Édition du 26 mars 2024

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Asie/Proche-Orient

Arabie Saoudite. L’affaire Khashoggi révèle les luttes au sein de la famille royale

Le meurtre de Jamal Khashoggi serait plus lié aux luttes féroces au sein de la famille royale saoudienne qu’aux articles critiques du journaliste, affirme The Independent.

Tiré de Courrier international.

Le journaliste saoudien dissident s’était attiré les foudres des autorités de Riyad non parce qu’il critiquait ouvertement le royaume, mais plutôt parce qu’il était au fait des affaires de la famille régnante. Jamal Khashoggi, lui-même issu d’un puissant clan saoudien, s’est retrouvé pris au piège des machinations paranoïaques du prince héritier Mohammed ben Salmane [MBS], lequel fait tout pour consolider son pouvoir, éliminer ses rivaux et s’emparer des actifs des milliardaires du pays pour financer ses ambitieux projets nationaux.

“Quelqu’un a décrété que Jamal ne bénéficiait plus d’aucune protection”, explique un homme d’affaires résidant à l’étranger qui prétend avoir appris d’un membre de la famille royale que le prince MBS souhaitait interroger Khashoggi pour savoir s’il collaborait avec des factions influentes au sein de la monarchie dans le but de l’affaiblir.

Un analyste travaillant aux États-Unis et qui entretient des liens étroits avec le royaume cite des sources saoudiennes qui lui auraient assuré que la disparition de Khashoggi serait liée non à ce qu’il a écrit ou à sa façon nuancée de critiquer en public les autorités de son pays, mais à sa proximité avec les cercles du pouvoir. “Cela n’a rien à voir avec son travail de journaliste ni avec ce qu’il disait, mais à sa position dans la société saoudienne”, précise-t-il sous couvert d’anonymat.

“Les gens se taisent plus que jamais”

Le tollé suscité par l’opération lancée par les Saoudiens contre Khashoggi aurait ébranlé le royaume, et d’aucuns évoquent une crise au sommet de la hiérarchie. Même les représentants du gouvernement à Riyad ne cachent plus leur inquiétude face à la répression grandissante et à la volonté apparente du prince héritier d’imposer sa mainmise sur les rouages du pouvoir.

Selon eux, la disparition de Khashoggi, qui a fait la une des journaux du monde entier, n’a fait que ternir un peu plus la réputation de l’Arabie Saoudite alors qu’elle est déjà critiquée pour la guerre ruineuse qu’elle mène au Yémen et les arrestations de dissidents et de membres de la famille royale.

“Aujourd’hui, tout le monde a peur. On ne peut pas parler. Les gens se taisent plus que jamais”, concède un haut responsable de la capitale saoudienne qui a préféré ne pas être nommé pour préserver sa sécurité. Il ajoute que, de l’avis général, le prince héritier serait allé “trop loin”, et qu’il est en train de se couper du reste de la famille royale. “Beaucoup de gens parlent de quitter le pays, mais comment fuir un navire qui coule ? se lamente-t-il. C’est tout le pays qui va payer le prix de ces erreurs.”

La famille royale a tendance à se replier sur elle-même, surtout en temps de crise. Rares sont ceux qui se sont exprimés publiquement sur l’impact que pourrait avoir ce nouveau scandale sur les gouvernants. Mais à 33 ans, le prince, au fil de sa rapide ascension, s’est fait bien des ennemis parmi les diverses factions de la famille royale.

Rupture entre le prince et le clan Khashoggi

“Certaines personnes sont dans une situation extrêmement dangereuse en Arabie Saoudite”, confie un ancien employé d’une faction de la famille royale dont de nombreux membres sont soit en prison, soit assignés à résidence et contraints de porter des bracelets de surveillance électronique.
C’est grave. Et la famille royale va mal. MBS a transformé ce qui était une monarchie par consensus en dictature absolutiste.”

Les exilés craignent que les téléphones de leurs proches soient sur écoute, certains soupçonnant même les bracelets électroniques d’être équipés de mouchards.

