Édition du 14 mai 2024

Une tribune libre pour la gauche québécoise en marche

Le mouvement des femmes dans le monde

Au Sri Lanka, les femmes premières victimes du FMI et de la microfinance

Réunion annuelle du CADTM Asie du Sud

Pendant la réunion annuelle du CADTM Asie du Sud, qui s’est tenue à Katmandou (Népal), les mardi 13 et mercredi 14 février 2024, Amali Wedagedara, Nalini Ratnarajah et Balasingham Skanthakumar ont analysé la situation politique, économique, sociale du Sri Lanka. Bientôt deux ans après le soulèvement populaire (Aragalaya) qui avait abouti à la fuite de l’ancien président Gotabaya Rajapaksa, le FMI et les instituts de microfinance font peser le poids de leurs choix sur les Sri-Lankaises et les minorités.

Tiré du CADTM infolettre , le 2024-03-01
https://www.cadtm.org/Au-Sri-Lanka-les-femmes-premieres-victimes-du-FMI-et-de-la-microfinance

26 février par Balasingham Skanthakumar , Amali Wedagedara , Nalini Ratnarajah , Maxime Perriot

Amali Wedagedara

Printemps 2022 : notamment à cause de chocs extérieurs comme la pandémie de Covid-19 ou l’agression de l’Ukraine par la Russie, le Sri Lanka se retrouve en manque criant de devises extérieures pour importer les produits de base. Il doit faire face à des pénuries, de pétrole notamment et fait défaut sur sa dette extérieure. Les prix des produits de premières nécessités explosent. S’ensuit une insurrection populaire exceptionnelle qui aboutit, comme précisé au-dessus, à la fuite du Président Rajapaksa, représentant d’une famille omniprésente dans les sphères de pouvoir. Il est remplacé par son ancien premier ministre, Ranil Wickremesinghe, qui, dès septembre 2022, commence à négocier avec le Fonds monétaire international le 17e accord de l’Histoire du pays. Il met également en place une répression extrême sur tout type de manifestation – il est aujourd’hui interdit de manifester de manière non statique au Sri Lanka – et sur toutes les formes d’expressions critiques sur les réseaux sociaux.

Pour obtenir les prêts d’urgence du FMI – débloqués petit à petit par tranche de 330 millions de dollars pour atteindre 3 milliards au total – il a appliqué sans broncher les conditionnalités de l’institution de Bretton Woods. Au programme, baisse des budgets de l’éducation, de la santé, attaque sur le droit du travail, baisse des subventions sur les produits de première nécessité, hausse de la TVA… La crise économique et l’inflation, qui frappaient déjà de plein fouet les classes les plus populaires du pays, ont été considérablement accentuées par le FMI. Les dépenses quotidiennes n’ont fait qu’augmenter depuis deux ans et la population est exsangue. Exemple : la population sri-lankaise est confrontée au prix de l’électricité le plus élevé de toute l’Asie du Sud. Et celui-ci continue à augmenter.

La crise de la dette publique et les conditionnalités du FMI font tache d’huile sur la dette privée, sur la dette des ménages : 54% des ménages sri-lankais sont endettés. C’est aussi eux qui supportent la restructuration de la dette intérieure. En effet, les fonds de pension sri lankais qui ont daigné restructurer une partie de la dette du Sri Lanka qu’ils possédaient se remboursent en réduisant les pensions de la population, particulièrement des plus pauvres. Comme d’habitude, le capital s’en tire à bon compte et c’est la majorité de la population, et particulièrement les classes les plus populaires, les minorités et les femmes, qui paient au prix fort et sur leurs besoins essentiels les crises de la dette publique.

Les femmes et les minorités sont les premières victimes des politiques du FMI

Nalini Ratnarajah
Les mesures du FMI ont un impact considérable sur la nutrition des femmes et sur les conditions des accouchements

Nalini Ratnarajah a montré en quoi les femmes et les minorités sont les premières à subir les politiques d’austérité dictées par le FMI.

Les baisses des budgets imposés notamment dans la santé par l’institution financière internationale affectent le système de sécurité sociale, et donc l’accès des femmes et des personnes marginalisées – qui ne peuvent pas se rendre dans les hôpitaux privés – à l’hôpital public et aux médicaments. Ces mesures touchent notamment les conditions d’accouchements des femmes, ainsi que la qualité de leur nutrition, qui est considérablement affectée.

De plus, les violences sexistes et sexuelles augmentent quand la situation économique se dégrade et que l’État se retire. La situation du foyer devient beaucoup plus compliquée et les violences patriarcales ont tendance à se faire plus nombreuses.

Précisons également que les femmes sont les premières à rembourser la dette via leur travail dans les plantations de thé, les taxes qu’elles paient, ou encore leurs envois d’argent depuis les pays du Golfe. Ces trois éléments fournissent des devises ou des revenus au gouvernement pour rembourser la dette extérieure.

Nalini Ratnarajah a également rappelé la croissance de la haine anti-musulman·es, projetée contre les Tamouls. Celle-ci est accentuée par l’influence du pouvoir indien raciste de Modi sur le Sri Lanka.

Microfinance au Sri Lanka : le capital gagne du terrain

Une nouvelle loi a tout simplement interdit les pratiques de prêts traditionnelles, permettant aux institutions de microfinance de gagner toujours plus de terrain

À l’instar des politiques promues par le Fonds monétaire international, les institutions de microfinance poussent des millions de femmes dans le surendettement. En 2018, les taux d’intérêt pratiqués par le secteur de la microfinance ont atteint jusqu’à 220%, provoquant des manifestations importantes des femmes victimes de la microfinance abusive. Celles-ci réclamaient l’annulation de leurs dettes, clamant qu’elles avaient déjà remboursé plusieurs fois compte tenu des taux d’intérêt complètement fous qu’elles ont dû payer.

Sur les 2,4 millions de personnes (dont 2,3 millions de femmes) pris dans le piège de la microfinance, plusieurs milliers ont fait défaut sur leur dette. Dans un contexte préélectoral, le gouvernement a presque encouragé ces femmes à arrêter les paiements et a compensé les pertes des institutions de microfinance avec de l’argent public. Le gouvernement a donc socialisé les pertes de ces institutions financières, comme les États européens l’ont fait avec les banques pendant la crise financière de 2008-2010.

Au moment de l’arrivée de la pandémie de Covid-19, les mobilisations des femmes victimes de microfinance abusive ont logiquement décliné. Celles-ci ont essayé de se rabattre sur des pratiques traditionnelles de prêts entre femmes – les « tontines » en français. Cette pratique réunit un groupe de femmes qui se prêtent à tour de rôle pour des projets conséquents. C’était sans compter sur l’État sri-lankais, qui, via une nouvelle loi, a tout simplement interdit ces formes de prêts !

Cette loi a rendu illégales les pratiques traditionnelles car elle a interdit à quiconque de prêter sans être enregistré·e sur un registre officiel. C’est un cadeau énorme fait au capital et aux institutions de microfinances qui gagnent encore du terrain au détriment de femmes qu’elles poussent dans le surendettement, parfois jusqu’au suicide.

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Balasingham Skanthakumar

Membre de la Social Scientists’ Association of Sri Lanka et du réseau Asie du Sud du CADTM.

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