Édition du 30 avril 2024

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Israël - Palestine

Claire intention de nettoyage ethnique

M. Omer Bartov, universitaire israélien, spécialiste de l’Holocauste met en garde contre un génocide à Gaza et parle d’une : « claire intention de nettoyage ethnique ».

Democracy Now, 10 novembre 2023
Traduction Alexandra Cyr

Amy Goodman, (D.N.) : « S’il y a un enfer sur terre il est dans le nord de Gaza ». Ainsi s’exprimait un haut fonctionnaire des Nations Unies plus tôt aujourd’hui après qu’Israël eut intensifié son assaut aérien et terrestre dans ce territoire. Des dizaines de milliers de Palestiniens.nes sont partis vers le sud de l’enclave, forcés.es par les attaques israéliennes. Plus de la moitié de toutes les maisons de Gaza ont été détruites ou endommagées au cours du dernier mois.

Jeudi, l’administration Biden a annoncé qu’Israël avait accepté de procéder à des pauses de quatre heures tous les jours pour permettre à la population de Gaza nord d’aller vers le sud. Plusieurs de ces personnes ont peur de ne plus avoir la permission de revenir chez eux. Certains.es ont accusé l’administration Biden de faciliter le nettoyage ethnique de Gaza. On a largement comparé ces filées de gens allant à pied, à la Nakba, ou la catastrophe quand 700,000 Palestiniens.nes ont été violemment expulsés.es de leurs demeures au moment de la fondation d’Israël en 1948.

Nous commençons notre émission avec l’historien Omer Bartov, né en Israël, qui a récemment signé une lettre ouverte indiquant qu’Israël pouvait potentiellement commettre un génocide à Gaza. Il est professeur de l’Holocauste et des études sur les génocides à l’Université Brown. Le United States Holocaust Memorial Museum l’a reconnu comme un des spécialiste les plus important au monde sur les questions de génocide. Il est l’auteur de nombreux bouquins dont récemment : Genocide, the Holocaust and Israel-Palestine : First-Person History in Times of Crisis.

Juan Gonzalez (DN) : J’ai interviewé le professeur Bartov mercredi depuis sa demeure à Cambridge au Massachussetts. Je lui ai d’abord demandé de nous parler de son expérience de soldat israélien dans le nord du Sinaï en 1970 et comment cela marque sa vision des événements actuels.

Omer Bartov : J’ai été soldat de l’armée israélienne (FDI) de 1973 à 1976. J’étais jeune et ma première expérience a été celle du traumatisme, la grande surprise que les Arabes égyptiens et Syriens aient attaqué le 6 octobre 1973. Et je dois dire que lors de l’attaque du Hamas le 7 octobre 2023 contre Israël, 50 ans à un jour près de celle de 1973, c’était particulièrement traumatique pour moi et ma génération. Nous pourrons parler plus à fond des raisons de ce traumatisme.

Mais, au cours de mon engagement militaire j’ai aussi servi dans le nord du Sinaï et le poste de commandement auquel j’appartenais était situé à Gaza. Bien sûr j’allais souvent à Gaza. À ce moment-là, 350,000 personnes y vivaient, elles étaient pauvres, sans espoir et dans la congestion. En ce moment, entre 2 millions et 2 millions et demi de personnes y vivent, encore plus pauvres, encore plus congestionnées et désespérées et depuis longtemps si on tient compte qu’elles sont sous un siège israélien depuis 16 ans. Donc, pour moi, le manque de progrès durant toutes ces années pour résoudre ce terrible problème humanitaire devient très personnel.

