Ça ne loupe JAMAIS.
Et, chaque fois, c’est la même frustration. Pourquoi sont-ils incapables de comprendre ?
Je crois que j’ai enfin trouvé la réponse.
Ils ne savent pas.
Ils ne savent pas ce que ça fait de reculer, de minimiser, d’être réduite au silence.
Même nous les femmes, nous qui le VIVONS, n’en sommes pas toujours conscientes ! Mais c’est arrivé à chacune d’entre nous.
On a toutes appris, d’instinct ou d’expérience, à désamorcer une situation qui nous mettait mal à l’aise en la minimisant. A éviter d’énerver un homme, de nous mettre en danger. A ignorer les commentaires blessants. On s’est toutes forcées à rire d’une tentative de drague trop poussée. On a toutes ravalé notre colère quand on nous traitait de manière méprisante ou condescendante.
Ça n’a rien d’agréable. C’est même une sensation avilissante. Mais on le fait tout de même, parce que s’entêter nous mettrait en danger, parce qu’on pourrait perdre notre boulot, être étiquetée « emmerdeuse ». Alors, en général, on choisit de limiter la casse.
On n’en parle pas souvent. Quand ça nous arrive, on ne le raconte pas à notre copain, notre mari, nos amis. Parce que c’est tellement fréquent que ça fait partie de notre quotidien, et qu’on se contente de le gérer.
Alors peut-être qu’ils ne savent vraiment pas.
Peut-être qu’ils ne savent pas que dès l’âge de 13 ans, on a dû supporter que des adultes nous reluquent les seins. Que des types qui auraient pu être nos pères sont venus nous draguer à la caisse des boutiques où on travaillait. Que ce garçon dans notre classe, celui qui nous a demandé de sortir avec lui, s’est mis à nous harceler juste parce qu’on avait dit non. Peut-être qu’ils ne se rendent pas compte que notre chef a pour habitude de nous donner des petites tapes sur les fesses, de temps en temps. Et ils ne savent sûrement pas qu’en général, on en sourit, en serrant les dents. Ou qu’on détourne la tête, en faisant comme si rien ne s’était passé. Ils ne se rendent probablement pas compte que ces choses arrivent tout le temps, qu’elles font partie du quotidien. Qu’on s’y attend tellement qu’on en arrive presque à ne plus y faire attention.
Qu’automatiquement, on ignore, on minimise.
On cache notre colère réprimée, notre peur, notre frustration. Un sourire vite fait, un rire crispé, et la journée continue. On désamorce. On minimise. Dans nos têtes comme dans notre attitude, on minimise. Pas le choix. Si on refusait de prendre ça à la légère, ça entraînerait des conflits que la plupart d’entre nous ne se sentent pas prêtes à gérer.
On apprend ça très jeunes, sans y penser consciemment ou mettre un nom dessus, sans même prendre le temps de se rendre compte que les autres filles font la même chose. Mais on apprend notre leçon. On apprend l’art de désamorcer des situations. Par l’observation et une rapide évaluation des risques, on déduit comment réagir, et surtout comment ne pas réagir.
«
C’est ça, le quotidien d’une femme dans le monde où nous vivons. Sourire du sexisme, parce qu’on pense qu’on n’a pas le choix.
Mentalement, on fait très vite le point de la situation. Est-ce que c’est un colérique, du genre à perdre facilement son sang-froid ? Y a-t-il d’autres personnes dans le coin ? Est-ce qu’il essaie juste d’être drôle, même très maladroitement ? Quelles seront les conséquences sur mes études/mon travail/ma réputation si je dis quelque chose ? En une poignée de secondes, on décide de réagir ou bien de laisser couler. De le remettre à sa place ou de regarder ailleurs avec un sourire poli, comme si on n’avait rien entendu, rien vu, rien ressenti.
Ça arrive tout le temps. Et ce n’est pas toujours facile de savoir si la situation est inoffensive ou dangereuse.
