Édition du 26 mars 2024

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Féminisme

L’antiféminisme dans les câbles

Mélissa Blais dénonce l’oppression masculiniste et étudie les effets de la peur, qui incite les femmes à se regrouper et à se mobiliser.

Professeure associée à l’Institut de recherches et d’études féministes (IREF), sociologue, candidate au postdoctorat à l’Université du Québec à Montréal (UQAM) et militante pour les droits des femmes, Mélissa Blais fait de l’étude des résistances aux mouvements féministes son cheval de bataille.

Tiré de Montréal Campus.

Dans les années 2000, Mélissa Blais commence à se pencher sur l’absence de femmes dans différents cercles sociaux. À l’époque, elle est étudiante en études féministes à l’UQAM. « À partir du moment où j’ai saisi l’identité féministe, c’était impossible pour moi de revenir en arrière, souligne-t-elle. [Dès que] tu ouvres les yeux, c’est impossible de les fermer par la suite. »

En 2009, dans le cadre de son doctorat, elle publie le livre J’haïs les féministes : le 6 décembre 1989 et ses suites, dans lequel elle dresse un portrait des réactions antiféministes ayant suivi la tuerie à l’École polytechnique de Montréal, qui visait, de l’aveu du tueur, des femmes.

« Aussitôt que je me suis mise à entendre la non-féminisation et à observer l’absence des femmes, j’ai su que c’était ce que je voulais faire : mettre en lumière cette présence », explique l’auteure.

La même année, l’IREF la mandate pour organiser la commémoration du 20e anniversaire de cet événement tragique, et ce, même si elle ne possède pas encore un statut de professeure.

« Pour une première fois, on a réussi à être vraiment entre nous et à faire avancer les idées féministes sans avoir à répondre à des détracteurs », précise-t-elle. Aujourd’hui professeure associée à l’IREF, elle poursuit ses recherches dans le domaine de l’antiféminisme et des violences faites aux femmes.

« L’IREF est l’une des plus grosses infrastructures en études féministes, non seulement dans le monde francophone d’Amérique du Nord, mais aussi au Canada, avec une communauté étudiante grandissante année après année, avance-t-elle. […] C’est intéressant d’être dans ce foisonnement d’idées. »

Mandatée par les membres du chantier sur l’antiféminisme du Réseau québécois en études féministes (RéQEF), Mélissa Blais coordonnera aussi les événements commémoratifs pour les 30 ans de la tuerie de Polytechnique en décembre prochain.

Le sens de la communauté

Ève-Marie Lampron, agente de développement au Service aux collectivités (SAC) pour le Protocole UQAM/Relais-femmes, collabore avec la professeure dans le cadre de ses recherches. Mélissa Blais, qui souhaite travailler conjointement avec des groupes de femmes, les connaît bien et sait comment répondre à leurs besoins, mentionne Mme Lampron.

« C’est exactement le profil de chercheuse avec qui on peut mener des projets porteurs de transformation sociale », dit-elle.

Le SAC permet à Mme Blais d’entrer en relation avec des groupes de femmes et des organismes communautaires dans le cadre de projets de recherche et de formations.

« C’est une infrastructure très précieuse, parce qu’il y a des besoins qui viennent des milieux pratiques, et ces besoins viennent nous donner un souffle comme chercheuses pour réfléchir à ce qui pose problème », remarque-t-elle.

En tant que militante, Mélissa Blais a un « respect profond pour les connaissances issues des milieux de pratique, ajoute Mme Lampron. Comme universitaire, c’est vraiment quelque chose qui la distingue. Elle n’est pas du tout dans une logique d’instrumentalisation des groupes, mais dans une logique de coconstruction. »

« Elle a une très grande ouverture et une attention aux besoins estimés et ressentis par les groupes de femmes sur lesquels portent ses travaux », ajoute sa directrice de thèse, Francine Descarries, également directrice scientifique du RéQEF. Pour elle, Mélissa Blais est l’une des meilleures candidates au doctorat qu’elle a dirigées au cours de sa carrière.

Le pouvoir de la peur

En plus de ses nombreuses publications, Mélissa Blais poursuit actuellement des recherches qui traitent de l’effet de la peur sur les féministes. « Pour certaines féministes, c’est la peur qui les amène à s’organiser et à contester », souligne-t-elle.

Affiliée à l’Institut d’études de la citoyenneté de Genève et à l’Institut national de la recherche scientifique de Montréal, elle continue ses travaux en Suisse avec le professeur Marco Giugni, spécialiste des conséquences des mobilisations collectives.

Mélissa Blais se penche sur la façon dont l’antiféminisme entraîne des changements dans la façon d’agir et de penser des femmes, non seulement à l’intérieur du mouvement, mais aussi dans leur vie en général.

« C’est novateur de ne pas simplement penser le contre-mouvement comme affectant la dynamique du mouvement lui-même, mais comme affectant également ses membres », précise Mme Descarries.

Prochainement, Mme Blais a pour projet de créer une cartographie qui démontre les liens entre des antiféministes et des extrémistes de droite, en collaboration avec la professeure Diane Lamoureux, spécialisée en sociologie féministe à l’Université Laval.

Mme Blais invite aussi les féministes à unir leur discours face aux points de vue divergents. « On a des luttes communes, mais il faut savoir les articuler pour tenir compte de la diversité des femmes dans ces luttes », souligne Mme Blais.

À chacun son féminisme

Bien qu’elle affirme fièrement son identité féministe, elle continue d’observer certaines problématiques récurrentes dans les milieux universitaires.

« On s’en prend aux féministes de façon beaucoup plus indirecte en questionnant la méthodologie et en ressortant de vieux paradigmes positivistes pour nous dire qu’on ne fait pas de la science », précise-t-elle.

C’est notamment en étudiant le cas de la tuerie à l’École polytechnique en tant que féministe qu’elle en a pris conscience.

« Les gens s’autorisent à nous expliquer notre objet de recherche et à nous dire ce qu’on devrait faire parce qu’ils s’improvisent experts, dit-elle. C’est souvent le réflexe utilisé quand on dit qu’on est féministe. On manque de crédibilité aux yeux de l’autre, donc la personne devient experte de notre sujet. »

Certaines féministes, dont Mme Blais, en viennent parfois à être la cible de menaces. La militante ne se résigne pas au silence pour autant, préférant poursuivre ses recherches.

« Pour preuve, j’ambitionne de pouvoir poursuivre une recherche sur l’extrême droite, mentionne Mélissa Blais. […] J’espère que ça ne me freinera jamais. »

photo : Sarah Xenos, Montréal Campus.

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