Édition du 16 avril 2024

Une tribune libre pour la gauche québécoise en marche

Europe

Europe : sur les lieux de travail, dans la rue et dans les urnes... Dire non aux solutions capitalistes

Au début de ce mois d’avril, tous les indicateurs économiques annoncent le retour imminent de la récession en Europe. En Grèce, mais aussi au Portugal, les thérapies de choc imposées par la troïka (Commission, BCE et FMI), relayée par la droite et la social-démocratie, ressemblent à s’y méprendre aux plans d’ajustement structurel appliqués aux pays du Sud dans les années 1980 et 1990. Elles visent à accroître massivement l’exploitation du travail (ramener les salaires des Grecs au niveau de ceux des Bulgares) et à exproprier des pans entiers du patrimoine commun et des services publics pour les transformer en actifs rentables pour le secteur privé.

Europe solidaire sans frontières

L’Italie et l’Espagne inaugurent une voie à peine différente, qui pourrait devenir la clé de voûte du «  modèle européen  »  : dynamiter les droits et protections du monde du travail pour laisser les marchés creuser les différences sociales (pression accrue sur les jeunes, multiplication des contrats précaires) et paupériser de larges secteurs de la population. La décision de la Commission européenne de donner libre cours à la concurrence au détriment des droits collectifs des travailleurs (Monti II) valide clairement cette orientation. C’est pourquoi, les grèves générales à répétition en Grèce, la grève générale portugaise du 22 mars, celle du 29 mars dans l’Etat espagnol, mais aussi les mobilisations en cours en Italie indiquent le chemin de la riposte.

La France connaît un autre type de polarisation, en marge du premier tour des élections présidentielles  : 120 000 manifestants à la Bastille le 18 mars, et 23 000 dans la salle et autour du Grand Palais de Lille, le 27 mars, pour soutenir la candidature de Jean-Luc Mélenchon, qui témoigne du large rejet des politiques néolibérales menées par la droite et la social-démocratie. Au moment où nous bouclons, les sondages d’opinion placent le leader du Front de gauche devant François Bayrou et au coude à coude avec Marine Le Pen. Si un tel résultat se confirme, il permettra de renouer avec les scores conséquents des forces à la gauche du PS d’avant 2007. Mais cette fois-ci, l’enthousiasme se concentre largement sur une seule candidature, qui parvient à rassembler de larges soutiens. L’espoir naît qu’une autre politique soit possible…

L’optimisme de la volonté donne certes une force extraordinaire, mais à condition d’être questionné par le pessimisme de la raison, qui exige de réfléchir constamment aux conditions de réalisation de ses aspirations – fussent-elles à contre-courant – et de s’organiser en conséquence. C’est pourquoi, la question du programme et de l’organisation de la gauche radicale reste la question clé de notre période afin de transformer l’espoir – notamment de celles et ceux qui perçoivent la candidature Mélenchon comme un premier pas vers une alternative radicale – en une force irrésistible. Le NPA a échoué pour le moment à incarner ce projet, qui reste pourtant d’une actualité incontournable1.

Il faut donc saluer la dynamique du mouvement porté par le Front de Gauche. D’abord noter certaines avancées de son programme  : augmentation du SMIC (de 20 % tout de suite), retraite à 60 ans, acquisition automatique de la nationalité française à tout enfant né en France, planification écologique et prise en compte de la dette écologique, inscription du droit à l’avortement dans la constitution, lutte contre les inégalités entre femmes et hommes, 6e République, etc. Mais en prenant conscience qu’il ne se prononce pas clairement sur des questions aussi essentielles que le moratoire (au moins) de la dette publique (1720 milliards d’euros), le financement du programme social annoncé qui implique d’importants transferts de revenus, les dépenses militaires, l’immigration ou la sortie du nucléaire.

Ce serait bien sûr un formidable motif de satisfaction que le vote pour Mélenchon dépasse celui pour Le Pen, mais il n’enlèverait rien à la nécessité d’approfondir la lutte contre le chauvinisme «  républicain  » afin de permettre l’organisation des millions de précaires, français ou étrangers, en particulier d’origine maghrébine, victimes du racisme islamophobe, qui ne participent que peu – et pour cause – à la fièvre des présidentielles. Que peuvent bien penser en effet les héritier·e·s de la colonisation de discours comme celui-ci, même s’ils sont ponctués d’appels à la fraternité  : «  Partout où l’on parle français, où l’on rêve français, on attend de nous ce grand mouvement qui ne libèrera pas que nous  » (Mélenchon à la Bastille)  ?

Ceci dit, tout pas en avant de l’unité contre la droite et ses relais sociaux-libéraux ouvre des voies nouvelles à la résistance. Les millions d’électrices et d’électeurs qui voteront d’abord Jean-Luc Mélenchon, mais aussi Philippe Poutou (NPA) ou Nathalie Arthaud (LO), devront s’y atteler au lendemain des élections. Leur détermination et leur radicalité sont les seuls gages de succès au vu de la dureté des combats qui s’annoncent. Quels que soient les calculs tactiques des un·e·s et des autres, c’est à la capacité d’unir des secteurs de plus en plus larges, au-delà de l’influence de telle ou telle organisation, sur des revendications de rupture avec le capitalisme et le productivisme, que se mesurera l’avancée de la gauche en France. Contre les divisions que multiplient l’exploitation, le patriarcat, l’Etat bourgeois et toutes les idéologies de résignation (religieuses bien sûr, mais aussi laïques), n’est-il pas grand temps de se souvenir de ces accents d’une vieille chanson  :

«  Il n’est pas de sauveur suprême,
Ni Dieu, ni César ni tribun,
Producteurs sauvons-nous nous mêmes,
Décrétons le salut commun  »

Jean Batou


* Paru en Suisse dans « solidairtéS », n° 206 (05/04/2012). www.solidarites.ch/journal/

Sur le même thème : Europe

Sections

redaction @ pressegauche.org

Québec (Québec) Canada

Presse-toi à gauche ! propose à tous ceux et celles qui aspirent à voir grandir l’influence de la gauche au Québec un espace régulier d’échange et de débat, d’interprétation et de lecture de l’actualité de gauche au Québec...