Édition du 16 avril 2024

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États-Unis

USA : Au Wisconsin : par dizaines de milliers pour les droits syndicaux

Madison, capitale de l’Etat du Wisconsin connaît ces jours les plus grandes manifestations depuis la guerre du Vietnam. C’est le projet de loi déposé par le gouverneur républicain de Wisconsin, M. Walker, qui suscite cette mobilization. Il prévoit d’augmenter la part payee par les salaries pour l’assurance vieillesse et pour l’assurance maladie et la suppression du droit de négociation collective, menaçant de la sorte l’éxistence des syndicats dans le secteur public. Celles de Madison sont aussi les plus grandes manifestations ouvrières de base aux USA depuis les anneés 1930.

Dès le lendemain du depôt du projet de loi, le 14 février, des dizaines de milliers de manifestants ont marché et chanté sur le parvis du Capitole, le siege néo-classique du Sénat et de la Chambre des deputés que des centaines de manifestants occupaient. Le Wisconsin commence à faire exemple. Dans des Etats comme l’Indiana ou l’Ohio, les memes luttes commencent à voir le jour. Et le Wisconsin est dévenu l’épicentre d’un mouvement de résistance en défense des droits ouvriers.

Les droits des ouvriers mis en cause

La loi abolira toute négociation entre les syndicats et l’Etat sauf pour les salaires qui ne pourront en aucun cas, sauf recours à un referendum, dépasser le taux d’inflation. En plus, tous les syndicats qui organisent des employés de l’Etat devront être réélus chaque année par une majorité des salariés. Les côtisations qui sont actuellement perçues directement sur les feuilles de paye seront désormais facultatives. La loi vise directement les 300’000 salariés de la fonction publique –enseignants et autres fonctionnaires- ainsi que des ouvriers du privé, principalement dans le bâtiment, qui ont des contrats avec l’Etat. Seuls les syndicats des pompiers et des policiers -qui ont soutenu Walker- ne sont pas soumis à ces règles.

La loi donne aussi au gouverneur le droit de réduire par decrét les fonds consacrés aux programmes de santé pour les plus dêmunis.

Les négociations collectives dans le viseur

C’est en 1935, dans un contexte marqué par un chômage élevé -25% officiellement- et de mobilisations de masse que la NLRA, la loi Wagner, a établi le système tripartite entre syndicats, employeurs et Etat pour le secteur privé ainsi que le droit à la négociation collective. En 1959 le Wisconsin a été le premier Etat à accorder ces droits aux salaries du secteur public. Or, l’entrée en vigueur de la nouvelle loi porterait un coup historique au movement syndical aux USA. La suppression du droit à la négociation collective et la rarefaction de la presence syndicale feraient reculer le movement ouvrier de quelques 80 ans.

Le gouverneur Walker met beaucoup d’insistance à expliquer que la loi n’a pas d’autre but que de régler le deficit de l’Etat. C’est vrai que, comme la plupart des Etats, le Wisconsin a vu ses revenus réduits par la crise économique et les cadeaux fiscaux faits aux riches.. Mais les vrais buts de la loi deviennent évidents dès lors que Walker et les parlementaires républicains refusent toute négciation et même un débat au Sénat, même après que la direction syndicale et la délégation parlementaire démocrate aient publiquement accepté les aspects de la loi concernant les retraites et la santé.

Tout le monde comprend donc les vrais enjeux. L’adoption de la loi sonnerait le glas des syndicats dans le secteur public -43% de syndiqués contre 8 % dans le privé- et ouvrirait la porte à une offensive généralisée contre la pratique des négociations collectives et les syndicats. Dans une conversation téléphonique, enregistrée clandestinement, entre Walker et un imposteur comme David Koch, un milliardaire de droite et grand financier des campagnes politiques des candidats républicains dont Walker, le gouverneur a declaré que son but ressemblait à celui de Ronald Reagan qui a provoqué un bras de fer avec le syndicat des contrôleurs aérienr PATCO in 1981, et qui a déclenché a son tour une attaque générale contre les syndicats dans le privé.

