Édition du 30 avril 2024

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Le blogue de Pierre Beaudet

Confronter la dérive

Il y a dans notre monde actuel ce qu’on pourrait appeler une tendance lourde. Les structures de la gouvernance auxquelles nous avons été habitués pendant quelques décennies sont en train de fondre. Certes, le phénomène n’est pas homogène. Chaque pays a ses singularités, ses trajectoires et on ne peut pas simplifier.

Il est encore tôt pour dire, par exemple, jusqu’où ira la dérive Trump. Il semble qu’il est en train de traverser des « lignes rouges », comme par exemple de dénoncer des juges. Des sections de la bourgeoisie (Silicon Valley) commencent à paniquer sur les interdictions concernant l’immigration. La résistance populaire également est vive d’une manière inhabituelle depuis la marche des femmes sur Washington le 21 janvier dernier. Cela pourrait aller loin en tout cas, d’autant plus que le Parti démocrate, l’« alternance » traditionnelle, est en totale déroute après avoir lamentablement capitulé, notamment lors du gouvernement d’Obama et d’Hilary Clinton, devant les exigences de l’oligarchie de Wall Street.

En Europe, la droite extrême connaît des avancées importantes, devant la déliquescence des partis traditionnels, y compris de la social-démocratie. La dislocation du centre en France est spectaculaire, tant pour les « socialistes » que pour les héritiers du gaullisme. L’Union européenne, contrôlée par les milliardaires et leurs experts patentés, s’approche de l’implosion depuis un Brexit multiforme mené par des droites xénophobes et sans gêne. Mais là aussi, des mouvements populaires persistent et signent contre cette droite décomplexée qui n’ose pas encore sortir ses vieux drapeaux du fascisme.

On pourrait se compter chanceux au Québec et au Canada d’être à l’abri, mais l’est-on vraiment ?

Le discours carrément trumpiste de Kevin O’Leary pourrait aller au loin, dans le dédale des convulsions du Parti conservateur. La haine des autres, notamment du Québec et des autochtones, est le ciment de ce vent conservateur qui avait levé avec Harper, et qui pourrait revenir en force puisque le gouvernement libéral actuel, piétine dans les mêmes sentiers de l’exclusion sociale, faisant des centaines de milliers de « angry white males », comme aux États-Unis.

Au Québec, le vent de droite prend l’allure du nationalisme ethnique, notamment au PQ et à la CAQ. C’est en partie par opportunisme (gagner des votes), en partie parce que le projet de souveraineté n’a pas réussi à intégrer les aspirations légitimes à une autre société dont le socle serait la justice sociale et environnementale.

Le PLQ, par ailleurs, masque mieux ses ambitions de diviser pour régner. Si Couillard et compagnie étaient vraiment soucieux de la condition immigrante, ils changeraient la donne au niveau de l’accès aux professions, de la discrimination et de l’exclusion, au lieu d’attaquer la demande pour la souveraineté en l’associant à l’ethnisme.

En attendant, la société, déjà cassée en deux entre le 1 % et le 99 %, devient encore plus fragmentée. Tout-le-monde-contre-tout-le-monde. On n’est pas sortis de l’auberge.

Il reste un autre obstacle. Des intellectuels de service, désemparés par la dérive, blâment les résistant-es. Selon Christian Rioux (le Devoir), c’est Québec Solidaire et la gauche qui sont responsables de l’impasse politique actuelle, d’une part en « divisant le vote », d’autre part en faisant fausse route en appuyant les revendications des immigrant-es. C’est de notre faute si la sauce nationaliste-identitariste du PQ ne lève pas, car malheureusement, les jeunes sont devenus altermondialistes ! Et en plus, nous sommes responsables de la montée d’une « menace islamiste », d’autant plus que pour lui, elle s’identifie à nos compatriotes qui pratiquent l’islam.

C’est le même message qui est véhiculé par une certaine droite nationaliste sur le site « vigile ». Ce discours haineux, malheureusement amplifié par les médias-poubelles, envahit de larges pans de la société. Maintenant que l’émotion sur le carnage de la grande mosquée de Québec est reléguée, on entend, et pas seulement à Québec, le retour du même refrain.

Cette hostilité à la gauche peut être observée ailleurs. En Angleterre, la fausse social-démocratie de Tony Blair, rejetée par le peuple pour avoir sombré dans le néolibéralisme, dénonce la gauche travailliste, un peu comme on l’entend aux États-Unis contre les partisans de Bernie Sanders. On tente d’amalgamer le populisme réactionnaire à ce que ces intellos au service du pouvoir appellent un dangereux « populisme de gauche ». On cherche à nous convaincre, au bout de la ligne, que le seul choix est entre la droite et l’extrême-droite.

Défendre les intérêts des couches populaires dans toutes leurs diversités reste un impératif pour la gauche. Ce qui exclut toute démagogie ou attirance vers les populismes démagogiques. Ce qui exclut aussi une approche dédaigneuse et sectaire des multitudes diversifiées qui composent le peuple.

Se battre avec et pour le peuple implique de prendre à bras corps les luttes quotidiennes qui visent à améliorer la vie des gens, à ralentir ou même à bloquer l’appétit insatiable du 1 %. Cela implique aussi de se battre contre toutes les discriminations qui sont imposées au nom de valeurs étriquées, qu’elles soient religieuses ou non.

Polariser entre le « nous » et le « eux » porte en germe l’avenir de nos défaites. Si on veut éviter cela, il n’y a d’autres chemin que celui de souder la bataille pour l’émancipation nationale à celle de l’émancipation sociale.

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