Édition du 16 avril 2024

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Féminisme

De l’argumentation intersectionnelle

À propos de l’argumentation intersectionnelle portée devant les tribunaux par la Fédération des femmes du Québec, Mme Pelchat1 affirme « que l’on n’a pas attendu cette nouvelle idéologie pour combattre la discrimination de toutes les femmes, quelles que soient leurs origines ou classes sociales. » En passant, le mot idéologie dévalorise subtilement une pensée au lieu de la considérer pour ce qu’elle est ; l’intersectionnalité est d’abord une analyse.

Élisabeth Germain
Publié le 2 mars 2023 dans Le Devoir
Avec l’aimable permission de l’autrice

Effectivement, on n’a pas attendu le mot intersectionnalité pour lutter contre les discriminations croisées. La FFQ n’a formellement adopté le terme d’intersectionnalité qu’en 2015, sans renier ce qu’elle identifiait déjà à la source des discriminations croisées qu’elle combattait depuis vingt ans ; en 2003, sa plate-forme politique déclinait les droits des femmes en prenant en compte «  l’interpénétration des systèmes d’oppression, d’exploitation, de marginalisation ou d’exclusion des femmes à l’échelle de la planète que sont le patriarcat, le racisme et le capitalisme. En effet, les forces conjuguées de ces systèmes perpétuent les inégalités, les discriminations et les violences dont les femmes sont l’objet. »

Le choix de l’analyse intersectionnelle vient souligner que la lutte contre les discriminations, lorsqu’elle se veut universaliste, passe souvent à côté de cette réalité des systèmes de pouvoir.

On est bien loin des concours de victimisation que dénoncent certaines critiques, aveugles aux structures de pouvoir établies qui favorisent les groupes dominants sur les groupes opprimés. Car c’est ici que le bât blesse : l’analyse intersectionnelle met en évidence les privilèges dont jouissent des groupes qui n’ont pas à vivre certaines exclusions, ou des personnes du seul fait d’appartenir à un tel groupe.

Ici les boucliers sont levés. Des hommes trouvent que les féministes exagèrent, en ignorant plus ou moins délibérément la discrimination et la violence vécues par les femmes parce que femmes. Des blancꞏheꞏs trouvent que les antiracistes exagèrent, en minimisant plus ou moins volontairement les discriminations et les violences contre les personnes racisées parce que racisées. Or les femmes blanches savent combien peu d’hommes comprennent ce qu’elles vivent comme groupe dominé ; elles peuvent donc utiliser cette expérience pour interroger leur propre ignorance face au vécu des groupes racisés.

Car il ne s’agit pas de pointer des individus, mais de mettre en évidence les inégalités de pouvoir dans la société. Qui domine la politique ? Qui domine l’économie ? Qui sont les groupes sociaux (parfois minoritaires) qui prennent les décisions affectant la vie de millions d’autres ? Qui consomme l’énergie à un rythme tel que les pays du Sud se retrouvent aux prises avec des catastrophes climatiques et des famines létales ? Et qui se retrouve au bas de l’échelle du pouvoir, à devoir lutter pour sa dignité et sa survie ?

Il faut bien nommer un chat un chat. Le monde est dominé par des systèmes de pouvoir injustes et délétères dont nous ne sommes pas responsables comme individus, mais que nous avons la responsabilité de contribuer si peu que ce soit à transformer. C’est ce que mettent de l’avant les groupes qui promeuvent l’intersectionnalité lorsqu’ils sont poussés par leurs analyses à passer à l’action.

On peut privilégier une autre vision et d’autres stratégies de transformation sociale vers la justice. Universalistes comme intersectionnelles cherchent de bonne foi les voies de passage vers des structures qui assurent les droits de toutes les femmes – et de tous les humains, dans une planète vivable. Il me semble nécessaire, au-delà des radicalités parfois caricaturales des unes et des autres, de reconnaître le droit de cité de diverses options politiques et de combattre sans s’approprier le bon droit pour soi seule.

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