Édition du 26 mars 2024

Une tribune libre pour la gauche québécoise en marche

Éducation

Dépasser le corporatisme pour un rapport de force fondé sur la solidarité

Propositions du SÉSUM – Texte de réflexion

Le SÉSUM est un syndicat de l’Université de Montréal qui représente les étudiant.e.s salarié.e.s en tant qu’auxiliaires d’enseignement et de recherche ainsi que les assistant.e.s techniques. Comme c’est le cas pour les onze autres syndicats québécois du même type, la nature de nos effectifs fait en sorte que nous avons à la fois un pied dans les associations étudiantes et un pied dans le monde syndical. Comme plusieurs autres sections locales universitaires, nous sommes présentement en période de négociation de notre convention collective et, par conséquent, nous pouvons exercer légalement notre droit de grève. Naturellement, comme dans l’entièreté du secteur public, nous goûtons l’amertume de l’austérité en voyant se dessiner une dégradation de nos conditions de travail.

Nous proposons ici un court texte dans le but de stimuler la participation au Rassemblement Syndical en Éducation (RSÉ) et les réflexions qui y auront lieu. Face aux politiques d’austérité d’un gouvernement de plus en plus autoritaire, nous croyons qu’il est urgent de construire un rapport de force que seule peut nous permettre une solidarité intersyndicale dépassant les frontières corporatistes que nous impose le modèle syndical actuel. Cette rencontre représente donc l’occasion du contexte actuel afin de tracer les premiers ponts non seulement entre étudiant.e.s et employé.e.s de tous les niveaux du parcours scolaire – ce vers quoi nous orienterons nos arguments – mais également d’entamer un mouvement qui pourra éventuellement dépasser le secteur de l’éducation afin qu’on puisse se réapproprier nos lieux de débats ainsi que les moyens de pression pour contrer les politiques d’austérité.

Comme l’Institut de recherche et d’informations socio-économiques (IRIS) argumente dans plusieurs études, l’austérité est présentée avant tout comme une fatalité liée à un contexte économique où l’État ne disposerait pas des fonds suffisants pour assurer les services publics et le maintien des conditions de travail actuelles. Face à cette situation, le gouvernement préfère couper dans les dépenses cruciales plutôt que de chercher des solutions de rechange au travers d’une meilleure répartition des richesses. Dans le milieu de l’éducation, les conséquences de l’austérité se traduisent par une augmentation de la taille des classes à tous les niveaux d’enseignement afin de suivre la logique managériale qui réduit l’analyse à des termes quantifiables, ce qui amène la création de cours parfois vides de contenu et la multiplication des certificats. Autrement dit, la quantité de diplômes produits prend la priorité sur la qualité de l’enseignement offert.

Pour les études postsecondaires, cette idéologie s’accompagne également d’un désir de rentabiliser les institutions d’enseignement. Au collégial, le rapport Demers propose des modifications au financement et aux structures qui amèneraient à suivre cette même voie funeste qu’ont prise les universités. Les programmes, arrimés aux demandes du secteur privé seraient dorénavant jugés en fonction de leur utilité économique et de leur taux de diplomation comme s’ils étaient des usines à produire de la main-d’œuvre. Du même geste, les cégeps perdraient peu à peu leur vocation d’enseignement général au profit de la formation dont les acquis deviendraient éphémères et mal adaptés aux changements socioéconomiques ; la liberté des départements et des professeur.e.s seraient minée ; les cours génériques perdraient en importance et les institutions entreraient dans une compétition les forçant à s’engager dans des campagnes publicitaires qui dilapideraient les fonds normalement destinés à l’enseignement tout comme le font déjà les universités depuis la réforme Legault1. Au final le rapport Demers menace donc d’imposer une visée politique qui réduirait toujours plus l’éducation à son aspect économique, favorisant ainsi sa marchandisation et, plus de cinquante ans après s’être affranchie du joug de l’Église, serait assujettie à la force du secteur privé et de l’économie.

