Édition du 23 avril 2024

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Politique québécoise

Le Conseil de la Souveraineté du Québec, une réorientation timide et insuffisante

Le Conseil de la Souveraineté du Québec (CSQ) tenait le 8 juin dernier son assemblée générale. Son objectif affirmé était de transformer le Conseil en un réel mouvement citoyen. En fait, les 150 déléguéEs devaient discuter d’un plan d’action visant à promouvoir l’indépendance du Québec, de propositions sur le Règlement interne du CSF et procéder à l’élection de la présidence et du Conseil d’administration.

Un plan d’action qui ne définit aucune initiative précise.

1. Le plan d’action vise à faire du CSQ une organisation permanente de la société civile. Le problème, ce sont les moyens utilisés. Et ici, comme ailleurs, le diable est dans les détails. Nous y reviendrons en examinant les règles de fonctionnement adoptées.

2. Le plan d’action comprend la poursuite de la démarche des États généraux sur la souveraineté. Le CSQ veut, dans ce cadre, favoriser la production de travaux et de consultations sur ce qu’il appelle une démarche constituante. Cet axe de travail pourra donner des résultats intéressants, si elle ne se limite pas à des travaux d’experts où les citoyennes et les citoyens sont réduits à un rôle de simples apprenantEs. Mais pour que cela soit possible, on ne pourra éviter d’aborder les débats stratégiques qui ont cours sur la scène québécoise entre la perspective de gouvernance souverainiste, avec un référendum dans un avenir incertain, défendue par le Parti québécois, la perspective d’Option nationale de faire en sorte que le Québec dispose de tous les pouvoirs pour adopter ses Lois, de lever ses Impôts et signer ses Traités ou enfin la perspective de donner au peuple le contrôle sur la lutte pour l’indépendance en faisant élire une assemblée constituante du peuple québécois mise de l’avant par Québec solidaire. Il y a ici des débats essentiels qui permettront ou non à la deuxième phase des États généraux de donner des résultats tangibles ou de rester en marge des débats réels.

Il en est de même de l’avenir économique du Québec. Les citoyennes et citoyens seront-ils invités à écouter une brochette d’économistes experts, ralliés aux dogmes économiques dominants du moment ou invités à participer à des débats réels sur la reconversion énergétique, sur le libre-échange, sur la reconstruction économique de notre secteur manufacturier et sur notre système de transport seront-ils ouverts aux différentes positions présentes dans la société civile ? Ici aussi, l’enjeu sera important.

3. Le troisième axe du plan d’action du CSQ vise à alimenter le débat public sur l’indépendance. Et, on nous présente des éléments d’une politique de communication : mise en place d’un comité de communication politique, offensive pour marteler les idées fortes de la logique indépendantiste, diffusion des travaux des États généraux... Mais on ne nomme aucun des débats publics en cours. C’est comme si la perspective indépendantiste était au-dessus des débats actuels et qu’elle n’était pas concernée par les politiques d’austérité, la lutte contre l’inégalité sociale ou les conditions de possibilité d’une société écologique... On semble maintenir la séparation entretenue par le courant péquiste entre souveraineté et projet de société. On ne voit pas que cette absence de lien est à la source de l’incompréhension de la perspective indépendantiste dans la société actuelle. Ici aussi, le refus de dépasser la dénégation des débats peut placer le CSQ sur la touche.

4. Le quatrième axe du plan d’action parle d’actions concertées de mobilisation et d’action politique. Le CSQ se propose de mettre en place un comité national de mobilisation et d’action politique, d’organiser des rencontres sectorielles auprès des mouvements sociaux (syndicats, écologistes, étudiants, féministes, communautés ethnoculturelles)... Mais des actions qui dépassent la seule affirmation abstraite de l’objectif final nécessitent de la part d’um mouvement social des prises de position sur le Québec que nous voulons...

5. Enfin, le plan rappelle le nécessaire travail de financement. La question du financement du CSQ par les partis politiques souverainistes a été soulevée par le président du Nouveau Mouvement pour le Québec qui voulait savoir l’importance de ce financement et qui a posé, en assemblée générale, une question à cet égard. Mais, il n’a pas obtenu de réponse. L’ importance politique de cette question n’a pas été débattue. Ce dernier est-il suffisamment significatif pour créer un rapport de dépendance et d’autocensure ?

Si ce n’était de ses allures peu définies, si ce n’étaient des restrictions politiques qui le traversent, on pourrait voir dans le plan d’action adopté une volonté de transcender le cadre d’action qu’avait connu le CSQ jusqu’ici et une volonté de renforcement de son impact. Mais, sans des ruptures importantes avec ces restrictions politiques, qui signifieraient l’affirmation d’une réelle autonomie par rapport aux partis souverainistes dominants, le CSQ risque de rester enfermé dans le cercle étroit de ce qui peut être dit et ce qui doit être tu, paralysant par là, ses capacités d’initiatives.

