Édition du 10 décembre 2024

Une tribune libre pour la gauche québécoise en marche

Syndicalisme

Le Québec coupé en deux : entre gouvernement de la peur et enfants sorciers

Entre les contradictions du 1er des ministres qui s’accumulent, et les pitreries youtubesques du 1er des sachants, l’aura patriarcal du saint-duo, rassurant le fond de notre imaginaire judéo-chrétien, semble de plus en plus écornée.

La peur comme stratégie sanitaire

D’abord parce que comme partout en Occident, nos dirigeant·e·s nous ont menti sur les masques, préférant en minimiser l’efficacité relative plutôt que de nous dire la vérité : par manque de stock et de capacités industrielles, il fallait dans un premier temps les réserver aux soignant·e·s qui prennent le plus de risque. Comme on nous prend pour des débiles, on a préféré l’argument de la peur, qui a été indubitablement intériorisée.

Ensuite parce qu’au lieu de nous éduquer à la réduction des risques [1], ils et elles ont finalement céder à leur habituelle infantilisation [2] ; la palme revenant à la vice-première ministre. Encore aujourd’hui, l’orgueil d’Arruda et de Legault les empêche de reconnaitre leurs contradictions récentes et répétées. Ainsi, ce sont maintenant les montréalais·e·s qui font peur aux régions.

Enfin, parce qu’aucun arc-en-ciel ne pourra cacher que Montréal arrive dans le peloton de tête du palmarès mondial de la prévalence des morts. Comme ailleurs, les quartiers les plus multiethniques et/ou pauvres de la métropole sont les plus touchés par la pandémie. Les primes exceptionnelles n’achèteront pas la vie des gens, aussi précaires soient-ils [3]. Il aurait dû être dépensé avant si l’on avait voulu préserver nos services publics, et éviter la catastrophe dans les CHSLD. Trop peu trop tard.

La peur sur le front de l’éducation

Du côté de mes membres syndiqués, personnel technique et administratif du soutien scolaire, c’est l’incompréhension et encore la peur qui règnent. Alors que le gouvernement finit par recommander de plus en plus fortement le port du masque, les services de garde d’urgence (SDGU) n’en ont toujours pas à leur disposition… depuis 9 semaines ! Le personnel qui y œuvre volontairement depuis le début, puis obligatoirement depuis le 4 mai, doit se débrouiller seul. Pourtant, le dépanneur en face chez moi vend des masques chirurgicaux depuis 3 semaines. Les couturièr·e·s professionnel·le·s comme amateur/rices en fabriquent des lavables déjà depuis un moment.

Le personnel entre 60 et 69 ans à qui l’on a répété en boucle pendant des semaines qu’il courrait des risques et ne devait pas travailler, ni voir ses propres petits-enfants sorciers [4], peut soudainement aller au front avec les autres, mais toujours sans prime pour personne. Après tout, on est juste des « gardiennes », les enseignant·e·s prennent toute la place médiatique en éducation, et l’on s’est habitué à ce que les métiers non prestigieux traditionnellement féminins soient méprisés. On a fini par se résigner.

Les syndicats tentent bien de nous défendre et ont, du bout des lèvres, réclamé des primes pour le personnel des SDGU, ou critiqué publiquement sur la forme, en coulisse sur le fond [5], le relèvement de l’âge d’exemption au travail. Mais voilà, les syndicats ont, eux aussi, peur : « si on ne négocie pas maintenant, y’aura pas de sous pour nous plus tard ». Alors la compétition syndicale repart de plus belle, victimes d’un Conseil du Trésor qui les fait tourner en bourriques, dit oui puis revient sur sa décision, change la durée des négos en permanence, envoie à la table centrale des problématiques sectorielles, fait des promesses aux uns qu’il ne fait pas aux autres, ment publiquement sur les augmentations réelles qu’il propose pour les PAB, etc.