Cette tendance est déjà bien enclenchée dans les universités, dont les changements au financement et aux programmes préfigurent déjà ceux qui s’annoncent au niveau collégial. Cela s’accompagne aussi de modifications aux subventions de recherche qui subissent à la fois les coupes de la part du fédéral et d’une préférence pour les projets ayant des retombées économiques directes et facilement quantifiables.
Du côté du SÉSUM, les auxiliaires de recherche subissent les contrecoups des compressions massives des subventions destinées à la recherche fondamentale. Quant aux auxiliaires d’enseignement, depuis le début de la syndicalisation dans les différentes universités, la bataille n’est toujours pas gagnée pour que les heures payées correspondent aux heures travaillées. Or, les pressions exercées par l’administration afin de réduire le coût de l’enseignement forcent les professeur.e.s, ou bien à exploiter davantage les correcteurs et les correctrices, ou bien à se tourner vers des modes d’évaluations plus rapides et donc, inévitablement, de couper dans la qualité de l’enseignement. Pour les assistant.e.s techniques, le manque de formation adéquate met en danger leur prestation de travail dans des endroits tels que les laboratoires, les salles de concert, etc.

En sommes, tous les syndicats du secteur de l’éducation font face à des attaques qui répondent de la même cause, celle des politiques d’austérité. Au-delà de la détérioration des conditions de travail, cette idéologie nous demande également de fermer les yeux sur le dépérissement de ce qui nous attire toutes et tous dans les métiers que nous exerçons, c’est-à-dire la transmission d’une éducation de qualité.
Bien que le Code du travail, de par son encadrement légal du droit de grève pour les travailleuses et travailleurs, limite strictement les revendications possibles des grèves syndicales aux conditions de travail (salaire, avantages sociaux, etc), le démantèlement social causé par l’austérité nous oblige à user d’imagination afin d’élargir le combat. Pour ce faire, la stratégie du Front commun2 sera loin d’être suffisante puisque son comité de négociation est lié légalement à se limiter à des considérations corporatistes et à faire fi que le monstre qu’il tente de combattre est une hydre aux milles-têtes.

Dans ce contexte, il importe de dépasser les limites corporatistes afin de se battre ensemble contre ces politiques délétères. Bien qu’une profonde refonte du système économique soit nécessaire à long terme, il existe des solutions à court terme contre l’austérité. La Coalition opposée à la tarification et à la privatisation des services publics (Coalition main-rouge) fournit déjà plusieurs pistes de solution qui, si elles étaient toutes appliquées, permettraient de renflouer les coffres de l’État d’environ dix milliards de dollars, fournissant suffisamment de fonds pour améliorer le système d’éducation, garder les acquis des conditions de travail dans le secteur public et améliorer le système de santé. L’austérité apparaît donc comme un choix politique visant à enraciner le néo-libéralisme plutôt que comme une fatalité économique. Sur ce combat, les associations étudiantes sont également touchées et attendent que les ponts soient battis afin de mener une lutte élargie et renfoncée. Mais plusieurs obstacles se dressent devant nous avant de pouvoir développer une solidarité forte et large. Nous tenterons maintenant d’en dégager quelques-uns dans le but de préparer les discussions qui auront lieu au RSÉ.

Au printemps dernier, plusieurs associations étudiantes ont débrayé et sont sorties dans les rues pour protester contre l’austérité. Le but était non seulement de défendre l’éducation, mais avant tout d’appuyer les travailleuses et les travailleurs qui s’apprêtaient à entamer un combat pour le maintien des acquis syndicaux. Si, pour plusieurs, cette grève apparaît comme un échec, nous ne partageons pas la même vision. D’abord, malgré son ampleur relativement petite en comparaison avec les grèves de 2012 et de 2005, elle peut être qualifiée d’historique en ce sens que, pour une des rares fois, le mouvement étudiant luttait pour des revendications qui ne touchaient pas directement l’éducation. En effet, le mouvement Printemps 2015 se voulait un mouvement d’appui aux travailleuses et travailleurs du secteur public afin de prôner une solidarité intersyndicale.

L’intensité des mobilisations malgré la violente répression policière aura également permis de préparer la force des contestations du 1er mai et de favoriser la réappropriation du droit de grève et du pouvoir décisionnel par certains syndicats locaux et organismes communautaires. En effet, au sein de la FNEEQ, plusieurs sections locales collégiales se sont organisées pour tenir une journée de grève illégale afin de se joindre à un mouvement de grève sociale auquel ont participé une bonne partie du milieu communautaire et plusieurs associations étudiantes. De nombreuses sections locales ont également convaincu à force d’arguments le congrès du Conseil central du Montréal métropolitain-CSN d’appeler ses membres à participer à la manifestation anticapitaliste tenue cette même journée.

