Édition du 16 avril 2024

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Syndicalisme

Entrevue avec le président de la CSN - Jacques Létourneau à propos des prochaines négociations du secteur public

Les réponses retranscrites reprennent l’essentiel du propos qui étaient beaucoup plus élaborés.

1. Contexte politique des prochaines négociations de 2015

Le gouvernement Couillard a multiplié les déclarations pour affirmer qu’il vise l’équilibre budgétaire et que celui-ci passe par des coupures de l’ordre de 3,7 milliards dans les dépenses publiques. Il a également affirmé que la pertinence de tous les programmes serait évaluée. Ces négociations sont donc éminemment politiques.

- Qu’oppose la CSN à la politique d’austérité du gouvernement libéral ? - quelle est sa réponse à la priorité donnée à la poursuite du déficit zéro ?

Le gouvernement Couillard et ses alliés patronaux font une priorité de l’atteinte de l’équilibre budgétaire. Ils ont marqué beaucoup de points auprès de la population. Cela fait vingt ans que les gouvernements coupent dans les services publics et ils continuent de dire qu’il faut couper.

La dette est importante, mais elle n’est pas catastrophique. Et puis, il y a une bonne et une mauvaise dette. Ce n’est pas en donnant la priorité au paiement de la dette tout en s’attaquant aux services publics que l’on va améliorer la situation. Quand on voit que la population a voté pour le Parti libéral et pour la CAQ, il y a un important travail d’éducation populaire pour montrer la nécessité de nos interventions et de nos revendications pour défendre les services publics. On a rencontré le ministre des Finances, M. Leitao. On lui a demandé de reporter à plus tard l’atteinte du déficit zéro et on lui a expliqué que la poursuite du déficit zéro risque de provoquer un nouveau ralentissement économique et que ce n’est pas de cette façon qu’on va atteindre l’équilibre budgétaire. Le gouvernement parle d’une commission sur la fiscalité. Mais cela ne risque pas d’aller dans le sens des revendications que l’on met de l’avant.

2 . Les points centraux de la plate-forme

Le front demande des hausses annuelles moyennes de 4,5 % pour les trois prochaines années et l’amélioration des conditions de travail. Le gouvernement affirme vouloir augmenter la productivité, renforcer les contrôles de tout genre et bloquer l’augmentation du personnel dans le secteur public.

- Comment voulez-vous améliorer les conditions de travail ?

Et il y a une détérioration des salaires par rapport au secteur privé. Le retard salarial est de 8,2 %. Le rattrapage est nécessaire pour conserver la possibilité de renouveler le personnel du secteur public. Il faut en finir avec un mythe, celui de la sécurité d’emploi dans le secteur public. Nombre de travailleurs et de travailleuses que ce soit dans l’éducation et la santé vivent la précarité d’emplois. On se rappelle ce qui est arrivé avec les sommets économiques en 1996. Des milliers de personnes ont quitté et cela a amené tant une détérioration des services publics que des conditions de travail. Quand le gouvernement parle d’augmenter la productivité, il croit qu’on peut faire plus avec moins. Cela n’est pas possible. Il va falloir faire tout un travail d’explication contre ces arguments du gouvernement. On a un immense travail à faire à ce niveau pour démontrer à la population la justesse de nos revendications et la nécessité d’investir dans les services publics.

3. La mobilisation des membres

La CSN affirme dans son texte « les services publics : une vision pour le Québec : Notre capacité de contraindre notre employeur-législateur, afin d’obtenir les gains désirés, se mesure notamment par le taux d’appui de la population à nos revendications. »

La consultation des membres, jusqu’ici montre-t-elle un ralliement aux revendications mises de l’avant par le Front commun et une volonté de se battre pour ces dernières ?

La priorité est de faire les discussions avec nos membres pour démontrer l’importance du défi qui est devant nous. Une fois qu’on aura construit cette base, on devra démontrer aussi à la population l’importance de nos revendications pour défendre les services publics, pour le renouvellement du personnel qui y travaille et pour le maintien de leur accessibilité pour la population.

