Comme ses propres chiffres publiés dans La Presse du 12 janvier le démontrent, le gouvernement a largement sous-estimé le nombre de personnes assistées sociales touchées par les nouveaux critères de résidence introduits en 2015. Il s’avère par ailleurs que cette modification réglementaire qui restreint les séjours hors Québec à un maximum de 7 jours consécutifs dans un mois de calendrier touche majoritairement les personnes immigrantes.
La coalition Pauvre + Captif cherche à dénoncer ce qui, selon nous, constitue une discrimination pure et simple : pénaliser les personnes assistées sociales qui quittent la province au-delà d’une semaine, alors que pareille restriction n’existe pas dans les autres programmes sociaux au Québec, comme la CSST ou le RQAP. C’est pourquoi les Services juridiques Pointe-Saint-Charles et Petite-Bourgogne, un membre de Pauvre + Captif, a entrepris un recours juridique pour faire invalider cette disposition réglementaire. Voici quelques exemples réels de personnes qui se sont retrouvées pénalisées par cette disposition réglementaire et que nous avons rencontrées dans les groupes de Pauvre + Captif au cours des derniers mois. Une femme dont la mère est tombée malade dans son pays d’origine est allée lui rendre visite dans le temps des Fêtes avec ses 3 enfants, qui n’avaient encore jamais rencontré leur grand-mère. Une jeune famille a dû retourner rapidement au Maroc car plusieurs parents sont tombés malades en même temps et avaient besoin d’aide. Une femme a rendu visite à sa fille qui avait des complications de grossesse. Ces personnes, pour la plupart des femmes, ont risqué l’éviction de leur logement, la perte de leur couverture médicaments et l’insécurité alimentaire, pour pouvoir remplir leurs obligations familiales. D’autres personnes, dont il est impossible de faire le décompte, ont jugé ces risques trop grands, et ont préféré rester au Québec pour ne pas perdre leurs prestations d’aide sociale. Par exemple, cet homme qui a économisé pendant près de 20 ans en n’allant jamais chez le coiffeur, en ramassant des bouteilles, et en marchant plutôt que de prendre le bus. Son but était d’emmener dans le Sud sa femme qui souffre de paralysie cérébrale pour leur 25e anniversaire de mariage. Il a dû laisser tomber ce rêve, n’ayant pas trouvé un tout-inclus qui pourrait respecter à la fois son budget et les nouvelles dispositions réglementaires à l’aide sociale.
Peut-être que le ministre François Blais trouvera dans l’histoire de cette personne une justification à son règlement. Après tout, quand il a annoncé cette mesure dans les médias, il n’a fait que répandre des préjugés en disant vouloir s’attaquer aux prestataires d’aide sociale qui abusent du système en quittant la province pendant l’hiver. Le ministre peut prétendre que les personnes immigrantes qui risquent de tout perdre en allant visiter leur famille ne sont que des dommages collatéraux de sa décision. Nous avons pourtant du mal à voir comment empêcher quelqu’un de voir sa famille va l’aider à trouver un emploi. Il nous semble de plus en plus évident que le ministre Blais est totalement déconnecté de la réalité des personnes les plus vulnérables de notre société, et de celle des personnes immigrantes en particulier. Que le ministre de l’Emploi et de la Solidarité sociale n’ait aucune idée de l’incidence de ses décisions dans la vie des personnes assistées sociales ne laisse présager rien de bon pour la mise en œuvre du programme Objectif Emploi, un programme qui viendra sous peu forcer les nouveaux demandeurs d’aide sociale à faire des démarches pour retourner sur le marché de l’emploi.
Chaque année, les personnes immigrantes constituent une forte proportion des nouveaux demandeurs d’aide sociale. Ces personnes sont en moyenne plus qualifiées et plus éduquées que les personnes nées au Canada, pourtant elles font face à de grands obstacles dans leur intégration au marché du travail : non-reconnaissance de leurs diplômes, discrimination, racisme, insuffisance des cours de francisation. Nous attendons encore que le ministre Blais nous explique comment l’approche punitive qu’il propose avec Objectif Emploi va pouvoir aider les personnes immigrantes à surmonter ces obstacles, hors de leur contrôle. Il faudrait peut-être que le ministre se souvienne que l’aide sociale a été créée pour assurer un filet de protection contre le dénuement total, et réalise qu’elle n’est plus en mesure de le faire actuellement, à cause des taux ridiculement bas des prestations. En effet, un chèque mensuel de 628 $ ne suffit même pas à couvrir le coût moyen d’un 3 ½. Plutôt que de s’attaquer aux personnes les plus pauvres, le ministre devrait écouter les solutions qu’elles ont à proposer pour s’attaquer à la pauvreté.
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