Malgré ces quelques gains, on ne peut nier que le mouvement Printemps 2015 a commis certaines erreurs, mais tâchons d’apprendre d’elles plutôt que de s’en apitoyer. Dans le contexte du RSÉ, ce qui importe le plus de retenir est l’incompréhension mutuelle dont font preuve les associations étudiantes et les syndicats. Du côté étudiant, peu de gens ont compris que les lois entourant le débrayage dans le milieu du travail sont extrêmement rigides et que les sanctions sont très sévères pour ceux et celles qui choisissent de les ignorer. De plus, la culture syndicale qui tend à déléguer le choix des stratégies dans les mains des exécutifs nationaux (comme c’est le cas pour le Front commun) est complètement étrangère pour bon nombre d’associations étudiantes. Ce fossé culturel a précipité un mouvement qui, bien que pertinent en plusieurs points, s’est senti abandonné par les organisations qu’il voulait appuyer. Du côté syndical, le Printemps 2015 est apparu comme désordonné, sans revendications précises, voire un simple spasme d’utopisme et une réminiscence juvénile de la grève de 2012. Quant aux sections locales, notre propre expérience au SÉSUM nous laisse croire que les lieux de rencontre se font extrêmement rares en dehors des instances chapeautées et dirigées par les centrales ou d’autres paliers intermédiaires. Cela nous aura notamment amené.e.s à manquer le bateau pour faire le pont entre le milieu étudiant et le milieu syndical, chose pour laquelle, étant donné notre position, nous aurions été bien outillé.e.s pour accomplir. Si les espaces nécessaires pour dialoguer avec les hautes instances syndicales ou une structure permettant de fédérer des sections locales partageant plus d’affinités existaient, nous aurions pu faire connaître davantage les revendications et le mode d’organisation étudiant. Cela aurait entre autres pu contribuer à assainir l’image médiatique négative qui a discrédité le mouvement du Printemps 2015.
Les problèmes actuels à la formation d’une solidarité intersyndicale et incluant les associations étudiantes sont donc multiples. Ils se situent à la fois dans le manque de communication entre ces deux univers et dans le l’absence d’espaces de rencontre pour les sections locales qui souhaitent dépasser le cadre rigide des enjeux corporatistes imposé par les structures des centrales syndicales. Franchir ces obstacles est, selon nous, la seule option pouvant permettre de construire un puissant rapport de force face au gouvernement. À cet effet, nous croyons que le RSÉ est un événement incontournable pour franchir ces obstacles et nous tenons donc à remercier l’ASSÉ d’avoir pris l’initiative d’organiser cette rencontre dont les résultats reposent à présent dans nos mains à toutes et à tous.

Par le fait même, une telle rencontre constitue un exercice pour toutes les sections locales afin de se réapproprier les décisions d’ordre stratégique et de stimuler la tenue de débats au sein de leurs assemblées générales. En effet, les discussions qui y seront tenues viseront d’une part à établir un ensemble de revendications communes et, d’autre part, à construire une solidarité dans la contestation. Cela nous apparaît comme une nécessité, car les stratégies antisyndicales couramment utilisées laissent présager que le gouvernement tentera de diviser le mouvement en privilégiant un secteur qui, une fois une entente conclue, abandonnerait les autres à une lutte dont les rangs seraient étiolés et sans rapport de force. La seule chose qui puisse nous permettre d’avoir gain de cause est de trouver les bases afin que toutes les sections locales et les associations étudiantes soient solidaires dans la contestation, que les décisions relatives aux grèves et aux négociations soient retirées des mains d’une minorité encore plus liée par les lois et qu’elles soient réappropriées par la base qui forme le corps du mouvement syndical. En conséquence directe, le mouvement de contestation portant tout autant sur les enjeux locaux de chaque syndicat que sur des revendications visant à renverser les politiques d’austérité sera plus à même d’établir un réel rapport de force face au gouvernement afin de protéger les conditions de travail et la qualité des services publics.

Le SÉSUM,
Texte adopté en comité exécutif et élaboré par une consultation
large auprès du Conseil syndical et des membres
[i] Ministère de l’Éducation. 2000. Politique québécoise de financement des universités. http://www.education.gouv.qc.ca/fileadmin/contenu/documents_soutien/Ens_Sup/Universite/PersUniv/ReglesBudgControlesFinan/1410-43.pdf
ASSÉ. 2011. Quand le capital monte à la tête. L’éducation post-secondaire dans l’économie du savoir. http://www.asse-solidarite.qc.ca/wp-content/uploads/2012/11/recherche-economie-du-savoir-bonne-version.pdf

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