Je dois ajouter une chose : généralement, je n’avais pas de tâches liées à l’occupation mais j’en ai eues. Et je me rappelle avec acuité que diriger mon peloton dans ce qui était à cette époque une ville égyptienne quand les gens vous surveillent derrière leurs fenêtres rendant évident que notre présence n’était pas la bienvenue, que nous faisions peur alors que nous marchions dans les rues en nous sentant inconfortables et ayant aussi peur de ce qui pouvait nous arriver en cours de route. Cette conscience d’être un soldat d’occupation et de ce que cela implique m’est restée tout au cours des années et c’est une des raisons plus personnelle qu’analytique et politique qui m’a poussé à penser qu’il faut une fin à l’occupation et c’est pour cela que nous avons publié cette pétition le 4 août dernier, 2 mois avant l’attaque du Hamas en Israël.

J.G. : Professeur, ces jours-ci, nous entendons souvent parler de ces conflits en termes de : « crimes contre l’humanité, crimes de guerre, et génocide ». La plupart des gens ne connaissent pas la différence (entre ces termes). Pour certains.es d’entre nous la guerre elle-même est un crime ; donc les termes « crimes de guerre » sont presque redondants. Pouvez-vous nous donner une meilleure vision de ce qu’ils veulent dire exactement ?

O.B. : Oui, et c’est une importante question parce que ces termes sont utilisés comme vous le dites, sans réellement penser à ce qu’ils veulent dire. Le terme génocide est celui qui désigne le pire des crimes et donc, les autres atrocités, n’importe quoi auquel on puisse penser mérite le même sort : une dénomination extrême. Donc on utilise le mot génocide.

Mais nous avons les résolutions des Nations Unies qui définissent clairement les crimes de guerre et le génocide. On peut critiquer ces définitions mais ce sont celles de la loi internationale. La convention des Nations Unies sur le génocide, adoptée en 1948 établit qu’il doit y avoir une intention de détruire en tout ou en partie un groupe national, racial ou religieux pour ce qu’il est. C’est une définition très importante car elle introduit deux concepts déterminants : d’abord l’intention. Il faut démontrer que le fait de tuer ces personnes est intentionnel, que cela ne fait pas simplement partie de la guerre, de la violence, que c’est bien intentionnel. Ensuite, que l’intention est bien de détruire le groupe tel que défini par l’exécutant. On ne parle pas de simplement tuer des individus, il s’agit de tuer des individus parce qu’ils et elles sont membre d’un groupe donné.

Les crimes de guerre sont très différents. Ce sont des violations des lois et coutumes de la guerre contre les combattants.es et les civils.es non combattants.es. Les crimes contre l’humanité ont à voir avec les exterminations et autres crimes de masse contre n’importe quelle population civile. Il n’est pas nécessaire de démontrer l’intention et ils s’appliquent aussi hors des périodes de guerre. Donc, il est très important de différencier ces trois catégories.

Et j’ajouterais à tout cela le nettoyage ethnique qui a une définition propre même si aucune résolution (des Nations Unies) ne le concerne. Il s’agit de la tentative de déplacer une population d’un territoire à un autre, généralement parce que vous ne voulez pas qu’elle y vive ou y reste. Le génocide est une tentative de tuer un groupe particulier où qu’il se trouve. Mais il y a un lien entre les deux parce que souvent, le nettoyage ethnique devient un génocide. C’est ce qui est arrivé dans le génocide arménien durant la première guerre mondiale et dans l’Holocauste. Les Nazis allemands ont d’abord déplacé les Juifs de territoires particuliers et quand ils ont pris conscience qu’il n’y avait pas d’endroit où les transférer, ils ont décidé de les exterminer en masse. Donc, si nous nous arrêtons sur ces diverses catégories, nous pouvons faire la distinction par rapport à ce qui arrive sur le terrain et nos émotions.

J.G. : À votre avis, ce qui se passe à Gaza se situe dans quelle catégorie ?

O.B. : Voici mon opinion : Les dirigeants.es politiques et militaires israéliens.nes ont fait des déclarations percutantes et effrayantes à propos de Gaza, parlant de réduire Gaza, parlant du Hamas, mais faisant une sorte de liens étendu à la population gazaouie dans son ensemble comme d’animaux humains.es et parlant d’expulser toute cette population en dehors de Gaza. C’est une intention claire de génocide. Ces déclarations sont la preuve d’une intention génocidaire. C’est pourtant souvent difficile à prouver dans les causes de cette catégorie. Ceux et celles qui procèdent ainsi ne veulent pas toujours admettre que c’est ce qu’ils ou elles font.

