Édition du 26 mars 2024

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Environnement

L'ONÉ prive les Inuits du droit de préserver leur mode de vie et leurs ressources

Une cause judiciaire historique contestant une décision controversée de l’Office national de l’énergie (ONÉ) sera bientôt devant les tribunaux. On la dit historique, car elle représente la première opposition populaire à l’ardeur du Canada à effectuer des forages pétroliers dans l’Arctique. On la dit controversée, car l’ONÉ ignore délibérément les droits des Autochtones au consentement préalable, libre et informé, en plus de contourner les principes juridiques de base visant le respect de l’impartialité et de la l’équité.

Au mois de juillet dernier, le hameau de Clyde River et l’organisation de chasseurs et de trappeurs Nammautaq ont présenté une demande auprès de la Cour d’appel fédérale pour contester une décision de l’ONÉ de permettre que des tests sismiques soient effectués dans la baie de Baffin et le détroit de Davis. Cette prospection qui servira à repérer les gisements de pétrole et de gaz dans l’Arctique sera exécutée par la société norvégienne TGS-Nopec Geophysical Company (TGS), la Petroleum Geo-Services Inc. (PGS) et la filiale locale MultiKlient Invest AS (MKI). Les demandeurs sont sérieusement inquiets des répercussions destructrices que pourraient avoir ces activités sur la faune dont le peuple inuit dépend essentiellement pour sa subsistance et son revenu. La population de Clyde River soutient également qu’elle n’a pas été dûment consultée avant que des autorisations soient délivrées.

Au mois d’octobre, l’ONÉ a demandé que la cour accepte qu’il intervienne dans le processus de révision judiciaire en tant que tiers. Les documents de la requête de l’ONÉ ne présentent aucun détail sur le type d’interventions, donc la pertinence de cette demande inhabituelle de l’ONÉ est discutable.
Un des principes de base en droit occidental, nommé non bis in idem (pas deux fois sur la même chose), établit qu’il est impossible pour toute instance judiciaire de juger deux fois la même affaire. Autrement dit, lorsqu’un tribunal rend une décision, celle-ci est finale. S’il y avait révision du verdict, la cause devrait être entendue par un autre juge objectif. Ainsi, la demande de l’ONÉ de réviser sa propre décision viole ce principe.

Un autre élément décourageant de cette cause se rapporte à la demande de la PGS de radier deux des cinq affidavits que les demandeurs ont présentés. Étonnamment, les deux affidavits auxquels la PGS s’oppose sont exactement ceux qui portent les nouveaux travaux de recherche et les nouvelles preuves scientifiques à l’attention de la cour. Un des auteurs de ces affidavits est un professeur de l’Université McGill qui, depuis plus de 30 ans, étudie l’importance des mammifères marins pour les peuples, la culture et l’économie du nord de l’île de Baffin, particulièrement le hameau de Clyde River. Il a même écrit des livres sur le sujet. Un autre des auteurs est un biologiste marin de l’Université Dalhousie et expert en bioacoustique. Quant aux autres affidavits, ils touchent des questions culturelles.

Pendant que PGS tente de faire radier des éléments de preuve du dossier, la société semble également monopoliser et limiter les études scientifiques à considérer en cour. La demande de PGS envoie un message inacceptable, c’est-à-dire que les peuples inuits ne devraient parler que de leurs inquiétudes culturelles, économiques et sociales, et que la science est la chasse gardée des entreprises privées et du gouvernement.

L’affaire de Clyde River contre l’ONÉ est symbolique en ce sens qu’elle redéfinira possiblement l’avenir du forage dans l’Arctique canadien et ailleurs. Une décision de la cour favorable aux demandeurs créerait une jurisprudence qu’aucun autre tribunal ne pourrait ignorer. Le droit d’être consulté étant au centre de cette cause judiciaire, une victoire pour Clyde River établirait que l’exploitation pétrolière et gazière en haute mer ne pourrait se faire que selon leurs conditions.

Les aspects les plus importants dans le processus menant à cette décision judiciaire déterminante sont le respect des principes juridiques de base sur lesquels se fondent la transparence et l’indépendance judiciaire, ainsi que le maintien du droit des habitants de Clyde River de soumettre toute preuve pertinente.

Les peuples inuits du Canada ont un long passé de souffrance et de privation. Leurs droits ont été bafoués et leurs voix ont été étouffées pendant des décennies. Voilà pourquoi nous devons maintenant dire :" non bis in idem ". Jamais une seconde fois, plus jamais.

Jerry Natanine est maire de la communauté inuite de Clyde River, au Nunavut.

Nader Hasan est avocat spécialisé en droit constitutionnel, droit criminel et droits humains

Jerry Natanine

Maire de la communauté inuite de Clyde River, au Nunavut.

Nader Hasan

Avocat spécialisé en droit constitutionnel, droit criminel et droits humains.

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