Édition du 3 décembre 2024

Une tribune libre pour la gauche québécoise en marche

Asie/Proche-Orient

Du Bangladesh à l’Indonésie. « Ce que nous pouvons faire pour les vivants »

« Prie pour les morts et bats-toi

férocement pour les vivants ! »

Mother Jones (1837-1930)

Alors que le nombre de morts parmi les travailleuses du textile dans l’effondrement d’un bâtiment au Bangladesh a atteint plus de 1100 personnes, il est temps de commencer à protéger les vivants de prochains « accidents » ainsi que de la pauvreté écrasante de salaires de famine. Déjà, alors que j’écrivais cet article, au moins deux travailleurs ont été tués au Cambodge à la suite de l’effondrement du toit d’une usine de baskets.

Lorsque des entreprises transnationales sont prises dans un désastre aussi terrible pour leurs « relations publiques » que la mort des travailleuses au Bangladesh, la réponse classique consiste à annoncer qu’elles vont signer un code de conduite afin d’assurer que cela ne surviendra jamais plus.

Ces codes de conduite possèdent généralement deux choses en commun : ils sont inefficaces et n’apportent pas grand-chose si ce n’est rien dans la capacité des travailleuses à se défendre elles-mêmes.

Dans les semaines qui ont suivi le désastre du Bangladesh, un groupe d’entreprises transnationales – comprenant Calvin Klein, Tommy Hilfiger et Izod – ont bien entendu annoncé soutenir un nouveau code de conduite dont elles affirment qu’il encouragera des normes de construction sûres en mettant en place des inspections d’usine indépendantes. Elles ne prétendent même pas « allouer » des salaires décents, des conditions de travail sûres ni même le droit d’organiser des syndicats.

Ainsi que deux journalistes du New York Times, Steven Greenhouse et Jim Yardley, l’écrivent la réalité est que « non seulement les salaires sont les plus bas au monde, mais aussi que les syndicats, qui font face à des obstacles à leur organisation, sont largement absents des usines textiles. Certaines travailleuses qui ont tenté d’organiser des syndicats ont été licenciées ou harcelées. »

Mais même ce nouveau code inefficace a pourtant été considéré comme allant trop loin par des entreprises comme Gap et Traget, ainsi que pour Wal-Mart et J.C. Penny, qui vendent des jeans fabriqués dans l’édifice qui s’est effondré. Gap a déclaré qu’elle craignait que des entreprises américaines soient poursuivies en justice si des travailleuses mouraient dans un incendie d’usine ou dans son effondrement.

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Il existe des dizaines de ces codes de conduite. Dans son ouvrage Monitoring Sweatshops [littéralement « surveiller les ateliers de sueur » ; Ed. Temple University, 2004], Jill Eshenshade cite Enriqueta Soto, une travailleuse du vêtement qui a travaillé dans une entreprise de Los Angeles « soumise » à ces codes : « J’ai travaillé pendant 17 ans dans l’industrie textile. Mon expérience dans cette industrie était vraiment difficile. Dans la plupart des ateliers aucun salaire minimum n’est garanti. Le travail supplémentaire n’est pas payé. Les vacances ne sont pas payées. Il n’y a pas de congés payés. Nous n’avons pas d’assurance-maladie.
Selon mon expérience, là où existe un système de contrôle les conditions sont identiques. Nous ne pouvions pas nous plaindre auprès des personnes qui faisaient ces contrôles. Lorsque l’une de mes collègues a décidé de parler aux fabricants, lorsqu’elle a décidé d’élever la voix, ils ont simplement décidé de nous punir, ils nous ont donc retiré le travail. Ainsi 400 d’entre nous avons perdu notre emploi. Ils ont fermé l’usine. »

La Fair Labor Association (FLA – Association pour le travail juste) soutient le code de contrats d’entreprise le plus connu. Ce code se présente avec un pedigree d’entreprise impeccable puisqu’il a été créé par des entreprises transnationales du vêtement en accord avec le président d’alors, Bill Clinton. La FLA est financée par les mêmes entreprises qu’elle est censée contrôler parmi lesquelles Nike, Reebok et Adidas.

Aussitôt que les entreprises signent le code FLA, elles peuvent coudre un label sur leurs vêtements certifiant qu’ils ont été produits dans de justes conditions. Il ne s’agit pas seulement de bonne publicité, mais il y a très peu de risques qu’elles soient attrapées violant le code. Seules 10% des usines d’une entreprise sont inspectées chaque année et les entreprises peuvent sélectionner leurs propres contrôleurs. Dès lors qu’une entreprise sait à l’avance quelles sont les usines qui seront contrôlées, il faudrait être incroyablement idiot ou paresseux pour être attrapé.