La beaucratie syndicale comprend aussi très bien les enjeux

La direction nationale de la confédération AFL-CIO, les syndicats du secteur public, le SEIU, l’AFSCME et des syndicats des enseignants sont descendus sur Madison pour établir leurs quartiers généraux dans des hôtels autour du Capitole. Jimmy Hoffa, chef du syndicat des camionneurs, l’un des plus grands du pays, est venu le mercredi 23 prononcer un discours de solidarité. Le chef du syndicat international des sidérugistes s’est aussi rendu personallement à Madison . Pas touchés par le projet de loi, les pompiers et les policiers manifestent néanmoins en solidarité avec les autres syndicats du secteur public.

Des enjeux politiques

Walker et les républicains ne sont pas motivés seulement par leur haine idéologique des syndicats, où leur désir de satisfaire leurs supporters riches et conservateurs : les syndicats sont aussi la colonne vertébrale électorale du parti democrate. Dans les élections de novembre 2010, 26% des votants dans le Wisconsin –Etat où le taux de syndicalisation est de l’ordre de 16%- étaient membres d’un syndicat. 63% d’entre eux ont voté pour les democrates contre 37% pour Walker. Les syndicats apportent donc des voix et des sommes d’argent importantes aux democrates. Leur affaiblisement -ou leur disparation- serait très avantegeux pour les républicains. Dans un éditorial publié dans le Wall Street Journal le 24 février, Karl Rove, grand stratège républicain, analyse très clairement le rôle des syndicats dans la stratégie d’Obama -et, par ricochet, des républicans- pour les élections présidentielles de 2012.

Sénateurs en cavale

Grâce à la majorité républicaine, la loi aurait été certainement votée le jour suivant son depôt si quatorze sénateurs démocrates n’avaient pas boycotté la séance du Parlement. Leur absence prive le Sénat du quorum requis pour pouvoir voter. Pour éviter d’être arrêtés par des huissiers et ramenés de force à Madison, les quatorze sont partis en cavale et se refugient dans l’Etat voisin de l’Illinois. Walker a riposté en menaçant de licencier des milliers d’institituers si la loi n’est pas votée.

Depuis le début le nombre des manifestants a continuellement augmenté. La première semaine, il a passé de 15’000 à 40’000. Le 19 fevrier, 70’000 ont manifesté contre la loi alors que la manifestation de soutien à Walker organisée par le Tea Party ne mobilisait que 2000 personnes. Et le 26 février, 100’000 personnes ont envahi Madison tandis que des milliers ont manifesté dans les autres Etats.

Des manifs, mais pas de grèves

Les manifestations ne sont pas accompagnés par des grèves parce que les grèves sont interdites dans le secteur public. La loi anti-syndicale Taft-Hartly interdit les grèves de solidarité. Pour contrecarrer cette interdiction, la plupart des institueurs des écoles publiques de Milwaukee, la principale ville de l’Etat, se sont portés pâles pendant trois jours de suite, obligéant des centaines d’écoles à fermer leurs portes.

Une ambiance extraordinaire

L’ambiance à Madison est extraordinaire. Les foules sont enthousiastes et déterminées. Les placards pro-syndicaux et anti-Walker sont partout. Des milliers d’étudiants dans cette ville universitaire manifestent leur soutien à la lutte. Des supporters d’autres Etats et d’autres pays dont l’Egypte ont payé pour que des pizzas soient livrées aux manifestants.

Le contraste est saisissant entre les manifestations spontanées, de masse, et le rôle des directions syndicales. Ce sont elles qui assument le rôle de porte parole et de représentation médiatique du mouvement. Mais, elles ne laissent pas se tenir des assemblées générales qui devarient definer les choix des manifestants. C’est pourquoi le chant This is what democracy is (Ça c’est la démocratie), chanté à l’origine comme réponse à Walker, capte le sentiment démocratique du movement, en exprime le sens.

Quelle que soit son issue, la bataille de Madison a politisié et radicalisé un grande nombre de salariés syndiqués et non-syndiqués à travers l’Etat et le pays. Lors des élections de novembre 2010, 37% des syndiqués dans le Wisconsin ont voté pour Walker. C‘est certain que beaucoup d’entre eux rompront definitivement avec le parti républicain. En un premier temps, les democrates en profiteront, avant de se réveler comme les faux amis des salaries qu’ils sont.

A suivre.

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