Édition du 16 avril 2024

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Amérique latine

La compagnie minière canadienne Bear Creek Mining Corporation

C'est pas le Pérou !

Depuis un mois, au Pérou, des centaines de personnes à majorité autochtones dénoncent l’ouverture prochaine de la mine de Santa Ana, propriété de la compagnie minière canadienne Bear Creek Mining Corporation, faisant valoir que les activités minières menaceraient et pollueraient les cours d’eau qui alimentent la région.

Le 25 juin dernier, le gouvernement péruvien a décidé de révoquer le permis d’exploitation délivré à la Bear Creek. Avec toute l’arrogance qu’on connaît de cette industrie, Bear Creek Mining Corporation menace à son tour de poursuivre le gouvernement.

Pollution de la biosphère, contamination de la population, déportation de familles entières… Au Pérou, plusieurs compagnies minières canadiennes conduisent une politique d’exploitation peu respectueuse de l’environnement et des droits humains.

« Hiroshima et Nagasaki » : c’est le nom que la population de la région d’Ancash au Pérou a donné à la mine Antamina, dont l’exploitation est gérée par trois entreprises canadiennes : Noranda Inc., Teck Corporation et BHP Billitpn Plc. Située au nord de Lima, à environ 4300 mètres d’altitude, Antamina est l’une des plus grandes mines productrices de cuivre et de zinc au monde. En exploitation depuis le 14 novembre 2001, elle a nécessité des investissements de près de 2,3 milliards de dollars.

« Mai 2003. 150 hommes, femmes et enfants ont été contaminés par une intoxication de l’air provoquée par l’exploitation de la mine canadienne Antamina à Puerto Grande dans la région d’Ancash. Ils souffriraient de saignements de nez et de maux de tête. ». Alors que la dépêche a suscité de vives réactions au Pérou, au Canada, la nouvelle est totalement passée inaperçue.

Les ONG tirent la sonnette d’alarme

À qui profitera la mine ? Bien que la population péruvienne soit consciente de l’intérêt économique que représente l’exploitation minière pour la région, elle se questionne sur les retombées réelles. Manuel Glave travaille pour l’ONG GRADE au Pérou. D’après lui, la politique d’exploitation de la mine a un effet boule de neige. « Tous les sites liés à la mine Antamina sont affectés, que ce soit à Yanacancha, endroit où l’on traite les minéraux, ou 350 km plus loin, au port de Huarmey, lieu de transit pour l’exportation », dit-il. « Ils ont asséché un lac afin de permettre la construction de la mine, ce qui a eu un impact écologique majeur sur la région. La pollution occasionnée par la mine amène la relocalisation de la population contre son gré. De plus, la quantité énorme de rejets déversés dans la rivière Ayash risque de provoquer une transformation irréversible des nappes phréatiques. »

Le 6 novembre dernier, Greenpeace émet un rapport accablant sur Noranda. Intitulé Une vie de crimes (A Life of Crime), le document met en avant la piètre performance environnementale de l’entreprise canadienne. On y apprend que Noranda est sur la liste des 100 plus importants pollueurs au Canada. Le rapport confirme également que, à la suite de la construction de la mine Antamina, des milliers de familles péruviennes ont été « relogées » de façon arbitraire, sans aucune considération pour le caractère socio-économique et culturel de leur communauté.

La Coordination nationale des communautés péruviennes touchées par l’industrie minière (CONAMACI) a également dénoncé la récente déportation de 90 familles après l’implantation de la mine. Cette ONG qui regroupe des communautés de 13 départements du Pérou, ajoute que même si la mine a généré l’emploi de 2724 personnes, seulement 631 provenaient de la région. Or Ancash a une population de un million de personnes, dont 61 % vivent sous le seuil de la pauvreté.

À Noranda, le son de cloche diffère. Dans un article de la Presse Canadienne, Hélène Gagnon, directrice des relations publiques de l’entreprise, explique que, en dépit du fait que certaines communautés aient en effet dû être déplacées pour permettre l’exploitation minière et que ce souvenir soit encore cuisant dans la population, Noranda et le gouvernement péruvien sont « extrêmement fiers de cet investissement ».

C’est que l’industrie minière occupe une place importante dans l’économie péruvienne. Pour plusieurs, cette industrie représente une des voies, voire la principale, pour le développement du pays. Le secteur des mines procure 60 000 emplois. La production minière du Pérou a connu une hausse importante au cours de la dernière décennie, conséquence de la privatisation du début des années 1990 et de la croissance de l’investissement étranger. Au moins 45 entreprises minières sont en opération au Pérou, dont plus de 15 étrangères explorent ou exploitent une mine.

Manhattan Minerals Corp. au banc des accusés

Antamina n’est pas la seule compagnie canadienne a être montrée du doigt. Manhattan Minerals Corp., une société dont le siège social se trouve à Vancouver, a obtenu en 1999 une concession du gouvernement Fujimori pour exploiter une mine d’or à ciel ouvert à Tambogrande, dans le département de Piura, au nord du pays. Toutefois, l’entreprise a rencontré une vive opposition de la part des résidants de la région, qui seront forcés de déménager si le projet minier va de l’avant. Un référendum, financé par Oxfam du Royaume-Uni, a révélé que seulement 1 % de la population de Tambogrande souhaite que le projet d’exploitation minière aille de l’avant.

D’après Madeleine Denoyer, agent régional des Amériques à Droits et Démocratie, une institution canadienne, « les citoyens s’inquiètent des conséquences environnementales et sociales d’un tel projet sur cette région traditionnellement agricole, qui fournit 40 % de la production nationale de limes et de mangues ». La compagnie a beau promettre « le Pérou » quant à la préservation du site, les relations avec les communautés restent très mauvaises.

Dans une lettre destinée à Alejandro Toledo, le président de la République du Pérou, plus de 12 associations visant à préserver les droits humains, s’élèvent contre un tel projet. « Nous considérons les investissements étrangers nécessaires au Pérou. Mais, de tels investissements ne doivent pas être faits aux dépens des communautés locales, mais plutôt servir les intérêts des communautés affectées. […] De plus, l’importance de l’agriculture pour le développement du pays ne doit pas être oubliée. »

Toute-puissance des compagnies minières

« Dans les mines, n’importe qui peut faire n’importe quoi au Pérou », ajoute Manuel Glave. L’unique instrument dont le pays dispose pour contrôler l’exploitation d’une mine, c’est l’étude de l’impact environnemental. Approuvée en audience publique, cette étude fait office de contrat social. « En dehors de cela, le gouvernement ne dispose d’aucune législation appropriée. C’est que le gouvernement est bien faible par rapport à la puissance des multinationales minières. » Dernièrement, le Canada a offert une importante subvention à l’État péruvien afin de mieux gérer l’exploitation des ressources naturelles et de prévenir des dangers écologiques et humains. Affaire à suivre.

Cet article est tiré du site web du Quartier Latin

Estelle Puig

Quartier latin, UQAM

Jorge Falla

Quartier Latin, UQAM

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