Ensuite (il faut se demander) que font-ils là ? Les autorités militaires sur le terrain ne cessent de dire qu’elles veulent atteindre le Hamas mais, et je pense que c’est souvent vrai, il a installé ses quartiers généraux, ses roquettes et autres équipements sous les hôpitaux, dans les mosquées, les terrains de jeu, les écoles et ainsi de suite. Donc, les militaires affirment qu’ils visent le Hamas (et ses installations) pas la population mais, malheureusement, la population se fait tuer aussi. De cette façon, ses pertes sont clairement disproportionnées. On estime qu’elles se chiffrent en ce moment, comme vous l’avez dit plus tôt, à 10,000 morts. Même si nous n’avons pas confiance en ce nombre qui vient du Hamas, il s’agit surement de plusieurs milliers. Et peut-être même plus car beaucoup de cadavres se trouvent sous les décombres. Et de ces nombres, on compte au minimum 4,000 enfants. Il faut se rappeler que la moitié de la population de Gaza a moins de 18 ans. Pour moi, c’est un indicateur que des crimes de guerre sont commis à Gaza et potentiellement des crimes contre l’humanité.

Est-ce qu’il s’agit de génocide en ce moment ? Je ne le crois pas parce que nous n’avons pas encore de preuves claires que la destruction de toute la population est visée ce qui pourrait être un génocide mais, nous n’en sommes pas loin. Et si cette soit disant opération continue nous pourrions être face à un nettoyage ethnique à cause du transfert de la population du nord de Gaza vers le sud et cela pourrait devenir un génocide.

A.G. : Professeur Bartov, j’ai été frappée quand vous avez dit que c’est en août que vous vous êtes joint à d’autres historiens.nes de haut niveau et d’académiciens.nes israéliens.nes pour signer cette lettre qui critique « le régime d’apartheid ». C’était donc 2 mois avant l’attaque du Hamas du 7 octobre. Souvent, ces jours-ci, après cette attaque qui a fait 1,300 morts de citoyens.nes d’Israël, si vous ne donnez aucun contexte (à votre argumentation), on vous accuse de justifier ce qui arrive. Vous êtes historien, pouvez-vous nous parler de l’utilisation de ce terme ? Je me souviens avoir interviewé il y a des années, l’Archevêque D. Tutu d’Afrique du sud, prix Nobel de la paix. Il disait, après avoir visité les territoires occupés (par Israël) qu’il avait trouvé la situation là pire que dans son propre pays où il a survécu. Donc, vous avez beaucoup réfléchi à ce terme avant de l’employer ; pouvez-vous nous expliquer ce qu’il signifie pour tenter d’expliquer ce qui se passe et aussi le terme « occupation ».

O.B. : Je dois vous dire que quand nous avons écrit cette lettre critique, nous avons beaucoup travaillé en juillet pour la publier en août. Nous y exposons « l’éléphant dans la pièce » qui est l’occupation et nous définissons l’occupation de la Cisjordanie comme un régime d’apartheid. Nous l’avons fait à ce moment-là où le gouvernement Netanyahu était sous la pression de vastes manifestations parce que son gouvernement voulait réformer en profondeur le système judiciaire. C’était une opération d’affaiblissement de la règle du droit dans le pays, du système judiciaire au profit de l’exécutif. Le système judiciaire (avec la Cour suprême) est le seul organe qui contrôle l’exécutif en Israël. Le but était de pouvoir étendre le régime d’occupation en Cisjordanie pour finalement annexer ce territoire et d’y rendre la vie des Palestiniens.es impossible. Environ un million et demi de colons juifs y vivent ainsi que trois millions de Palestiniens.nes.