Il y a le patron qui a une remarque ou un geste déplacés. Le client qui agite son pourboire au-dessus de notre tête jusqu’à ce qu’on accepte qu’il nous serre dans ses bras. Le collègue avec deux verres dans le nez qui essaie de nous coincer pour « un petit coup entre amis », alors qu’on lui a bien fait comprendre que ça ne nous intéressait pas. Le type qui s’énerve quand on lui refuse un rendez-vous. Ou une danse. Ou un verre.
On voit nos amies vivre ça. On le vit nous-mêmes, tant de fois et sous tellement de formes que ça en devient normal. Et on n’y pense même plus vraiment. Jusqu’à ce qu’une fois, une seule, la situation devienne dangereuse. Jusqu’à ce qu’on apprenne que le « copain » qui nous avait coincée a été accusé le lendemain d’avoir violé quelqu’un d’autre. Jusqu’à ce que notre patron tienne sa promesse de nous embrasser pour la Nouvelle Année, quand il nous croise toute seule en salle de pause. Ces moments-là, on s’en rappelle. Ceux-là, peut-être qu’on en parlera à nos amis, notre copain ou notre mari.
Mais tous les autres ? Tous ceux où on s’est senties nerveuses et mal à l’aise, même si ça s’est arrêté là ? Ceux-là, on n’y accorde pas trop d’importance. La vie continue, après tout.
C’est ça, le quotidien d’une femme dans le monde où nous vivons.
Sourire du sexisme, parce qu’on pense qu’on n’a pas le choix.
« Jouer le jeu » pour pouvoir passer à autre chose, quitte à en avoir la nausée.
Avoir honte, des regrets de n’avoir pas remis à sa place ce type qui nous semblait intimidant, même s’il était probablement inoffensif, quand on y repense. Probablement.
Garder la main sur notre portable quand on est seule dehors la nuit.
Tenir nos clés d’une certaine façon quand on va chercher notre voiture, au cas où on aurait besoin d’une arme.
Prétendre qu’on a un copain pour que le type qui nous drague accepte enfin de nous laisser tranquille.
Ne pas pouvoir être au milieu d’une foule dans un bar/un concert/n’importe quel autre lieu sans qu’un connard vienne nous mettre une main aux fesses.
Savoir que même si on le repère, on ne dira peut-être rien.
Répondre poliment « Bonjour » au type qui nous interpelle quand on traverse le parking d’un supermarché. Faire comme si on n’avait pas entendu quand il nous reproche de ne pas nous arrêter pour lui parler. Qu’est-ce qu’il y a, t’es trop bien pour parler avec moi ? T’as un problème ? Salope.
Ne rien dire à nos amis, nos parents ou notre mari, parce que c’est comme ça, ça fait partie de nos vies.
Être toujours hantées par le souvenir de la fois où on a subi une agression, des mauvais traitements, un viol.
Écouter nos amies nous raconter, en larmes, la fois où elles ont subi une agression, des mauvais traitements ou un viol.
Comprendre que le sentiment de danger, chaque fois qu’on doit choisir entre confrontation et silence, n’est pas simplement le fruit de notre imagination. Parce qu’on connaît bien trop de femmes ayant subi une agression, des mauvais traitements ou un viol.
"Je commence peut-être à me rendre compte que je n’aide personne en faisant comme si de rien n’était."
J’ai compris récemment que beaucoup d’hommes n’avaient peut-être pas conscience de tout ça. Ils ont entendu parler de certains incidents. Ils sont peut-être même intervenus quelques fois. Mais ils ne se rendent probablement pas du tout compte que ça arrive si souvent. Que ça influence la majorité de nos paroles, nos actions ou nos comportements.
Peut-être qu’on devrait mieux l’expliquer, et cesser de faire comme si de rien n’était. Arrêter de minimiser, même en nous
Les hommes qui haussent les épaules ou déconnectent quand une femme se met à parler des aspects sexistes de notre culture ne sont pas forcément mauvais. Ils n’ont simplement jamais été confrontés à notre quotidien. Nous ne parlons pas vraiment de ce que nous voyons et vivons au jour le jour. Alors comment pourraient-ils deviner ?