Quelles actions et types de lutte sont envisagées pour construire le rapport de force qui fera reculer le gouvernement libéral ?

Pour construire le rapport de force, il faut également convaincre les membres de passer à l’action, car il faudra être capable d’exercer des moyens de pression pour appuyer nos négociations. Il faudra convaincre nos membres de poser des gestes qui pourront amener le gouvernement à négocier.

4. Une alliance au-delà du Front commun pour gagner la population à ses objectifs

De nombreux mouvements sociaux refusent les politiques d’austérité du gouvernement Couillard : Coalition pour la justice sociale, l’ASSÉ et tous les opposants l’augmentation des frais de scolarité, les groupes de femmes qui dénoncent les politiques d’austérité de ce gouvernement qui les cible, les groupes pour une réforme de la fiscalité qui veut favoriser une redistribution de la richesse...

 La défense de la légitimité des demandes syndicales dans la population devrait-elle conduire à une reprise par le Front commun des revendications des mouvements sociaux ?

On ne fera pas faire la lutte par les autres. Le mouvement syndical doit pouvoir mener la lutte pour ses propres revendications. Une première démarche unitaire pourra se faire dans le contexte des consultations prébudgétaires. Il faut se mettre d’accord avec les autres forces populaires, sur les revendications qu’il faut mettre de l’avant, sur la nécessaire réforme progressiste de la fiscalité, sur le réinvestissement dans le secteur public, sur le refus de la privatisation des services publics. Ce sera le moment de faire une plate-forme commune et de construire une alliance dans l’action.

5. Le congrès de la CSN et les défis du syndicalisme

La CSN tiendra son congrès dans les prochains jours. Les congressistes vont aborder des questions importantes : lutte contre la sous-traitance, plan d’action pour la réforme de la Loi sur les normes de travail, défense de la qualité et de la santé au travail, construction d’alliances au niveau pancanadien pour résister à l’offensive du gouvernement Harper, construction d’alliances pour renforcer les rapports de force en négociation, États généraux sur le syndicalisme, lutte pour un nouveau modèle de développement pour protéger notre environnement...

Ce type de question ne posent-elles pas la nécessité d’une intervention directement politique et de ne pas laisser aux partis néolibéraux l’ensemble du champ politique ?

On a une préoccupation pour la création d’un deuxième front, à la manière de Marcel Pépin. Il ne s’agit pas de coller la situation actuelle sur les années 60. Elle est différente, particulièrement à cause de la mondialisation. Mais il faut élargir le champ du syndicalisme. On ne peut pas rester simplement dans une logique de négociation corporatiste. Il faut dépasser ce cadre. Il faut occuper le terrain de l’éducation politique et mener la lutte d’idées pour contrer le discours néolibéral qui est aujourd’hui dominant. Il faut se préoccuper des personnes qui vivent la précarité et qui ne sont pas syndiquées. On envisage de mettre de l’avant des formes d’organisation qui leur permettront d’améliorer leur résistance aux conséquences de la précarité vécue.

Pour répondre plus directement à la question, la CSN n’a jamais soutenu un parti politique particulier. Mais il n’en reste pas moins que dans les différentes réunions des instances syndicales, on se retrouve devant des militantes ou des militants qui sont du Parti Québécois, de Québec solidaire, d’Option nationale ou du Parti vert. Et nous les encourageons à agir sur la scène politique et à renforcer les partis qui reprennent à leur compte les revendications du mouvement syndical. On veut poser la nécessité de participer aux défis qui nous sont posés actuellement par les gouvernements en place qui s’attaquent au mouvement syndical. Il est tout à fait nécessaire de dépasser le cadre corporatiste pour parvenir aux objectifs que nous poursuivons.

Bernard Rioux

Militant socialiste depuis le début des années 70, il a été impliqué dans le processus d’unification de la gauche politique. Il a participé à la fondation du Parti de la démocratie socialiste et à celle de l’Union des Forces progressistes. Militant de Québec solidaire, il participe au collectif de Gauche socialiste où il a été longtemps responsable de son site, lagauche.com (maintenant la gauche.ca). Il est un membre fondateur de Presse-toi à gauche.

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