité du corps des femmes, que ce corps de femme s’impose dans l’entreprise et ne s’excuse pas d’être un corps de femme.

Imaginons qu’Anne Hidalgo (PS) et Jean-Luc Mélenchon (LFI) vous proposent chacun une alliance. Avec qui allez-vous ?

Je leur dis : « Venez avec moi si vous vous reconnaissez dans mon programme. Venez, je vous attends, et je vous ferai une place tout à fait digne de ce que vous représentez. On a besoin d’une radicalité écologique, sociale, est-ce que vous êtes prêts à me suivre ? Est-ce que vous êtes prêts à me suivre sur la sortie des pesticides en 5 ans ? » S’ils ne sont pas sûrs d’être prêts, ça ne vaut pas le coup.

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