Maintenant, que veut dire le mot « apartheid » ? On a tendance à penser que c’est ce qui est arrivé en Afrique du Sud. D’ailleurs le terme vient de là. Mais il existe une résolution des Nations Unies qui le défini. Et curieusement, elle comprend tous les éléments qui existent en Cisjordanie le plus important étant le fait que deux populations y vivent, les Juifs et les Palestiniens. Les colons juifs sont des citoyens.nes israéliens.nes hors territoire. Ils vivent sous la loi israélienne ou sous une fiction qui leur donne la conviction qu’ils vivent ainsi. Ils peuvent voter au parlement israélien. Ils bénéficient des mêmes droits démocratiques dont jouissent les Juifs vivant en Israël proprement dit. Les Palestiniens.nes y vivent sous un tout autre régime légal qui ne leur donne pratiquement aucun droit. Leur vie se passe sous un régime militaire. Ce sont des tribunaux militaires qui les jugent, leurs avocats.es sont des militaires réservistes. On peut les détenir en prison indéfiniment. Donc il y a deux groupes qui vivent sous deux régimes légaux complètement différents. Ils sont aussi séparés les uns des autres par des routes, des barrages routiers et des postes de contrôle qui ne concernent que les Palestiniens.nes leur rendant la vie de plus en plus difficile. Celle des colons juifs est bien plus simple. Donc, de ce point de vue, c’est clair qu’il y a un régime d’apartheid en Cisjordanie.

Et cela affecte aussi la vie en Israël. Génération après génération, les jeunes israéliens.nes sont appelés.es à aller servir de police dans les territoires occupés, mais en uniformes militaires. Leur travail est essentiellement un travail policier. Et cela induit de la corruption. De plus en plus de militaires sont habitués à l’idée que les intrusions dans les maisons (Palestiniennes) à 4 heures du matin sont admises et que les arrestations de n’importe qui sont aussi de routine. Il ne s’agit pas que du seul régime d’apartheid mais aussi de la démocratie israélienne elle-même qui a mené le gouvernement Netanyahu à vouloir le changer en faveur des seuls Juifs.ves.

J.G. : Professeur, vous avez parlé plus tôt de la société israélienne qui soit, accepte cette situation d’occupation ou refuse d’en parler. Pourquoi selon vous ? N’était-ce pas d’un vibrant mouvement travailliste, socialiste et humanitaire que sont issus.es ceux et celles qui ont créé cet État ? Qu’est-il arrivé ?

O.B. : La réponse simpliste est que le pouvoir corrompt. Depuis des années Israël souffre d’une sorte d’euphorie du pouvoir. Quand je fais le lien entre ce qui s’est passé en 1973 et 2023, c’est exactement de cela que je parle. Je pense qu’Israël en est venu à croire qu’il est suffisamment fort pour faire ce qu’il veut qu’il n’a pas besoin de faire de compromis politique ce qui veut dire aucun compromis territorial. La guerre de 1973 aurait pu être évitée si Israël avait accepté de négocier avec Anwar al Sadate, le Président égyptien à l’époque. Il l’a fait plus tard après la guerre ; il a remis le Sinaï à l’Égypte contre la paix (avec ce pays). 3,000 soldats sont morts dans cette guerre et certains étaient de ma promotion. C’est ce qui se passe en ce moment. Israël refuse de parler de quelque compromis territorial que ce soit et pense que le Hamas peut bien tirer quelques roquettes ici et là, ce n’est pas un problème. Donc pas besoin de compromis territorial.

Et une bonne partie de la société israélienne a cru cela. Vous pouviez vivre à Tel Aviv agréablement, y avoir une bonne vie. Mais à 20 milles à l’est, c’est le règne du régime d’apartheid qui n’a pas grand-chose à voir ici. C’est ce que nous avons tenté de souligner en août. Les gens qui manifestaient, les centaines de milliers qui, remarquablement sont sorti dans les rues tous les samedis pour protester contre l’érosion de la démocratie dans le pays, ont refusé de parler de l’occupation. Quand nous sommes allés.es manifester, on nous a marginalisés.es. On nous a mis de côté. On nous a dit : « L’occupation, c’est une sorte de … c’est un terme difficile. Pas tout le monde est d’accord avec cela. N’en parlons pas maintenant. Ça va faire diversion ». Alors, qu’en fait c’est le cœur de la tentative du gouvernement de changer le système judiciaire en Israël.

