Inspiré par le mouvement du Printemps arabe, ce mouvement a fait un large usage de médias sociaux et adopté le répertoire d’occupation d’espaces publics qui sont symboles de l’inégalité sociale et économique. Les manifestants ont parallèlement recouru aux modes de prise de décisions participative démocratique à travers des forums de quartiers où ont été élaborées des stratégies pour la critique du gouvernement, la mise en place d’alliances avec les mouvements sociaux, la transformation démocratique de la vie quotidienne et la formulation des solutions concernant les besoins des quartiers.
En Turquie, la restructuration néolibérale du milieu urbain pour assurer l’accumulation du capital ne repose pas seulement sur des politiques économiques. Les projets urbains du gouvernement et la construction de centres commerciaux et de mosquées consistent en effet des efforts de mise en avant d’une société marchande justifiée autour des codes culturels spécifiques qui s’efforcent d’effacer les oppositions de classes. Au-delà de la mobilisation fragmentée et centralisée sur des questions particulières, l’expérience de la Turquie démontre l’émancipation sociale passée par une appréciation critique et holistique des origines politiques, économiques et culturelles de la société marchande, d’où l’importance d’une critique de masse à la fois de l’autoritarisme, du capitalisme et du néolibéralisme, de l’islamisme, de l’oppression de sexe et de l’injustice environnementale.
De même, l’expérience de la Turquie confirme que les luttes populaires démocratiques ne découlent pas d’une inexistence de « leadership » en forme de spontanéité pure. Ces luttes sont construites sur la base d’une myriade de formes de leadership qui tissent des alliances entre média alternatifs, intellectuels progressistes et groupes d’admirateurs de football, sans nier la contribution majeure des partis politiques et des organisations de masse de gauche expérimentées et disciplinées.