Un Règlement interne définissant une démocratie somme toute restreinte

La discussion a permis d’aborder certains éléments du Règlement général : le changement de nom de l’organisme, la composition de l’assemblée générale, la composition du Conseil d’administration, le fonctionnement des tables régionales. Les aspects positifs sont la volonté d’ouvrir l’assemblée générale aux grandes organisations de la société civile et l’importance reconnue aux assemblées régionales. Mais il reste que le « Conseil d’administration détermine la liste des organisations et des personnes participant à l’assemblée générale... » Le pouvoir du Conseil d’administration a les allures d’un pouvoir de cooptation qui demeure curieux. Pour un mouvement qui se veut citoyen, un Conseil d’administration (ou de coordination) d’une organisation syndicale ou écologiste, qui déterminerait la composition des assemblées générales nous laisserait perplexe. Pourquoi l’accepter lorsqu’il s’agit du CSQ ? De même, la présence statutaire des partis politiques, même sans droit de vote, ne serait guère acceptée, dans un mouvement qui veut se redéfinir comme une organisation de la société civile. Se comparer aide sans doute à mieux comprendre et à ne pas trop prendre des fonctionnements en place comme incontournables.

Une élection du CA du CSQ

L’assemblée s’est terminée par l’élection du Conseil d’administration. Des représentants de la CSN et la FTQ y ont été élus ainsi qu’une personne du Nouveau Mouvement pour le Québec et un autre de Cap pour l’indépendance. Enfin, une heureuse surprise, il y a un bon nombre de femmes qui ont été élues sur le CA pour tendre vers la parité. À plusieurs postes, l’élection des femmes a été automatique.

La construction d’un véritable mouvement populaire pour l’indépendance exigera d’importantes ruptures

Un mouvement populaire ne gagnera un soutien d’une majorité du peuple québécois à l’indépendance que s’il sait convaincre cette dernière que l’indépendance lui permettra de renforcer son pouvoir sur l’ensemble de ses choix économiques, sociaux et démocratiques. Cette construction nécessitera également que la majorité populaire affirme son autonomie politique face aux élites actuelles de la société québécoise qui est liée par mille liens à l’oligarchie régnante qui est, dans sa vaste majorité, fédéraliste.

En évitant d’aborder les débats qui traversent la société québécoise, en se contentant de soulever des débats et des projets qui font l’objet de larges consensus, le CSQ refuse d’affirmer sa réelle pertinence. Aujourd’hui, la lutte pour l’indépendance ne peut éviter le débat sur la politique énergétique et les conditions de la transition vers l’utilisation exclusive des énergies renouvelables. Aujourd’hui, l’indépendance, pour devenir crédible, doit reprendre la perspective du contrôle citoyen sur ses ressources naturelles, sur les voies rendant possible la planification écologique de nos moyens de transport et la réorganisation de notre industrie manufacturière autour d’investissements publics massifs pour construire un Québec écologique. Refuser d’intervenir sur ces enjeux, refuser de débattre sur ce qui ne fait pas encore consensus, c’est refuser d’animer les débats les plus importants pour l’avenir du Québec.

Ainsi, en éliminant de la phase 2 des États généraux, les débats soulevés dans le troisième chantier des États généraux I portant sur la mobilisation et l’action politique, le CSQ refuse de servir de cadre aux débats visant à tirer un bilan stratégique des orientations développées antérieurement dans le mouvement souverainiste pour éclairer les fondements des défaites passées. Il refuse également de servir de lieu de débat sur les moyens de la nécessaire jonction avec les secteurs précaires et les moins intégrés de la société québécoise.

En refusant de s’ouvrir a un fonctionnement démocratique basé sur le plein pouvoir de décision et de délégation et d’élection par les assemblées générales de leurs représentantEs et en concentrant le pouvoir dans le Conseil d’administration du CSQ, l’Assemblée générale a écarté la perspective d’un développement large et impétueux du mouvement au profit d’une gestion contrôlée de sa dynamique possible. Avons-nous adopté à ce congrès les perspectives d’action et le mode d’organisation qui nous permettraient de cheminer vers un véritable mouvement populaire pour l’indépendance à vocation de masse ? Nous sommes loin du compte. Et ce n’est pas, le simple retrait du droit de vote des représentantEs des partis politiques qui ont une présence statutaire au CA qui nous aidera vraiment à cheminer vers une telle perspective.

Rappelons l’essentiel. Un mouvement citoyen gagnera une majorité du peuple québécois à l’indépendance quand il sera en phase avec l’affirmation de sa souveraineté populaire et qu’il cherchera à articuler les trois dimensions de notre lutte de libération nationale : a. la rupture totale avec l’État canadien et avec notre statut de minorité politique, b. un projet de pays dessiné par la majorité de la population dans les intérêts économiques et politiques de la majorité populaire, c. l’élection d’une assemblée constituante pour redonner au peuple québécois le plein contrôle sur son destin national et dont la mise en place signifiera la concrétisation même de notre droit à l’autodétermination nationale et une rupture avec la domination de l’État fédéral sur le Québec.

Bernard Rioux

Militant socialiste depuis le début des années 70, il a été impliqué dans le processus d’unification de la gauche politique. Il a participé à la fondation du Parti de la démocratie socialiste et à celle de l’Union des Forces progressistes. Militant de Québec solidaire, il participe au collectif de Gauche socialiste où il a été longtemps responsable de son site, lagauche.com (maintenant la gauche.ca). Il est un membre fondateur de Presse-toi à gauche.

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