(…)

A.G. : Professeur vous enseignez à l’Université Brown à Providence. Vous êtes à Cambridge en ce moment. Je veux vous demander votre opinion sur les dissensions qui existent sur les campus ici et sur la manière avec laquelle on les traite. À Harvard, des étudiants.es ont manifesté en faveur des droits des Palestiniens.nes. Un camion a surgi devant la manifestation portant une pancarte où il était écrit : « Antisémites ». À la télévision on peut voir des reportages sur des actes antisémites, par exemple, on a brûlé le cimetière autrichien à Vienne et bien d’autres actes du genre. Mais tout est mêlé, (je parle de la télévision dominante), on y voit des images de manifestants.es avec le drapeau palestinien. Pouvez-vous nous parler de ce qui se passe sur les campus et du sentiment qu’ont des gens que leur préoccupation pour la justice est comprise comme de l’antisémitisme et les amène à se retrouver sur des listes noires ?

O.B. : C’est une situation très complexe. Je pense franchement qu’une partie de cela repose sur l’ignorance de ce qu’est la réalité sur le terrain entre Israël et la Palestine. Bien sûr, les grands médias ont leur manière de présenter les choses et ils ne le font pas comme vous. Mais, les jeunes gens, les étudiants.es peuvent trouver d’autres sources d’information pour mieux connaître la situation sur le terrain. Je pense donc que nous avons là, un petit enjeu d’information.

L’antisémitisme est réel et il va en augmentant. Ce n’est pas seulement déplorable mais c’est un phénomène qui fait peur. Évidemment je n’ai aucun penchant vers cela. Il existe et depuis longtemps, une tendance à prendre toute critique envers l’État d’Israël, toute critique des politiques de n’importe lequel de ses gouvernements pour de l’antisémitisme si on ne parle pas de critiquer son existence ce qui est autre chose. C’est une politique de la droite israélienne et de celle d’ici, ça n’a rien à voir avec la vérité. On peut être sioniste, ou non sioniste ou contre le sionisme, on n’est pas antisémite pour autant. On peut être sioniste mais contre des politiques particulières d’Israël. Je soutiens fortement l’existence d’Israël mais je critique aussi fortement ses politiques. Certaines personnes me qualifient de juif qui se déteste. C’est un non-sens. Ce sont les politiques qui impliquent l’oppression des Palestiniens.nes qui durent depuis 56 ans et le refus du gouvernement israélien de parler de ce qui s’est passé en 1948 qui sont en cause ici. La discussion est complètement fermée et en même temps, la croyance règne que les Juifs, comme les autres nations, ont le droit de se défendre. Il faut donc séparer les deux éléments.

Je pense que dans les manifestations actuelles, la passion augmente en partie à cause des politiques du gouvernement israélien. J’ai le sentiment que quand les gens manifestent en faveur de la vie des Palestiniens.nes, ce avec quoi je suis d’accord, ils doivent se souvenir de ce qui s’est passé le 7 octobre. Ce jour-là, plus d’un millier de civils.es juifs.ves et quelques Arabes, des Bédouins qui vivent là, ont été masssacrés.es avec haine avec diffusion en direct. Ce fut profondément blessant pour la société israélienne. Presque tout le monde dans ce pays connait quelqu’un.e qui a été enlevé.e, tué.e ; c’est mon cas. Des membres de ma famille ont soit été tués soit sont maintenant détenus.es à Gaza. Il faut se rappeler qu’il y a 240 otages. Je suis complètement d’accord avec ce que la représentante Tlaïb a dit ; c’était un discours pénétrant. Mais je pense qu’il faut aussi nous arrêter sur un autre aspect.