Deux sources font état d’une rupture entre le prince héritier et le clan Khashoggi antérieure à la disparition du journaliste. Les Khashoggi, qui se sont enrichis grâce à l’importation de générateurs et l’électrification du pays, se sont récemment heurtés à l’hostilité du prince à cause d’un contrat commercial. Le matin du 16 octobre, la famille a émis un communiqué appelant à une enquête internationale sur la mort de Khashoggi, remettant implicitement en question la version saoudienne des événements.

Par ailleurs, l’ascension du prince a suscité une vague montante de mécontentement encore exacerbé par l’affaire Khashoggi. Les gens de la rue se plaignent des nouveaux impôts destinés à financer Vision 2030 [grand projet économique de MBS] et redoutent le coût, en termes humain et de réputation, de la désastreuse guerre du Yémen, qui dure depuis trois ans et demi.

“MBS” écarté au profit de son frère ?

Le roi Salmane, âgé de 82 ans, laisse apparemment son fils gouverner sans frein. L’état de santé du monarque est incertain, mais les autorités saoudiennes nient depuis des années que le souverain puisse être atteint de la maladie d’Alzheimer. Dans les rangs des factions dissidentes de la famille régnante, il se murmure que le prince pourrait être écarté au profit de son frère Khaled, moins impulsif et agressif, aujourd’hui ambassadeur à Washington.

“Il est plus souple, plus compréhensif”, commente une source, proche des dirigeants saoudiens, qui reste optimiste quant à la possibilité d’une mise à l’écart du prince héritier. Pour ladite source, le malaise actuel, associé au mécontentement plus général, crée un climat propice à un renversement du prince. Beaucoup rêvent de lui faire payer son recours à ce qui est dépeint comme des tactiques “à la Poutine”.

Les dirigeants saoudiens ont d’ores et déjà reçu l’ordre de passer par les bureaux du roi plutôt que par ceux de son fils pour toute opération extérieure clandestine. Les responsables américains, constamment en lien avec Riyad, se “préparent aux conséquences”, y compris à une action du Congrès ou à des sanctions, ajoute l’analyste américain. Le 16 octobre, le sénateur [républicain] Lindsey Graham a dit du prince qu’il était “toxique” et a mis en doute sa capacité à gouverner.

De plus en plus paranoïaque

Mais selon une source qui a suivi sa scolarité avec MBS, ce dernier n’a “jamais vraiment eu confiance en son frère” Khaled et l’a toujours surveillé de près. D’après le New York Times, Khaled ben Salmane aurait mystérieusement quitté Washington il y a deux semaines pour rentrer à Riyad, et il est possible qu’il n’y revienne pas, signe probable de tensions croissantes au sein de la cour.

Le prince s’imagine que “personne ne peut l’arrêter”, avance le dissident saoudien Abdulaziz Al-Moayyad.

C’est lui qui a donné l’ordre de lancer les opérations au Yémen et personne n’a résisté, il a provoqué la crise avec le Qatar et personne n’a résisté, il a commandité les arrestations au Carlton et, une fois encore, personne n’a résisté. Jamais personne ne s’est dressé contre lui, alors il a continué.”

Le régime saoudien a verrouillé les communications et fait taire tout discours sur un éventuel changement au sommet. À en croire les rumeurs, le prince héritier est de plus en plus paranoïaque et a durci la répression à l’encontre des dissidents, mais aussi de ses rivaux politiques et financiers, s’éloignant de quiconque remet en question sa vision du monde.

Khaled ben Farhan, un prince dissident en exil en Allemagne, a rapporté à The Independent que MBS s’était entouré d’un groupe de gens triés sur le volet. “Pour sa sécurité, il fait confiance à des mercenaires bien payés plutôt qu’à des Saoudiens. Et il vit sur son yacht. Parce que si jamais quelque chose se passe mal en Arabie Saoudite, il pourra s’enfuir rapidement.”

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