Édition du 16 avril 2024

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Nationalisme québécois

Nationalisme québécois : réponse à Mathieu Bock-Côté

D’une fosse commune à l’autre

Le plaidoyer nationaliste de Mathieu Bock-Côté est connu du lecteur du Devoir, tout particulièrement depuis la parution de La dénationalisation tranquille : contre les fossoyeurs de la nation. Il faudrait, selon lui, conjuger souverainisme, nationalisme et référence identitaire, sans quoi le projet d’indépendance resterait factice, inconsistant et peu mobilisateur. L’histoire du mouvement et du discours indépendantistes québécois montre pourtant tout autre chose.

Elle montre que ce qui a mobilisé les gens, ce n’est pas un strict sentiment d’appartenance nationale, mais le lien fort entre le référent national et la lutte contre des dominations. Le nationalisme conservateur de Mathieu Bock-Côté contribue à faire oublier ce trait qui donne sens et légitimité à un mouvement qui autrement risque de s’apparenter à un triste chauvinisme.

Lorsqu’ils publient leurs résolutions en mai 1837, les Patriotes ont à l’esprit des idées et des notions autrement plus mobilisatrices que « mémoire », « patrimoine » ou « tradition » : chez eux, l’« amour du pays » ne se laisse pas séparer de la « haine de l’oppression » et de l’injustice, du devoir de « briser nos chaînes », du « bonheur de résister par tous les moyens actuellement en notre possession à un pouvoir tyrannique ».

Quand, en 1960, à l’ère de la décolonisation, le Rassemblement pour l’indépendance nationale (RIN) publie son premier manifeste, le point de référence fondamental n’est pas la France de de Gaulle, mais les peuples du monde entier qui « s’affranchissent du joug colonial et les nations [qui] revendiquent leur pleine indépendance ». L’« esprit de justice et de liberté pour tous » donne ici lieu à la lutte contre « l’impérialisme britannique [qui] a placé et maintenu le peuple du Québec dans une situation anormale de faiblesse et d’infériorité collectives ».

De même, les textes du Front de libération du Québec, d’avril 1963 à octobre 1970, explicitent bien ce qui anime ses membres qui « se sont rendu compte qu’ils étaient colonisés, dominés, exploités » : c’est « le combat contre les matraqueurs de la liberté et de la justice », pour abolir cette « société d’esclaves terrorisés », c’est la « réponse » qu’il est possible de donner à l’agression « organisée par la haute finance, par l’entremise des marionnettes des gouvernements fédéral et provincial ». C’est l’état d’oppression collective, et non le désir de tisser un lien national fort, qui constitue le principal ancrage de leur lutte.

Les allusions aux diverses hégémonies à combattre — dont les « puissances d’argent du statu quo » (René Lévesque en avril 1970) — resteront présentes dans l’ensemble des discours indépendantistes des décennies qui précèdent le référendum de 1995. Ainsi, au lendemain de la victoire du Parti québécois en 1976, Hubert Aquin, Michèle Lalonde, Gaston Miron et Pierre Vadeboncoeur signent un texte qui parle moins d’affirmation identitaire que de désaliénation et de la nécessité de sortir de la condition de « prolétariat politisé » ravalé par « le pouvoir des autres » (doit-on souligner que les autres, ici, ne sont pas ces « tribus qui immigrent avec leurs costumes, leur religion et leur télévision », comme l’a affirmé Jacques Godbout dans L’actualité).

Ce qui disparaît du discours indépendantiste d’après 1995, c’est peut-être moins la référence nationale, comme le soutient Mathieu Bock-Côté, que la référence émancipatrice. En pourchassant les fossoyeurs de la nation, c’est à un autre enterrement qu’on nous convie.

À l’indépendantisme émancipateur et éventuellement non nationaliste (puisqu’une telle chose existe bel et bien), Mathieu Bock-Côté oppose un nationalisme identitaire qui n’en a que pour le lien social, la communion nationale et une identité collective affirmée avec force par des institutions « solides et robustes ». À mille lieux des militants qui combattent les dominations, ce nationalisme fait très bon ménage — on le voit dans les médias depuis plus d’un an — avec la pulsion xénophobe. Le projet d’indépendance gardera sa signification et sa légitimité s’il demeure un projet de société susceptible de mettre fin à des injustices. Il les perdra s’il ne vise qu’à mettre place un ordre policier où il y aura ceux qui communient aux valeurs et à la mémoire communes et ceux qui ne font pas partie de ce nous. Sans cette lutte, sans cette capacité collective à identifier les forces politiques et économiques qui nous écrasent, l’indépendantisme devient franchement triste et haïssable.

Martin Jalbert et Frédérique Bernier
Doctorants en littérature et professeurs au collégial

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