Il y a eu de la déshumanisation des deux côtés. L’occupation déshumanise les peuples. Elle déshumanise l’occupant et l’occupé. La manière de s’en occuper, c’est de parler de l’avenir politique ; comment aller de l’avant. Ce serait merveilleux qu’il y ait un cessez-le-feu, mais cela ne mettrait pas fin à la violence. La fin de la violence ne viendra que comme le résultat d’une résolution pacifique à ces dernières 100 années de conflit qui ont fait couler tant de sang. Nous devrions faire pression sur l’administration américaine pour qu’elle aille dans ce sens, pour que les politiques soient changées et qu’elle fasse pression à son tour sur le gouvernement israélien pour qu’il fléchisse et recommence à négocier avec les Palestiniens.

A.G. : Quel est votre avis à propos des termes : « du fleuve à la mer » que le gouvernement israélien utilise. Ceux et celles qui taxent les autres d’antisémitisme disent que cela signifie la disparition de la population juive d’Israël. Par exemple la plateforme du Likud en mars 1977 intitulée ; « Le droit du peuple juif à la terre d’Israël (Eretz Israël) ». On peut y lire : « le droit du peuple juif à la terre d’Israël est éternel, incontestable et est lié au droit à la sécurité et à la paix ; en conséquence, la Judée et la Samarie (qui constituent la majorité des territoires occupés) ne seront concédées à aucune administration étrangère ; entre la mer et le Jourdain, la souveraineté israélienne règnera ». Donc entre le fleuve et la mer. Pouvez-vous nous parler de cette expression ?

O.B. : Oui. Vous savez, les fondateurs du Likud, des révisionnistes membres du mouvement sioniste, sous le leadership du grand Jabotinsky, chantaient une chanson qui allait comme suit : « Le Jourdain a deux rives, celle-ci nous appartient et l’autre aussi ». Ils ne parlaient pas de la soit disant Palestine historique qui est celle du temps du mandat britannique durant la période de l’entre-deux guerres, ils parlaient de la partie du Jourdain qui est aujourd’hui le Royaume de Jordanie comme appartenant à l’État d’Israël.

Quand nous employons l’expression « de Jourdain à la mer » nous parlons du territoire qui est contrôlé en ce moment par Israël. Sur ce territoire vivent 7 millions de Juifs.ves et 7 millions de Palestiniens,nes. 2 millions de ces Palestiniens.nes sont des citoyens.nes d’Israël, 3 millions vivent dans les territoires occupés de Cisjordanie et de deux à deux millions et demi de cette population sont réfugiés.es à Gaza. Donc, 7 millions contre 7 millions.

Parler d’un État palestinien ou juif du Jourdain à la mer soulève la question suivante : que va-t-il arriver de l’autre moitié. C’est la question de fond. Si on parle d’un État palestinien où les droits des juifs à l’auto détermination ne sont pas reconnus, c’est-à-dire avoir droit à leur propre État, que leur arrivera-t-il ? Un retour en Europe comme le disent certains.nes peu importe ce que cela pourrait vouloir dire ? Et si vous avez un État du type de celui que la droite israélienne, le Likud et maintenant la droite radicale suprémaciste qui siège au gouvernement de B. Netanyahu, les Smotrich et Ben-Gvir (…) qui sont de vrais nazis veulent, vous vous demandez qu’est-ce que cela peut bien vouloir dire ? Ils veulent créer un État juif où il n’y a pas de Palestiniens.nes ou d’Arabes du tout. La politique qui rend la vie insupportable aux Palestiniens.nes de ces territoires, vise à ce que leur départ soit la seule l’option possible même s’ils et elles l’excluent. Ou encore profiter d’une période d’urgence comme celle qui existe en ce moment, pour procéder au nettoyage ethnique. C’est la grande peur des Palestiniens.nes qui sont citoyens.nes d’Israël, celle d’une répétition de la Nakba, une seconde expulsion comme en 1948. Beaucoup de politiciens.nes israéliens.nes en ont parlé et bien sûr, en Cisjordanie occupée et dans la bande de Gaza on s’inquiète plus encore.

