Édition du 30 avril 2024

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Environnement

La folle invitation du Québec et Canada au Sommet de l’ambition climatique

Deux modèles de croissance de GES vers un sommet mondial par habitant

Parce que le Québec et le Canada seraient exemplaires mais non les ÉU et la Chine, leurs premiers ministres ont été invités au Sommet de l’ambition climatique ayant eu lieu à New York le 20 septembre, par le secrétaire général des Nations unies. Si le Québec émet par habitant moins de GES que les autres provinces canadiennes, le mérite en revient à la mobilisation nationale du peuple québécois des années 1960-70 qui a imposé l’hydro-électrification tous azimuts… sur le dos des peuples cri, innu et anichinabé et en bouleversant l’écologie de grandes rivières. C’est aussi le peuple québécois contemporain qui a gagné l’inacceptabilité sociale de l’exploration pétrolière et gazière… et l’échec de cette exploration, ce qui a valu au Premier ministre les louanges de Al Gore et cette invitation au Sommet de New York. Pour le reste, on repassera.

Le bilan GES québécois : ça grimpe de nouveau vers les sommets mondiaux par habitant

La bourse du carbone génère une fuite des capitaux vers la Californie, surtout par de douteux crédits forestiers. Les droits d’émission, c’est-à-dire de polluer, sont cumulableset il s’en est trop créé dans les premières années, sans compter les « crédits compensatoires » qui en rajoutent. De conclure le professeur-expert Pinault des HEC : « Tout comme pour les subventions distribuées par le truchement des programmes, il n’y aura pas d’effet concret et notable sur les émissions de GES du Québec. Ce ne sera donc pas avec les programmes actuels ni avec le marché du carbone que nous allons atteindre nos cibles de 2030. » En résulte un prix carbone dissuasif moindre que la taxe carbone fédérale. Mais celle-ci ne fait que modifier les rapports de prix du marché sans procurer un seul sou pour les programmes climatiques :

Quant au fameux Fonds vert [où vont les fonds récoltés par la bourse carbone]… Les uns après les autres, les rapports montrent que l’argent y est mal dépensé. Le résultat global, c’est que les émissions du Québec ne baissent pas. Malgré les milliards brassés, l’objectif ultime de tout le système est raté. Pendant ce temps, la taxe fédérale, elle, est retournée dans les poches des citoyens (car il s’agit en fait d’une redevance). Le gouvernement du Québec est chanceux que ces enjeux soient complexes et que les citoyens ne passent pas leurs pause-café à comparer les systèmes. Sinon, il y aurait sans doute beaucoup plus de pression pour que le Québec laisse tomber son marché du carbone et adopte la taxe fédérale.

Les émanations totales de GES du Québec, après avois décru de 8% entre 1990 et 2016, ont regrimpé de 5% de 2016 à 2019 (l’année pandémique 2020 est atypique). Sans oublier le secteur industriel, c’est toujours celui des transports qui bat la marche entre autres à cause des véhicules plus énergivores et du continuel étalement urbain contre lesquels le gouvernement ne veut pas sévir. La cible de baisse de 37.5% de GES en 2030 par rapport à 1990, inchangée depuis 2015, manque d’ambition vis-à-vis la cible 1.5°C du GIEC-ONU. Étant donné la responsabilité des pays anciennement industrialisés, il faudrait que ce soit 65%. De plus, les mesures prévues actuellement par le Plan Vert ne permettent, selon Greenpeace, qu’au mieux d’atteindre 60% de sa cible de réduction des GES pour 2030.

Les émissions de GES par habitant du Québec, entre huit et neuf tonnes par année d’équivalent CO2, sont le double de la moyenne mondiale. « Pour espérer respecter l’objectif le plus ambitieux de l’Accord de Paris, soit limiter les dérèglements du climat à +1,5°C, les émissions par citoyen ne devraient pas dépasser les deux tonnes. » Il est cependant exact que l’hydroélectricité permet au Québec d’émettre en termes d’émissions de GES par habitant issues de la consommation, toutes sources de production confondues provenant tant du Québec qu’hors Québec, de la moitié aux deux tiers [Grand angle, Hélène Buzzetti] de la moyenne canadienne. Par contre, « le Québec est un ‘’leader’’ en matière de surconsommation d’électricité. ‘’Nous consommons des quantités d’énergie par habitant à peu près équivalentes aux moyennes canadienne et américaine’’ [selon le professeur Pineault], mais aussi ‘’près de quatre fois supérieures à la moyenne mondiale ».

