Édition du 22 avril 2025

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Économie

Trump, les droits de douane et la transformation du capitalisme

Les réactions publiques à la décision de Trump d’augmenter les droits de douane mobilisent un argument principal, celui de la déstabilisation de l’économie mondiale qui en découle avec le démarrage d’une guerre commerciale qui serait le signe de l’abandon du libre-échange.

Billet de blog 8 avril 2025 | Gilles Rotillon est économiste, professeur émérite à Paris-Nanterre
https://blogs.mediapart.fr/gilles-rotillon/blog/080425/trump-les-droits-de-douane-et-la-transformation-du-capitalisme-0

Cette position oppose une politique protectionniste néfaste au libre-échange de la période précédente, sous-entendant que le « monde d’avant », que Trump semble vouloir quitter, était bien meilleur que celui qu’il tente d’installer.

Ce point de vue, qui reprend le refrain d’une mondialisation heureuse qui aurait amélioré le bien-être collectif est non seulement simpliste, mais complètement faux. Il oublie que la mondialisation a d’abord été une réponse à la recherche de rentabilité du capital à base de délocalisations pour baisser le coût du travail, d’éclatement des chaînes de valeur induisant une explosion des transports très émetteurs de gaz à effet de serre et d’inégalités abyssales.

Cette évolution du capitalisme, durant l’ère néolibérale, qui met la compétitivité au cœur du modèle économique est d’ailleurs une forme de guerre qui n’est pas à proprement parler commerciale (même si le but reste de vendre ses propres marchandises en concurrence avec les autres), mais une guerre entre systèmes sociaux différents qui converge vers la réduction des services publics, l’abandon de toute ambition environnementale et le moins-disant fiscal. Elle a aussi créé, de par l’éclatement des chaînes de valeur, une interdépendance des pays dont la production, qu’elle soit de biens ou de services, est toujours sous le risque d’être empêchée par manque d’un composant indispensable comme l’a montré la crise de la covid.

Ces transformations du capitalisme viennent d’une baisse des gains de productivité qui fait que la rentabilité des capitaux est de plus en plus difficile.

Comme l’explique parfaitement Romaric Godin, « les gains de productivité ont exclu de l’industrie une part importante de la main-d’œuvre qui devient rentable pour les activités à forte intensité de travail et très peu productives. Celles-ci se développent avec la marchandisation de la vie quotidienne et les besoins de rentabilité du capital. Ce sont les services à la personne et aux entreprises qui créent le plus d’emplois actuellement. Mais ce sont aussi des emplois peu productifs, où la valeur créée dépend de la compression salariale et de la dégradation des conditions de travail ».

Mais le fait que la mondialisation à base d’un libre-échange érigé en norme économique vertueuse nous ait conduit à la crise économique mondiale que connaît le capitalisme (qu’il soit occidental, chinois ou russe), n’implique pas que le retour à un protectionnisme tel celui que Trump met en place soit une meilleure solution. Au stade où il en est aujourd’hui, il n’y a pas de solution dans le cadre du capitalisme. Et sa régulation est une chimère.

Aussi, la « solution Trump » est en réalité aussi inefficace dans les coordonnées d’une gestion du capitalisme qui prétendrait résoudre ses contradictions qu’un retour à une mondialisation libre-échangiste. Les analyses qui cherchent à en montrer l’irrationalité en s’appuyant sur un temps passé idéalisé sont tout aussi peu convaincantes.

On peut toutefois comprendre la politique de Trump qui isole les États-Unis comme le signe de la justesse du diagnostic réalisé par Arnaud Orain dans Le monde confisqué[1].

Contrairement aux nostalgiques de la mondialisation, il montre que « l’utopie néolibérale d’une croissance globale et continue des richesses est désormais derrière nous ». Aujourd’hui, ce qui caractérise ce capitalisme c’est la « fermeture et privatisation des mers avec un « commerce » de convois militarisés, constitution de silos impériaux en rivalité armée les uns avec les autres pour s’approprier des espaces physiques et cybers, conflits de souveraineté multipliés entre États et compagnies-États ».

Avec son slogan MAGA[2], Donal Trump ne fait que suivre ce mouvement, qui était déjà commencé avant son arrivée au pouvoir, d’un repli sur son territoire où « il s’agit moins de réguler le monde à son profit que de se replier sur un système économique protecteur et même autarcique focalisé sur son silo impérial ».

Ce qui est en train de se mettre en place, c’est une nouvelle partition du monde en grands blocs (USA, Chine, Europe, Russie[3]) qui cherchent à être le moins dépendants possibles les uns des autres, en maîtrisant les flux essentiels dont ils dépendent (ressources, technologies, industries jugées motrices de croissance, transports sécurisés, …)[4].

A quoi il faut ajouter l’importance des grandes firmes monopolistiques, dont l’existence même (qui ne date pas d’hier), infirme l’air enchanté d’une mondialisation pacifique. Et ce n’est pas un hasard si Musk est étroitement associé à la politique américaine.

Un tel monde est évidemment beaucoup moins pacifique que celui où les pays étaient beaucoup plus interdépendants et là aussi les exemples ne manquent pas.

Mais ce qui est sûr dans cette situation, c’est que les problèmes globaux comme le changement climatique ou la perte de biodiversité et l’amélioration des conditions dans lesquelles l’humanité s’humanise n’ont pas la moindre chance d’être résolus.

Notes

[1] Arnaud Orain, Le monde confisqué, Flammarion, 2025.

[2] Make America Great Again.

[3] Les deux premiers à la pointe de cette évolution étant nettement plus avancés que les deux autres.

[4] Les « revendications » de Trump vis-à-vis du Canada et du Groënland en sont des illustrations, comme la guerre en Ukraine pour la Russie, l’influence grandissante de la Chine en Amérique du Sud ou les luttes entre USA, Europe et Chine pour la mainmise sur l’Afrique.

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Gilles Rotillon

L’auteur est économiste, professeur émérite à Paris-Nanterre.

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