Édition du 16 avril 2024

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Le blogue de Pierre Beaudet

La gauche peut-elle intervenir sur les enjeux urbains ?

À Montréal en tout cas, la « campagne » électorale en cours dégage un ton nettement tristounet. J’espère que c’est moins mortifère ailleurs au Québec, mais ici franchement, c’est inquiétant. Comment ne pas être angoissé devant les deux candidats qui prennent le plus de place dans la course à la mairie ? Coderre est un homme prêt à tout, une machine électorale à lui tout seul, bien connecté au PLC, que je verrais bien comme la réincarnation de Drapeau, avec un peu plus de populisme. De l’autre, Marcel Côté, un technocrate sans foi ni loi, est une sorte de personnage de bandes dessinées qu’on voit fermer des entreprises et massacrer des syndicats. Comment quelqu’un comme Louise Harel a pu descendre aussi bas pour appuyer cela ? Sans compter la chère Claudette Carbonneau, que bien peu de gens regrettent à la CSN, et qui a mis le mouvement syndical à la traîne depuis des années, et qui décide de terminer avec sa carrière avec un champion de l’ajustement structurel et du fédéralisme. Est-ce possible ?

Mais de quoi se plaint-on, puisqu’on a avec Projet Montréal un parti « progressiste » ? En réalité, on peut laisser tomber le mot « progressiste », car pour Richard Bergeron, son parti n’est pas là pour défendre les intérêts populaires, mais pour être « efficace » et s’occuper du transport public (qui est un vrai enjeu par ailleurs). C’est un peu différent dans certains districts comme dans le Plateau où des militants et des militantes se sont investies au niveau local, ce qui permet certains changements au bénéfice de la population. Mais à l’échelle de toute la ville, le discours de Richard Bergeron ne se démarque pas. Et d’ailleurs, il s’est retrouvé très confortablement avec les autres partis dans l’interminable crise qui sévit à Montréal depuis deux ans.

Certains vont me trouver trop dur …

C’est peut-être vrai, mais le problème est que je fais partie d’une génération qui a déjà « vu le film ». Dans les années 1970 en effet, une partie de la mouvance militante s’était investie dans le Rassemblement des citoyens de Montréal, le RCM. Cela a mal fini avec un politicien qui s’appelait Jean Doré, et qui avait flushé ce qu’il y avait de populaire et de progressiste dans le projet. À la fin, ce qui restait de ce parti s’est abordé pour rejoindre Gérard Tremblay. C’est tout dire.

Une fois dit cela, on peut blâmer bien du monde, mais cela n’explique pas tout. Les mouvements progressistes, à part quelques exceptions, se sont faiblement investis sur le terrain municipal, invoquant mille et une raisons. C’est vrai, la scène municipale n’est pas la plus passionnante, avec ses enjeux de proximité, ses ressources très limitées et à vrai dire le peu de pouvoir qui reste dans une structure où les municipalités sont totalement dépendantes des autres paliers de pouvoir.

Des groupes populaires et des syndicats ont mené pour autant de grandes batailles. Je pense notamment aux gens de Pointe-Saint Charles, qui ont résisté aux assauts des « développeurs » sur leur quartier. Je pense aux mobilisations du FRAPRU et des autres associations qui travaillent sur ce qui est peut-être le plus important enjeu d’un point de vue progressiste, soit le logement. Mais finalement, l’élan n’a pas été assez fort pour construire, dans les dernières années en tout cas, un projet cohérent et unificateur, une sorte de « Montréal solidaire » qui aurait sans doute pu faire un bon bout de chemin.

Cela aurait été certes difficile, mais il faut tenir compte que la gauche en Amérique latine ou en Europe s’est d’abord faite une « place » au niveau municipal. C’est dans les villes du Brésil que des coalitions progressistes ont pu changer les choses, à une petite échelle certes, mais en démontrant que c’était possible. Ce chemin est parsemé d’embûches, on s’entend. Mais est ce qu’il y en a un autre pour construire un projet politique qui ait de l’élan ?

En attendant, cela ne sera pas pour demain matin. Au jour J, je vais voter comme la plupart de mes ami-es pour Projet Montréal, mais sans grand enthousiasme ni illusion. Il faudra entre-temps que « nous », le « nous » générique » puissions approfondir cette question, d’où l’intérêt des ateliers organisés par l’université populaire des NCS sur les enjeux urbains la semaine prochaine. (à noter également que le prochain numéro des NCS, qui sort également la semaine prochaine, porte le titre de « Occupez la ville », avec une ribambelle de réflexions de militant-es et de chercheur-es sur la même question).

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