Édition du 23 avril 2024

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Économie

À quand des réparations pour les dettes coloniales ?

De nombreux pays du Sud ont hérité d’une dette coloniale, imposée par l’ancien pays colonisateur en collusion avec les institutions financières internationales. Alors qu’elles violent clairement le droit international, dans la plupart des cas, ces dettes n’ont jamais été annulées. Des mouvements militent depuis des années afin que des réparations soient assurées.

tiré de : [CADTM-INFO] Venezuela, Égypte, inégalités, Grèce...
photo : Carte du monde montrant l’étendue de l’empire britannique en 1886 (CC - Flickr - Norman B. Leventhal Map Center)

Retour dans le rétroviseur : Haïti, un peuple enchaîné par la dette pour avoir résisté

En 1804, l’indépendance d’Haïti est obtenue, face à l’impérialisme français, par la rébellion d’esclaves menée par Toussaint Louverture. Vingt-et-un ans après, en 1825, la France impose à son ancienne colonie une indemnité de 150 millions de francs-or, en la menaçant d’une invasion militaire et d’une restauration de l’esclavage. L’ordonnance royale de Charles X était renforcée le 17 avril 1825 par une flotte de 14 navires de guerre français prête à intervenir face à Port-au-Prince. La première République noire vit ses premières années en quasi-faillite, accablée par cet énorme fardeau financier. Début du 20e siècle, les 4/5e du budget étaient destinés au remboursement de cette dette. Au lieu de consacrer cet argent aux besoins de la population, les finances d’Haïti ont été transférées vers la France et les banques privées. Le cas de la dette coloniale d’Haïti est sûrement le plus violent et destructif. Depuis, le pays a vécu sans cesse sous domination étrangère, avec l’influence française ou étasunienne toujours présente pour étouffer la moindre contestation sociale, économique ou politique.

Sans être exhaustif, on peut citer également les cas du Maroc et de la Tunisie. En 1860, l’Espagne demande un dédommagement au Maroc en échange de leur départ de Tétouan qu’ils occupaient depuis des années. Malgré un prêt contracté envers le Royaume-Uni, le Maroc ne réussit pas à tout payer à l’Espagne. Des percepteurs espagnols furent envoyés pour occuper les douanes marocaines.

Quand la Tunisie accède à l’indépendance en 1956, elle a dû racheter ses propres terres agricoles aux colonisateurs français. Pour cela, elle a dû emprunter à la France pour pouvoir rembourser.

Des dettes coloniales illégales et illégitimes

L’interdiction de transférer les dettes coloniales était posée dès 1919 avec le Traité de Versailles. L’article 255 stipule que la Pologne est exonérée de payer « la fraction de la dette dont la Commission des Réparations attribuera l’origine aux mesures prises par les gouvernements allemand et prussien pour la colonisation allemande de la Pologne ». Le Traité de paix de 1947 entre l’Italie et la France déclare « inconcevable que l’Éthiopie assure le fardeau des dettes contractées par l’Italie afin d’en assurer sa domination sur le territoire éthiopien ». Plus récemment, la Convention de Vienne de 1978 énonce dans son article 16 à propos de la succession d’États en matière de traités : « Un État nouvellement indépendant n’est pas tenu de maintenir un traité en vigueur ni d’y devenir partie du seul fait qu’à la date de la succession d’États, le traité était en vigueur à l’égard du territoire auquel se rapporte la succession d’États ».

La Banque mondiale est directement impliquée dans certaines dettes coloniales. Au cours des années 1950 et 60, elle a octroyé des prêts aux puissances coloniales pour des projets permettant aux métropoles de maximiser l’exploitation de leurs colonies. Les dettes contractées auprès de la Banque par les autorités belges, britanniques et françaises pour leurs colonies ont ensuite été transférées aux pays qui accédaient à leur indépendance, sans leur consentement. Par ailleurs, la Banque mondiale a refusé de suivre une résolution adoptée en 1965 par l’ONU lui enjoignant de ne plus soutenir le Portugal tant que celui-ci ne renonçait pas à sa politique coloniale [1].

Le rôle positif des excuses officielles

Reconnaître les crimes coloniaux et le tort fait aux populations est un pas démocratique essentiel et une marque de respect vis-à-vis des peuples colonisés. En 2008, le CADTM prenait part au collectif Mémoires coloniales, constitué à l’occasion du centenaire de la reprise par la Belgique du Congo de Léopold II, pour réclamer des excuses et des réparations de l’État belge au peuple congolais. Ces réparations devraient tenir compte des souffrances physiques des Congolais et Congolaises pendant l’ère coloniale (sous le règne de Léopold II et l’administration coloniale de l’État belge jusqu’en 1960) et de la fortune accumulée par la famille royale et l’État belge du fait de l’exploitation forcée des populations et des ressources naturelles du Congo [2].

Après des années de mobilisations des communautés congolaise et africaine, le conseil communal de la Ville de Bruxelles a approuvé le 23 avril 2018, à l’unanimité, la décision d’un espace public Patrice-Lumumba. Une statue à la mémoire de l’ancien Premier ministre du Congo a été édifiée le 30 juin dernier sur le square du Bastion, aux portes du quartier Matonge, le quartier de la communauté congolaise de la capitale. Démocratiquement élu au moment de l’indépendance, celui-ci avait défié les autorités belges dans un discours anticolonialiste devenu célèbre en 1960, avant d’être assassiné six mois plus tard, le 17 janvier 1961, avec la complicité de responsables belges.

En France, l’association Survie Nord, le Collectif Afrique, l’Atelier d’histoire critique, le Front uni des immigrations et des quartiers populaires (FUIQP) et le Collectif sénégalais contre la célébration de Faidherbe, se mobilisent contre la restauration de la statue du général Louis Faidherbe par la mairie PS de Lille. Né dans la « capitale des Flandres » en 1818, cet ancien gouverneur du Sénégal est un symbole de la République coloniale de la fin du XIXe siècle. Il a consacré des dizaines d’années de sa vie à l’invasion française de l’Afrique. Les collectifs dénoncent dans une lettre ouverte à Martine Aubry « cette conquête, qui l’a mené en Algérie puis au Sénégal, a pris la forme, selon ses propres termes, d’une « guerre d’extermination » ». À Bruxelles, les autorités ont mis des années à réagir. Pourtant, « partout dans le monde, de Johannesburg à Barcelone, de New York à Berlin, des municipalités ont entrepris de déboulonner les statues et de débaptiser les rues qui font l’apologie des crimes esclavagistes et colonialistes ».

Notes

[1] Dette illégitime : l’actualité de la dette odieuse. Position du CADTM http://www.cadtm.org/Dette-illegitime-l-actualite-de-la

[2] La réparation des dommages de la colonisation : l’Italie et la Libye relancent le débat : http://www.cadtm.org/La-reparation-des-dommages-de-la

Robin Delobel

Auteur pour le CADTM.

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