Édition du 23 avril 2024

Une tribune libre pour la gauche québécoise en marche

Le mouvement des femmes dans le monde

La guerre, les femmes et les viols : on vous croit

La lutte contre le sexisme, les violences faites aux femmes, l’antisémitisme et les racismes ne souffre aucune exception, aucune exemption, y compris au sein de la gauche antiraciste et féministe. N’oublions pas ce que les corps des femmes exhibés, malmenés, torturés, violés ou anéantis sous les bombes et ceux des enfants, nous disent de cette guerre entre Israël et le Hamas.

Tiré de Entre les lignes et les mots

https://entreleslignesentrelesmots.wordpress.com/2023/12/11/la-guerre-les-femmes-et-les-viols-on-vous-croit/

A l’heure où cette tribune est publiée, de nombreux textes ont abordé la question des viols le 7 octobre sous des angles d’ailleurs différents. Il m’aura fallu trois semaines pour parvenir à une version suffisamment rassembleuse tant le sujet est lourd de conséquences et psychologiquement chargé. Il est important de comprendre qu’à l’heure où la Cour Pénale Internationale a été saisie pour crimes de guerres, crimes contre l’humanité et crimes de génocide à l’encontre de l’État d’Israël, les crimes de viols commis en Israël le 7 octobre – et possiblement à l’encontre des otages – sont constitutifs de crimes de génocide. Ceci fait suite à plusieurs jugements prononcés à partir de 1998 par le Tribunal Pénal International pour l’ex-Yougoslavie ainsi que le jugement prononcé en 1998 par le Tribunal International pour le Rwanda à l’encontre de Jean-Paul Akayesu.

Malgré les appels nombreux à un cessez-le-feu et à la libération des otages, l’offensive israélienne à Gaza se poursuit et des familles entières, dont de nombreuses femmes et enfants sont anéanties.

La justice internationale est saisie. Ce texte n’a pas prétention à rendre à sa place un jugement mais à dénoncer le caractère patriarcal de cette guerre.

Fabienne Messica.

Tribune

Femmes victimes de viols dans des actes de guerre : qui que vous soyez, israéliennes, palestiniennes ou de tout autre pays : on vous croit !

La lutte contre le sexisme, les violences faites aux femmes, l’antisémitisme et les racismes ne souffre aucune exception, aucune exemption, y compris au sein de la gauche antiraciste et féministe.

Rien ne justifie les horreurs contre les populations civiles. Confondre la solidarité qui est aussi la nôtre avec les Palestinien-es pour leurs droits avec le déni des souffrances endurées le 7 octobre 2023 par les civils israéliens et en particulier les femmes, c’est se tromper de combat.

Nous tenons à l’affirmer bien que nous ne partagions pas l’accusation trop globale et sans nuance à l’égard des mouvements féministes à qui l’on reproche le retard ou parfois le déni dans la dénonciation des violences subies le 7 octobre par des femmes israéliennes. Nous savons aussi que les extrêmes-droites se saisissent de ces tensions dans le but d’invalider les luttes des femmes pour leurs droits, pour l’égalité et contre les violences sexistes et sexuelles. Mais si cette tentative de délégitimer le féminisme est inacceptable, la critique est permise.

La question des viols du 7 octobre est cruciale pour la propagande autour du Hamas qui, dès les premières heures, s’est attachée à nier l’extrême cruauté des actes commis (malgré les scènes filmées par les assaillants eux-mêmes et envoyées aux familles des victimes) pour que ces actes soient nimbés du qualificatif de résistance. Cette violence spécifique peut aussi faire l’objet d’une instrumentalisation par le gouvernement israélien pour justifier une riposte toujours plus meurtrière que nous condamnons fermement.

Mais ce n’est pas un motif pour invisibiliser ces crimes car la condition des femmes et les violences spécifiques qui s’exercent à leur égard ne sont jamais secondaires aux intérêts des uns et des autres !

La parole féministe ne peut être confisquée, embrigadée, paralysée au prétexte d’instrumentalisations possibles. Or le silence sur les viols et violences sexistes et sexuelles du 7 Octobre dans de nombreux pays et même à l’ONU Femmes [1], en est un exemple. Si nous le disons, ce n’est pas pour attaquer le féminisme, mais pour réaffirmer ses valeurs qui devraient primer.

En tant que féministes, condamner, quels qu’en soient leurs auteurs, les viols et violences sexistes et sexuelles qui sont des crimes contre l’humanité, relève de nos fondamentaux. Notre critique du patriarcat, de la glorification de la guerre, de la violence, de la puissance, de l’esprit militaire et du nationalisme et du colonialisme qui font système, reste entière. Nous savons que la guerre joue un rôle essentiel pour perpétuer les innombrables dominations tandis que les femmes occupent une place spécifique dans les stratégies guerrières : faire des enfants, les garçons seront des soldats et les filles feront des enfants… De plus, l’atteinte aux corps des femmes est considérée par des belligérants comme l’atteinte à la virilité de « l’ennemi » dans une conception et une pratique, fondamentalement virilistes.

