Édition du 23 avril 2024

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Politique québécoise

L’amertume et la brûlure du pouvoir

Curieux phénomène : ceux qui prétendent protéger la démocratie invoquent le fait qu’elle soit menacée pour en suspendre les règles. L’avant dernière fois que le Québec a vécu cette expérience, c’était au moment des événements d’octobre en 1970 alors que le gouvernement Trudeau avait imposé la Loi sur les mesures de guerre. Des centaines de personnes ont été embarquées aux petites heures du matin, emprisonnées pendant des semaines et relâchées sans qu’aucune accusation n’ait été portée contre elles. Tout ça pour neutraliser de petits insurgés et arrêter quelques vandales dont certains étaient à la solde de la GRC, comme l’a démontré plus tard la Commission Keable.

Aujourd’hui, les protecteurs de démocratie s’en prennent aux étudiants. La Loi 78 muselle leurs associations, pourtant dûment accréditées et reconnues par le code civil. Si une assemblée générale vote majoritairement pour la grève, cela en tout respect des règles et des procédures usuelles, il est désormais interdit d’empêcher les étudiants qui ont voté contre de recevoir l’enseignement qui leur est soit disant dû. Par la même occasion, elle oblige les institutions d’enseignement et leurs salariés à dispenser les cours normalement prévus, à défaut de quoi de sévères amendes seront imposées. Une telle disposition équivaut à permettre aux entreprises de continuer leurs opérations et aux scabs d’y entrer impunément, une fois qu’une majorité de ses employés a voté majoritairement pour la grève.

Et puis, non seulement la Loi 78 bafoue le droit associatif, mais elle s’en prend également à la liberté d’agir de tout groupe de citoyens s’opposant pacifiquement et publiquement à une orientation gouvernementale quelconque. C’est désormais la police qui décide de la légalité d’une manifestation. C’est à elle que revient la discrétion d’en déterminer la date, le lieu et l’itinéraire. Bienvenue en Corée du nord ! Ah oui, il y a les casseurs. Chaque société a ses voyous, prompts à se déchaîner, peu importe les causes. Du défilé de la Coupe Stanley au rendez-vous contre le Sommet des Amériques en passant par les marches étudiantes, ils n’ont d’autre but dans la vie que de lancer des poubelles dans les vitrines. C’est à se demander à qui ils sont les plus utiles, tant la violence attise la violence, tant la fureur nourrit la bête et tant la bête est insatiable. Les hélicos, les chars, les armures, l’arsenal poivré et fumigènes, tout ça doit sortir des hangars de temps en temps, comme s’il fallait justifier les sommes inouïes qui y sont englouties.

On n’a pas besoin d’une loi spéciale pour empêcher les casseurs de commettre des méfaits. Pire surtout, une loi d’exception brandissant le bâton pour faire respecter l’ordre bannit l’esprit de dialogue, éloigne le sens du consensus et torpille la bonne volonté des arbitrages. Elle brise les équilibres âprement établis entre les pouvoirs juridiques et législatifs, entre les forces de sécurité et le travail des médias, entre les droits des individus et les droits collectifs.

À l’heure où ces lignes sont écrites, on en est au jour 106 de la manifestation étudiante contre l’augmentation des droits de scolarité. Une mesure qui, au motif d’aller chercher 400 millions en cinq ans dans les poches des étudiants, en a fait perdre tout autant en trois mois si on compte les dommages directs et indirects occasionnés par la grève. Une mesure contestable au demeurant, tant l’injection de sommes additionnelles dans les universités auraient pu être trouvée autrement.

Le pouvoir est rendu dans ses derniers retranchements. Un René Lévesque, voire peut-être un Robert Bourassa, ne nous auraient jamais enfoncés à ce point dans la démesure. Mais ne désespérons pas. Il y a des François Hollande ailleurs dans le monde qui lèvent la tête. Qui placent les valeurs de l’éducation au-dessus de l’argent. Qui redonnent espoir à la jeunesse. Puisse la prochaine campagne électorale nous donner une femme, un homme, un parti de ce calibre ! Le Québec en a désespérément besoin…

Éditorial de juin 2012 de la Gazette de la Mauricie

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