Édition du 29 avril 2025

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Haiti

Déclaration du comité exécutif régional de l’Assemblée des peuples de la Caraïbe sur la rançon imposée par la France au peuple haïtien

Le Comité Exécutif Régional de l’Assemblée des Peuples de la Caraïbe tient à exprimer son indignation à l’occasion du 200e anniversaire de la rançon imposée à Haïti à travers une ordonnance du Roi de France Charles X du 17 avril 1825, exigeant le paiement d’une somme exorbitante de 150 millions de francs or comme condition pour la reconnaissance de l’indépendance arrachée sur le champ de bataille 21 ans plus tôt.

Tiré du site web du CADTM

À l’occasion de ce douloureux anniversaire, l’Assemblée des Peuples de la Caraïbe lance un vibrant appel à la mobilisation générale pour exiger à la France le remboursement intégral des sommes extorquées à la jeune république. Nous exigeons également le paiement de réparations appropriées pour les torts immenses et durables causés à Haïti par plus de 300 ans d’esclavage et par l’ordonnance odieuse du 17 avril 1825.

Depuis l’éclatante victoire des populations réduites à l’esclavage en Haïti et la proclamation d’une nouvelle République indépendante le 1er janvier 1804, l’empire français a tout fait pour asphyxier la jeune nation, la replacer sous le joug colonial et rétablir l’esclavage. L’ordonnance de 1825 n’est pas une simple arnaque, mais participe du combat des puissances capitalistes contre la liberté et les droits des peuples. La France des Bourbons, qui veut rétablir la monarchie, souhaite reconstituer un ordre colonial ébranlé et rétablir l’institution de l’esclavage, comme le démontrent les documents saisis par Henry Christophe quelques années auparavant dans la valise d’un des émissaires venus négocier une « indemnité » en faveur des colons esclavagistes.

L’ordonnance cherche, en plus de punir ceux et celles qui ont osé défier l’ordre colonial, à effacer la victoire de 1803 et réinsérer l’économie haïtienne dans le système mondial en assurant la continuité du pillage. Il est vital pour le système capitaliste mondial de démontrer que les peuples opprimés ne peuvent et ne doivent pas se révolter et que tout processus s’inspirant de la geste haïtienne ne peut conduire qu’à un douloureux échec.

Il est important de souligner que les coutumes de l’époque qui n’ont jamais cessé d’être appliquées pendant de longs siècles voulaient qu’à la fin d’une guerre, c’est le camp défait qui doit verser des indemnités au vainqueur. Nous avons gagné la guerre et nous avons dû payer aux vaincus. Les circonstances à travers lesquelles cette rançon a été imposée ne laissent aucun doute sur le caractère odieux de l’opération. La commission dirigée par le baron Mackau venue imposer cette rançon était accompagnée de plusieurs navires de guerre équipés de plus de 500 canons. Avec bien sûr, la menace de détruire la ville de Port-au-Prince en cas de refus de signer du Président Boyer. Il s’agit d’un cas emblématique de dette odieuse telle que définie depuis la fin du XIXe siècle et formalisée par Alexander Sack en 1927.

Dans le texte de cette infâme ordonnance, le nom d’Haïti n’est jamais mentionné. On parle des habitants de la partie occidentale de l’ile de Saint-Domingue.

Il faut souligner plusieurs éléments :

a) l’importance centrale de la colonie de Saint-Domingue, qui générait 40% de la production mondiale de sucre de canne et représentait une source fabuleuse d’accumulation pour les capitalistes français ;

b) La radicalité de la révolution haïtienne, qui alliait indépendance, autodétermination des Peuples, révolution sociale, antiesclavagisme, internationalisme et panafricanisme révolutionnaire et qui a postulé une vraie mondialisation des droits humains en se basant sur le principe de l’égalité de tous les êtres humains (« tout moun se moun »).

En 1838, suite à de longues et difficiles négociations, le montant de la dette est réduit à 90 millions de francs or. Mais ce nouvel accord renforce des conditions déjà imposées par l’ordonnance, qui structurent de nouveaux rapports de dépendance entre Haïti et la France. Dans cet accord Haïti est obligé de vendre son café à un prix réduit de 50% par rapport au prix pratiqué sur le marché mondial et doit accorder des préférences aux navires français arrivant aux ports d’Haïti, qui ne devront payer que 50% des droits de douane exigés par les douanes du pays.

Comment est-on arrivé au chiffre initial de 150 millions de francs or ? On a calculé la valeur des plantations perdues par les colons esclavagistes à la suite de la révolution haïtienne et la valeur des exportations de denrées. Dans ce calcul, on inclut la valeur marchande des esclavagisés. L’esclavage avait été aboli à Saint-Domingue en 793 et en France en 1794. L’ordonnance de Charles X réaffirme que les hommes ne sont que des objets destinés à fournir des profits aux propriétaires de capitaux. L’un des messages les plus puissants de la révolution haïtienne, c’est de proclamer qu’aucun être humain ne peut être traité comme une marchandise et l’égalité radicale de tous les êtres humains (« Tout moun se moun »). La révolution haïtienne est une avancée décisive vers la démarchandisation indispensable à la mise en place de sociétés libérées de toute forme d’oppression.