C’est avec les féministes pacifistes qui dans ce conflit ont œuvré dans la solitude, supportant les insultes et les menaces des hommes nationalistes, masculinistes, fanatiques religieux qui les considèrent comme des traitres et « des putains de l’ennemi » que nous pouvons défaire ces logiques ; c’est avec nos sœurs israéliennes et palestiniennes qui tentent depuis des décennies de tracer une autre voix et sont renvoyées à leur appartenance nationale, israéliennes ou palestiniennes, à leur qualité de juives, de musulmanes ou de chrétiennes dans une perspective qui les assigne à la solidarité avec les bellicistes de leur pays ou de leur religion, alors même que la ligne de fracture ne se situe pas seulement entre deux peuples mais à l’intérieur de chacun de ces peuples.

Tel est le message du mouvement les Guerrières de la paix, un mouvement féministe mixte, créé il y a un an en France qui milite avec les sociétés civiles israéliennes et palestiniennes dans la continuité des Femmes en noir, mouvement israélo palestinien créée en 1988 pour mettre fin à la colonisation. Ni l’ethnicité, ni la religion ne sont la cause de la guerre mais bien plus des idéologies nationalistes et xénophobes. Le lien entre le patriarcat et le nationalisme est largement démontré. Défaire le patriarcat, c’est défaire le nationalisme belliqueux et xénophobe. Défaire le patriarcat, c’est défaire la guerre ; et les autocrates le savent bien qui verrouillent la liberté et les droits des femmes.

Nous ne pouvons dédouaner ni la société israélienne, ni la société palestinienne et les pouvoirs politiques qui les dirigent de tout patriarcat. L’expérience des femmes qui ont participé à des mouvements de libération nationaux devrait à cet égard nous enseigner que les moyens utilisés dans des guerres de libération, parmi lesquels l’éviction de tout groupe concurrent et souvent l’oppression du peuple qu’on prétend libérer, ne sont pas neutres. Ce n‘est donc pas n’importe quel acte dit de résistance ni n’importe quel pouvoir politique qu’il convient de soutenir.

Dans son livre, « Ne suis-je pas une femme [2] », bell hooks, célèbre afro-féministe, décrit avec finesse la double exclusion des femmes noires. Elle montre que des oppressions peuvent se combiner, dans la domination des femmes noires, à savoir le racisme d’une part et d’autre part, le sexisme dans son propre camp de lutte contre le racisme.

Alors quand nous lisons, dans une tribune, publiée le 21 novembre dans « le media », par un collectif de féministes militantes, chercheuses et artistes, que ce dernier, non seulement nie l’augmentation des actes antisémites dans le monde mais encore, réduit les évènements du 7 octobre à de la simple de propagande, c’est pour nous un détournement du féminisme. Écrire que parler de ces viols et des violences sexistes et sexuelles et condamner les actions des combattants du Hamas, c’est « réitérer la vision d’un monde musulman barbare contre une population israélienne féminisée et ainsi lavée et blanchie de tout soupçon. La condamnation sans appel des combattants du Hamas s’arrime en effet à la construction d’un Orient monstrueux, nécessairement coupable des pires atrocités contre les femmes, permettant ainsi une fois de plus d’annuler toute perspective historique quant à la violence intrinsèque à la colonisation » est une forme alambiquée de deshumanisation des victimes et d’héroïsation d’actes que nous avons tout de même coutume de condamner sans réserve.

Certes, le discours qui fait de cette guerre un conflit de civilisation est islamophobe et nous le rejetons fermement. Mais un discours qui nie les atrocités commises le 7 octobre au nom de la lutte contre l’islamophobie n’est pas entendable non plus.

A nous féministes de nous montrer dans ce domaine à la hauteur des enjeux. A nous, engagées dans la lutte contre le sexisme et tous les racismes et pour une paix juste et durable entre Israël et la Palestine de dénoncer sans réserve et sans exception, les virilismes, la militarisation des conflits et le patriarcat.

Premiers signataires
Fabienne Messica, Ligue des Droits de l’Homme, Golem
Pierre Tartakowsky, président d’honneur de la Ligue des Droits de l’Homme,
Nora Tenenbaum, militante féministe,
Jonas Pardo, militant et formateur contre l’antisémitisme, golem
Laura Fedida, militante antiraciste
Didier Epsztajn, animateur du blog « entre les lignes entre les mots »
Yann Levy, photographe et journaliste
Mélanie Jaoul, féministe intersectionnelle, Présidente de AATDS
Illana Weizman, essayiste
Sandro Munari architecte-urbaniste
Deborah de Robertis, artiste
Sarite Rosen Artiste plasticienne
Fiona Schmit, autrice et militante féministe
Eva Vocz, miltante féministe, chargée de plaidoyer à Act Up

[1] Qui réagit tardivement par un tweet lunaire le 25 octobre.
[2] C’est Sojourner Truth, militante noire américaine qui prononça cette phrase en 1851 dans un discours à une Convention des femmes à Akron en Ohio

https://blogs.mediapart.fr/messicafabienne/blog/091223/la-guerre-les-femmes-et-les-viols-vous-croit
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