Bien que le code de conduite comprenne la « reconnaissance des droits des travailleurs à la liberté d’association et à la négociation collective », le FLA protège avec constance les entreprises contre les travailleurs :

• L’entreprise Primo, au Salvador, qui a signé sa participation à la FLA, Eddie Bauer, a licencié et placé sur liste noire les membres syndiqués de son usine de telle sorte qu’aucune autre entreprise ne les emploie.

• Les travailleurs de l’usine mexicaine Kukdong, qui fabrique des chaussures pour Nike, furent battus par la police antiémeute alors qu’ils revendiquaient leurs droits. Nike a fait mention de Kukdong comme d’une usine modèle.

• Des centaines de travailleurs de l’usine PT Victoria, en Indonésie, ont perdu leur emploi après avoir travaillé plusieurs tours de 24 heures afin de terminer des commandes passées par Eddie Bauer. La FLA a accrédité les standards de travail d’Eddie Bauer malgré le fait qu’elle devait plus d’un million de dollars aux travailleurs.

• Gildan Acrivewwear, un autre adhérant de la FLA, a licencié illégalement plusieurs dizaines de travailleurs qui tentèrent d’organiser un syndicat. Cela n’a pas empêché la FLA de garder Gildan comme membre de plein droit.

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La United Students Against Sweatshops (USAS – Etudiants unis contre les « ateliers de sueur ») a développé le Workers Rights Consortium (WRC – consortium des droits des travailleurs) comme alternative à ces codes de conduite pro-entreprise. L’USAS a apporté le dynamisme des mouvements étudiants dans les campagnes pour la responsabilité sociale [des entreprises] par des sit-in, des débats publics et des manifestations ainsi qu’en faisant parler dans les universités de véritables travailleurs de sweatshop.

Le WRC exige des entreprises qui fabriquent des vêtements pour les collèges et les universités de respecter un code qui comprend des salaires décents, la protection des droits des femmes, une information publique, des contrôles indépendants ainsi que – ce qui est peut-être le plus important de tout – le droit d’organiser des syndicats.

Les universités parties achètent des vêtements provenant uniquement des fabricants qui adhèrent à ce code. Les entreprises qui violent le code peuvent perdre leur accord de licence ainsi que, avec elle, l’accès au business lucratif que constitue la vente de vêtements portant le nom et le logo d’universités.

A la différence de la FLA, le WRC contrôle 30% de toutes les usines couvertes par le code et toutes les usines dans un pays dans lequel les droits élémentaires des travailleurs sont inexistants. Les syndicats locaux, des associations des droits humains ainsi que des groupes religieux, et non les entreprises, décident quelles sont les usines à inspecter. Lorsqu’ils discutent avec des travailleurs cela se passe dans des localités éloignées des usines, dans un endroit choisi par les travailleurs eux-mêmes. C’est là une garantie à ce que les employeurs n’interfèrent pas dans les contrôles.

L’importance de l’USAS et du WRC va au-delà du nombre de travailleurs couverts par leur code, fabriquant des vêtements pour le relativement petit marché des collèges et universités. Ces groupes font la démonstration que les entreprises peuvent être contraintes à payer des salaires décents et à fournir des conditions de travail sûres plutôt qu’œuvrer dans des ateliers de sueur. Par-dessus tout, en insistant sur le droit d’organiser des syndicats, ils permettent aux travailleurs et travailleuses d’être eux-mêmes en capacité de gagner les changements dont ils ont besoin.

Les travailleurs et travailleuses n’ont pas besoin de contrôleurs indépendants pour identifier les problèmes dans leurs ateliers. Les travailleurs et travailleuses du vêtement qui sont morts dans le bâtiment qui s’est effondré au Bangladesh savaient que la structure était dangereuse : ils-elles ne sont entrés qu’une fois que les employeurs les menacèrent de baisser leurs salaires ou de les licencier. Les travailleurs n’ont pas besoin de statisticiens pour évaluer le montant d’un salaire décent : ils connaissent la réalité quotidienne qui est celle de tenter de nourrir leurs familles.

Tout ce dont les travailleurs et travailleuses ont besoin c’est de la capacité de réaliser des changements qui leur soient favorables, des changements qu’ils maîtrisent, au cours de conflits. Cela débute par la reconnaissance des syndicats et la négociation collective, qui est le résultat d’une bataille, un moment de « paix » dans une lutte de longue durée.

Les étudiant·e·s du monde et les syndicats ensemble peuvent aider fortement les travailleurs à améliorer leurs conditions de vie en combattant pour les droits des travailleurs autour de la planète. C’est ce qui fait de la United Students Against Sweatshops et du Workers Rights Consortium un espoir pour l’avenir.

(Traduction A l’encontre ; article publié le 21 mai 2013 dans SocialistWorker.org)

Sandy Boyer

Rédacteur pour le site SocialistWorker.org

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