La loi Taubira de mai 2001, votée par le Parlement français, reconnait que l’esclavage est un crime contre l’humanité. Nous souhaitons que le combat pour la restitution intégrale des sommes colossales volées au Peuple haïtien s’articule aux justes revendications de la CARICOM. Celles-ci réclament des réparations pour le crime de l’esclavage commis pendant plusieurs siècles par les puissances européennes. Dans les débats animés qui ont suivi l’acceptation par le Gouvernement et le Sénat haïtiens, un écrivain haïtien suggérait que la France devrait tôt ou tard payer les salaires non versés aux africain·es réduit·es en esclavage sur notre sol pendant plus de 300 ans et qui ont généré un impressionnant volume de profits pour les classes dominantes européennes.

Le paiement de la rançon a eu des conséquences dévastatrices sur la société haïtienne. Pour citer un exemple, selon les archives des Institutions bancaires françaises, le service de la dette versé par l’État haïtien en mai 1841 a été acheminé dans des caisses pesant 1968 kilogrammes et contenant 85 961 pièces d’or. Le service de cette ignominie a généré une extraordinaire hémorragie de ressources financières qui a conditionné les finances haïtiennes pendant 127 années. Soulignons que les 150 millions de francs or réclamés en 1825 représentaient 10 fois les recettes fiscales annuelles de l’État et 300% du PIB annuel haïtien. Pour acquitter les versements annuels dès 1828, l’État haïtien a dû emprunter à des banques françaises qui ont appliqué des taux usuraires et des pratiques déloyales. Le fait de consacrer l’essentiel des recettes fiscales (parfois plus de 70%) au paiement du service de cette rançon a bloqué le processus de construction nationale et paralysé les investissements publics dans les infrastructures de base, les services essentiels d’éducation et de santé publique. Face au manque de liquidités pour honorer le service annuel de la rançon, l’État haïtien a dû vendre un volume important de bois précieux sur le marché international, accélérant le processus de déforestation déjà entamé à l’époque de la colonisation française. Des milliers de tonnes d’acajou, de gaïac, de campêche ont été abattus, ce qui a déstabilisé nos écosystèmes agricoles et a entrainé une diminution de la productivité de l’économie paysanne.

Le montant des valeurs que la France doit rembourser immédiatement doit faire l’objet d’études approfondies. Le Président Jean Bertrand Aristide parlait de 21,7 milliards de dollars US, l’économiste Thomas Piketty évoque un remboursement incontournable de 28 milliards de dollars US et d’autres études évaluent ce remboursement à au moins 115 milliards de dollars US en comptabilisant ce que de nombreux historiens appelant la double dette. Ces sommes ne représentent qu’une faible portion des torts immenses causés à la jeune république. Le montant de la restitution des sommes volées par la France doit être fixé par le Peuple haïtien, en particulier la paysannerie, qui a souffert très douloureusement des ravages provoqués par cette domination néocoloniale. Le Peuple haïtien doit être le principal acteur des processus de reconstruction. Il devra fixer le montant de la restitution et définir un processus pour des réparations appropriées. Il ne saurait accepter des mécanismes de remboursements qui, tout comme l’ordonnance de Charles X, remettent en question ou violent sa souveraineté et sa dignité.

Le combat que nous menons aujourd’hui avec le Peuple haïtien pour exiger justice, restitution et réparation revêt une dimension symbolique importante et est au cœur des combats contre le néocolonialisme, l’impérialisme et tous les mécanismes de la domination capitaliste qui réduisent nos Peuples à la faim, la misère, la surexploitation et le désespoir.

Nous demandons aux Peuples du monde du monde d’exiger à la France le paiement intégral des sommes volées en Haïti. Ce paiement ne saurait être inférieur aux 115 milliards de dollars qui ne peuvent compenser qu’une partie des dégâts et préjudices causés par cette rançon criminelle. Nous demandons également aux Peuples du monde entier de se soulever contre la domination capitaliste en s’associant aux valeurs cardinales de justice, de solidarité et de dignité portées par la grande la révolution haïtienne de 1804.

Non à l’esclavage de la dette ! Non à la marchandisation des êtres humains !
Vive la solidarité révolutionnaire des Peuples !
La France doit rembourser immédiatement les sommes extorquées au Peuple haïtien !
Haïti doit enfin sortir de plus de 200 ans de solitude imposée par les puissances impérialistes !

Camille Chalmers
Économiste, professeur, représentant de la Plateforme Haïtienne de Plaidoyer pour un Développement Alternatif (PAPDA), membre du réseau CADTM-AYNA y CADTM Internacional.
https://www.cadtm.org/Declaration-du-comite-executif-regional-de-l-Assemblee-des-peuples-de-la

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