Le bilan GES canadien : pire que le bilan québécois avec en plus une touche de cynisme

On peut aussi s’interroger sur la pertinence de l’invitation du Premier ministre canadien à s’adresser au Sommet de l’ambition climatique alors que « la secrétaire générale adjointe aux communications à l’ONU, Melissa Fleming, a souligné d’entrée de jeu que le Canada est l’un des pays à avoir le plus augmenté sa production de combustibles fossiles l’année dernière. » Après une baisse de ses émissions de 8% entre 2007 et 2009 suite à la crise économique, celles-ci ont augmenté de 5% de 2009 à 2019 (les années pandémiques 2020 et 2021 sont atypiques) et restent supérieures de plus de 20% par rapport à 1990. Est-ce à cause de son annonce de la fin des subventions « inefficaces » n’annulant en rien ni les prêts aux pétrolières ni les généreuses subventions pour le captage et la séquestration de GES ?

« En pleine semaine du Sommet de l’ambition climatique des Nations unies, le gouvernement Trudeau et celui de Terre-Neuve-et-Labrador ont annoncé leur intention d’ouvrir des milliers de kilomètres carrés supplémentaires de milieux marins aux projets d’exploration pétrolière. […] Une partie d’un bloc chevauche la zone de protection de la biodiversité marine la plus importante de l’est du pays. » Plus cynique, tu meurs. Ce pied de nez ridiculisait ces « plus de 250 organismes de 30 pays [qui] ont envoyé une lettre au premier ministre Trudeau pour lui demander non seulement de tenir sa promesse, mais de réduire de 60 % les émissions du secteur fossile par rapport au niveau de 2005, d’ici 2030. »

Comme compensation, suffisait-il que le Canada fasse une ambigüe promesse de règlement sur le plafonnement des émissions de GES du secteur du pétrole et du gaz avant la fin de l’année et une autre sur un prochain cadre réglementaire pour réduire les émissions de méthane de 75 % tout en se comparant avantageusement au bilan des Conservateurs ? Ce règlement de plafonnement se résigne d’avance à ce que la carboneutralité de 2050 préconisée par le GIEC-ONU permette la production de 25 millions de barils de pétrole par jour soit le quart de la production mondiale actuelle. Pas étonnant qu’il exclut les émissions de la combustion des ressources exportées et reste agnostique à propos de la croissance de la production de pétrole et de gaz, responsabilité mise au compte des entreprises et des provinces dont c’est la compétence constitutionnelle et sachant que l’Alberta et Terre-Neuve-et-Labrador souhaitent faire croître leur production.

Le Québec et le Canada dans la même eau sale suant le pétrole que les ÉU et la Russie

Ce n’est pas pour rien que le récent rapport de Oil Change International affirme que « [l]es États-Unis sont le démolisseur en chef de la planète, représentant plus d’un tiers de l’expansion pétrolière et gazière mondiale prévue jusqu’en 2050, suivis par le Canada et la Russie. » Que le Canada se retrouve dans la même eau sale que les ÉU et la Russie à propos de l’avenir pétrolier et gazier — et si le charbon avait fait partie de l’équation il aurait fallu ajouter la Chine et l’Inde — pose la question de leur rapport à la guerre contre l’Ukraine. Les actuelles tergiversations face au soutien à l’Ukraine sont cyniques quand on pense que l’actuelle difficulté de la contre-offensive ukrainienne pour sa libération nationale est due en grande partie aux hésitations du soutien armé de ses alliés. La contribution du Canada, relative à son PIB, reste modeste même s’il est «  terre d’accueil de la deuxième diaspora ukrainienne en importance dans le monde ». Est encore plus faible le soutien occidental au peuple birman en guerre civile contre la barbare armée au pouvoir suite à un coup d’état et dépendant de ses exportations pétrolières.