Ce n’est pas tant les termes ; « du Jourdain à la mer », c’est-à-dire le territoire qu’Israël contrôle en ce moment, qui doivent nous préoccuper, mais comment ce territoire sera-t-il partagé entre les deux groupes pour que cela n’implique pas d’oppression, que tous les droits y soient respectés tout comme l’égalité. Bien sûr, la violence et les expulsions n’y sont pas admises.

A.G. : Finalement, Professeur, pouvez-vous, très brièvement, traiter de l’enjeu de la solution à deux États, ou à un seul ?

O.B. : J’ai longtemps été un fort défenseur de la solution à deux États. Mais, progressivement, je me suis rendu compte qu’en fait ce n’était qu’un pauvre cache sexe pour la gauche israélienne. Pendant ce temps, la colonisation continuait en Cisjordanie occupée rendant impossible la création d’un État palestinien sur ce territoire. Pourtant nous ne cessons de répéter : « Mais, en fin de compte, il y aura la solution à deux États ». À mon sens, cette solution n’est plus viable.

Donc, qu’est-ce qui l’est ? Je fais partie d’un groupe de gens qui pense que la solution est une confédération de deux États, un juif et un palestinien chacun avec pleine souveraineté. Ils seraient installés grosso modo selon les frontières de 1967 et sa ligne verte mais, il y aurait une distinction entre la citoyenneté et la résidence. Par exemple, les Juifs qui vivraient dans l’État palestinien continueraient à détenir la citoyenneté israélienne mais devraient obéir aux lois et règles de l’État de leur résidence. Et les Palestiniens.nes vivant disons à Naplouse et qui voudraient vivre à Haïfa, comme un Français de Paris qui va vivre à Berlin, y aurait le droit de résidence et devrait obéir aux lois et règles de l’État israélien. Mais ils pourraient voter pour le parlement palestinien. Jérusalem serait la capitale conjointe des deux États. Des institutions seraient créées pour prendre en charge leurs affaires mutuelles qui seraient liés de très proche par leurs infrastructures comme l’électricité, l’eau etc. Il serait réellement impossible de les séparer. Actuellement, cela ressemble à un rêve, mais à long terme c’est probablement la seule solution viable.

Je veux ajouter une dernière chose qui est très, très importante pour les deux parties ; ces deux États devraient respecter le droit au retour. Les Juifs pourraient dire, comme ils le font en ce moment : « n’importe quel.le juif.ve qui veut devenir citoyen.ne d’Israël, peu importe leur lieu de vie peut le faire ». Et l’État palestinien pourrait dire aux réfugiés.es qui voudraient revenir en Palestine que c’est possible comme de devenir citoyens.nes de cet État selon certaines règles et même que la résidence palestinienne reconnue par le mandat de la Société des Nations aux résidents.es de l’entité géopolitique qui existait entre 1920 et 1948 leur permettrait d’habiter en Israël selon leur désir.

A.G. : Pourquoi pas la solution plus simple d’un seul État ?

O.B. : Je pense que les deux protagonistes n’en veulent pas ni l’un ni l’autre. Les Palestiniens.nes très justement, veulent que leur droit à l’auto-détermination soit respecté et donc avoir leur propre État. De même pour les Juifs.ves. Les uns comme les autres craignent que leur vis-à-vis soit le plus fort. Dans l’état actuel des choses, Israël, l’État d’Israël est bien plus fort militairement, économiquement que les Palestiniens.nes sur ce territoire. Donc, la solution à un seul État ne ferait que perpétuer la suprématie israélienne dans tout le pays.

A.G. : Professeur Bartov, nous vous remercions.

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Juan Gonzalez

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