Les hommes bien dans notre entourage ne se rendent peut-être pas du tout compte qu’on doit régulièrement faire face à ces choses-là.
Peut-être que c’est devenu tellement normal pour nous qu’il ne nous vient même pas à l’esprit de le leur dire pour qu’ils comprennent.
J’ai compris qu’ils ne sont pas conscients de l’ampleur du phénomène, et qu’ils ne comprennent pas toujours que c’est notre quotidien. Alors, oui, quand je me mets en rogne en entendant quelqu’un faire une remarque sur une fille en robe moulante, ils ne comprennent pas forcément. Quand les petits actes de sexisme auxquels j’assiste quotidiennement me rendent complètement folle, quand j’entends parler de ce que traversent ma fille et ses amies, ils ne se rendent pas compte que ce n’est que la partie immergée de l’iceberg.
Peut-être que je suis en train de me rendre compte qu’on ne peut pas attendre des hommes qu’ils comprennent l’omniprésence des petits actes de sexisme si on n’attire pas leur attention dessus. Je me rends compte que les hommes ne savent absolument pas que, même dans un magasin, les femmes sont obligées d’être sur leurs gardes. De manière presque inconsciente, on doit surveiller ce qui nous entoure, à l’affût de tout ce qui pourrait représenter une menace.
Je commence peut-être à me rendre compte que je n’aide personne en faisant comme si de rien n’était.
On désamorce en permanence.
On est conscientes de notre vulnérabilité, conscientes que, s’il en avait envie, ce type dans le parking du supermarché pourrait nous attraper et faire de nous ce qui lui chante.
Messieurs, voilà ce que c’est que d’être une femme
Nos corps sont sexualisés avant même qu’on soit en âge de comprendre ce que ça veut dire. On devient une femme alors qu’on est encore une enfant dans sa tête. Des adultes nous reluquent et nous lancent des remarques avant même qu’on ait appris à conduire. Tout ça nous gêne, mais on ne sait pas comment réagir, alors on se contente de poursuivre notre chemin. Dès le plus jeune âge, on apprend que le fait de se rebeller quand une situation nous met vraiment mal à l’aise risque de nous mettre en danger. On est conscientes d’être le sexe faible, physiquement parlant. Conscientes que les garçons comme les hommes sont assez forts pour faire de nous ce qu’ils veulent. Alors on minimise, et on désamorce.
La prochaine fois qu’une femme vous dira que ça la gêne vraiment de se faire siffler, ne la prenez pas à la légère. Écoutez-la.
La prochaine fois que votre femme se plaindra parce qu’un collègue l’a appelée « ma chérie », ne haussez pas les épaules. Écoutez-la.
La prochaine fois que vous entendrez ou lirez une femme qui dénonce des paroles sexistes, ne la rabaissez pas. Écoutez-la.
La prochaine fois que votre copine vous dira qu’un type lui a parlé d’une manière qui la mettait mal à l’aise, ne faites pas comme si ce n’était rien. Écoutez-la.
Écoutez-la, parce que ce que vous vivez et ce qu’elle vit sont deux choses différentes.
Écoutez-la parce que ses inquiétudes sont réelles. Elles ne sont ni exagérées ni irrationnelles.
Écoutez-la, parce que la vérité, c’est qu’à un moment ou à un autre, elle ou quelqu’un de son entourage a subi une agression, des mauvais traitements ou un viol. Et elle sait que le risque que ça lui arrive est permanent.
Écoutez-la, parce qu’une simple remarque venant d’un type bizarre peut provoquer chez elle une véritable terreur.
Écoutez-la, parce qu’elle essaie peut-être de faire en sorte que ses filles n’aient pas à vivre ce qu’elle a vécu.
Écoutez-la parce qu’écouter ne peut faire que du bien.
Écoutez-la. Tout simplement.
Gretchen Kelly
Ce blog, publié à l’origine sur le Huffington Post américain, a été traduit par Guillemette Allard-Bares pour Fast for Word.
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