Que ce soit une prolongation de la guerre ukrainienne suite à une fixation des fronts ou une défaite ukrainienne tonifiant l’impérialisme russe, grand producteur de pétrole et gaz, et par là les rivalités inter-impérialistes, la production des énergies fossiles en sortira gagnante. Le secteur militaire en effet carbure aux énergies fossiles : « l’empreinte carbone de l’armée mondiale représente environ 5,5 % du total des émissions mondiales de gaz à effet de serre. » Par contre, une victoire du peuple ukrainien contre l’impérialisme russe serait une victoire de tous les peuples contre tous les impérialismes et par là contre le militarisme. C’est d’ailleurs cette possibilité qui explique les tergiversations du soutien des impérialistes occidentaux qui souhaitent une rapide paix négociée qui serait de facto une défaite ukrainienne mais aussi un gage de guerre future car ne satisfaisant pas l’objectif russe de contrôle de l’Ukraine.

Le chemin pour ne pas dépasser 1.5°C passe d’abord par une drastique réduction de l’énergie

Est-il nécessaire de préciser que ni le Sommet de l’ambition climatique ni l’état de la géopolitique mondiale n’annoncent que seront atteintes les cibles du GIEC-ONU pour que la température de la terre ne dépasse de 1.5°C la moyenne préindustrielle. L’une des plus fiables ONG mondiales, Carbon Action Tracker (CAT), vient tout juste de publier ce qui devrait être le parcours du monde, et de seize pays mais malheureusement non le Canada, d’ici à 2050 pour demeurer sous la barre de 1.5°C. En résumé :

Le CAT estime que, pour s’aligner sur 1,5°C, les pays devraient viser à parvenir à une électricité propre d’ici 2040 — dans l’espace d’une génération — et se soutenir mutuellement pour atteindre ensemble de ces objectifs.

  • Les pays développés devraient prendre l’initiative en éliminant progressivement le charbon d’ici à 2030 et le gaz fossile sans restriction [de capture et de séquestration de carbone] d’ici à 2035.
  • Même si le rythme d’action pourrait être plus lent dans les pays en développement que dans les pays plus riches, ils devraient toujours viser à éliminer le charbon et le gaz fossile pour produire de l’électricité d’ici 2040.
  • Une transition du secteur de l’électricité alignée sur 1,5°C sera portée par les énergies renouvelables, en particulier l’éolien et le solaire. D’ici 2030, la part mondiale des énergies
  •  % dans des trajectoires compatibles avec 1,5°C, en croissance à 93 à 98 % d’ici 2040 et à 95 à 100 % d’ici 2050.
  • Même si le déploiement des énergies renouvelables commence à s’accélérer, il existe encore un écart d’ambition important d’ici 2030 qu’il faudra fermer. Au rythme actuel, le monde est en passe d’atteindre environ 50 % d’électricité renouvelable d’ici 2030.
  • Il est inquiétant de constater que les pays continuent de construire de nouvelles centrales électriques au charbon et au gaz, ce qui représente un menace critique pour l’Accord de Paris.
  • Il existe actuellement 558 GW de centrales au charbon en projet ou en construction dans le monde. De ce total, 205 GW sont déjà en construction, presque entièrement en Chine, en Inde et en Indonésie.
  • Le pipeline mondial pour les futures centrales à gaz fossile est désormais plus important que celui des centrales électriques au charbon, avec environ 790 GW de centrales au gaz fossile en construction ou proposées. Contrairement au charbon, où les plans de développement sont limités à un petit sous-ensemble de pays, la ruée vers le gaz est mondiale, presque tous les pays envisagent de construire de nouvelles centrales à gaz fossile.
  • Le CAT constate également que le captage et le stockage du carbone (CSC) joueront, au mieux, un rôle mineur dans le secteur de l’énergie. […] Compte tenu de la réduction rapide des coûts des énergies renouvelables et du stockage qui ne sont pas encore pleinement reflétés dans les modèles, il existe de fortes raisons de croire que le captage et la séquestration de carbone n’aurait pratiquement aucun rôle dans le futur secteur de l’électricité.

Les quatre graphiques du rapport montrent que de 2022 à 2050 la trajectoire prévue, dépendant de la variable analysée, doit soit plonger soit grimper en flèche. L’optimisme de commande à la ONG, subventions obligent, indique certes que la voie de la rédemption vers le 1.5°C reste ouverte. N’empêche, le brusque tournant des courbes en 2022 démontre qu’il y faut une rupture sans compter que cette trajectoire ignore les points de bascule et fait l’impasse sur le nucléaire.

On peut cependant deviner une message caché, subliminal. L’axe vertical des graphiques — l’axe horizontal est le temps — est toujours exprimé en termes relatifs, c’est-à-dire en portions ou ratios. Est rejeté l’usage habituel de données absolues, telles les gigatonnes de GES en termes d’équivalent de CO2 ou de térawatts-heure d’électricité propre. Le message d’avant-scène axé sur les énergies renouvelables laisse la porte ouverte à une interprétation mettant d’abord de l’avant la réduction drastique de la demande d’énergie. Pour les deux cas, les graphiques seraient les mêmes en autant que la baisse de la demande s’accompagne d’un passage aux énergies renouvelables.

On ne fera pas l’économie de l’écosocialiste rupture révolutionnaire qu’annonce le Front commun

Pour les écosocialistes tenant d’une société de plein emploi écologique, la question énergétique clef pour s’attaquer à la crise climatique n’est pas de booster les énergies renouvelables y compris l’hydroélectricité. Celles-ci chamboulent la nature par le nouvel énergivore extractivisme minier et autres filières batteries, par le tout aussi énergivore étalement urbain et par la polluante et dévoreuse de forêts agriculture carnée sans compter l’asphyxie des paysages. Il s’agit de réduire drastiquement le besoin d’énergie sans réduction du bien-être.

On y arrive en révolutionnant l’habitation par du logements social écoénergétique, la densification et la mise à niveau écoénergétique du déjà-bâti et l’interdiction de la construction de maisons unifamiliales et en rangée ; en révolutionnant l’aménagement urbain à assoir sur le transport actif et en commun et sur l’arrêt net de l’étalement urbain ; en révolutionnant le transport par l’interdiction à terme — 2030-2040 — de tout véhicule privé et par le transport en commun gratuit jusqu’au moindre village avec un complément d’autopartage communautaire ; en révolutionnant l’alimentation par l’agriculture biologique dont urbaine sans production carnée sauf marginale. Ainsi, l’actuelle production hydroélectrique et éolienne québécoise suffira amplement.

Les médias québécois ont à peine souligné que à l’occasion de ce Sommet de l’ambition climatique, « dimanche le 17 septembre, quelque 75 000 personnes sont descendues dans les rues de New York pour réclamer des mesures plus énergiques contre le changement climatique. La manifestation était "beaucoup plus axée sur les combustibles fossiles et l’industrie que les marches précédentes", a écrit l’Associated Press. Le lendemain, plus de 100 manifestants ont été arrêtés devant la banque de la Réserve fédérale de New York, selon Inside Climate News. »

Pour l’instant, réformistes conséquents et écosocialistes s’allient contre les énergies fossiles. Il revient aux écosocialistes de convaincre leurs alliés de réclamer leur socialisation tout comme celle de la Finance, telle la Banque Royale. Il ne s’agit pas seulement de couper les vivres aux pétrolières et consorts mais aussi de bloquer la voie au nouvel extractivisme tout électrique afin de prendre le chemin de la société écoféministe de prendre soin des gens et de la terre-mère à laquelle nous invite, pas toujours consciemment, le Front commun du secteur public.

Marc Bonhomme, 24 septembre 2023

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