Classique vous me direz ? Et vous auriez raison ! Et je vous réponds : classiquement, c’est la rengaine intersyndicale habituelle qui l’emporte… personne ne veut être en queue de peloton ni se faire avoir en aillant obtenu moins que les autres. Heureusement tout de même que les centrales se parlent pour déminer quelques pièges tendus par Christian Dubé. Mais de là à s’unir de front et condamner l’unilatéralisme du gouvernement…

La peur du futur

Bref, heureusement que les mots justes et poétiques de Vincent Lindon [6] raisonnent dans toute la francophonie : la Gauche fourmille un peu partout. Que sera le monde d’après ? Elle se divise pourtant sur le risque sanitaire du déconfinement versus la nécessité d’éviter l’effondrement économique, en oubliant souvent son internationalisme. En effet, minimiser le plus possible la récession qui s’annonce n’est pas seulement là pour maintenir à flot le Capital, mais aussi pour sauver l’aide économique/médicale au développement. Car ne nous y trompons pas, les déficits à venir impacteront durablement la vie de millions de terrien·ne·s qui dépendent de la pitié postcoloniale des puissances occidentales. Le désengagement multilatéraliste entamé par les États-Unis de Trump depuis un moment, dont l’OMS a subit les derniers soubresauts, risque de contaminer partout.

Pendant que les rapaces de Big Pharma poursuivent leur basse besogne [7] jusqu’à « émouvoir » le crocodile Macron, la numérisation de l’économie semble s’accélérer avec la réification covidienne du télétravail. Heureusement que la FTQ a pris une longueur d’avance à ce sujet en y réfléchissant en commissions thématiques lors de son dernier congrès [8]. Mais plus que jamais, le défi de l’accessibilité aux médicaments se renforce avec la Covid. La Gauche réactualise partout les projets de pôles publics pour « la recherche, l’achat, la production, la distribution et la commercialisation dans le domaine du médicament et du vaccin » [9]. Québec solidaire a le sien, la France insoumise en propose un aussi, ainsi que le NPD et le CTC. La question se pose donc : si les économies en la matière en sont d’échelle, ne vaudrait-il pas la peine d’envisager une mutualisation avec le ROC de ce point de vue ? Voire militer parallèlement pour une révision et un élargissement de la liste des médicaments essentiels de l’OMS [10], en premier lieu concernant le SARS-CoV-2 ?

En tout cas, les logiciels politiques cinquantenaires qui structurent – et même sclérosent – nos institutions (inter)nationales vont devoir s’interroger, se réformer, voire être abandonnés. Qu’il s’agisse du néolibéralisme ou des nationalismes [11]. Chose certaine, le biopouvoir cher à Michel Foucault vient de prendre une place phénoménale dans nos sociétés et dans nos vies. Une relecture de son œuvre philosophique au prisme de l’actuelle pandémie mériterait peut-être le détour, et nous apporterait probablement quelques éclairages pertinents. Mais je laisserai ça aux philosophes et aux spécialistes des sciences humaines et sociales, bien plus armés et pertinents que moi pour se lancer, si ça leur chante, dans cet exercice.

Notes :

[1] https://www.pressegauche.org/Deconfiner-la-peur-est-elle-bonne-conseillere

[2] Elle n’était pourtant pas présente au début :
https://www.pressegauche.org/Confinement-d-un-syndicaliste-franco-quebecois

[3] https://montrealmetro.ftq.qc.ca/videos/marc-edouard-joubert-president-conseil-interpelle-premier-ministre-quebec-francois-legault/

[4] Lachenal, Guillaume. Les enfants sorciers :
https://www.liberation.fr/debats/2020/05/13/les-enfants-sorciers_1788281

[5] Seul le conseil régional FTQ Montréal-métropolitain s’est fendu d’un communiqué explicite : https://montrealmetro.ftq.qc.ca/actualites/reouverture-ecoles-maltraitance-de-nos-aine%c2%b7e%c2%b7s-ca-suffit/

[6] https://www.youtube.com/watch?v=EdZBZUN2t-4

[7] https://www.lemonde.fr/sante/article/2020/05/14/vaccin-contre-le-covid-19-inacceptable-que-sanofi-serve-en-premier-les-etats-unis_6039621_1651302.html

[8] https://ftq.qc.ca/wp-content/uploads/2019/11/Les-enjeux-de-la-numeralisation_PPochet_2019-11-26.pdf

[9] https://autrequebecpossible.blogspot.com/2020/04/et-si-pharma-quebec-sauvait-le-monde-de.html

[10] https://fr.wikipedia.org/wiki/M%C3%A9dicament_essentiel

[11] Si c’est ce genre de réflexions qui sont censées convaincre de (re)devenir indépendantistes, ces derniers sont mal barrés :
https://www.lesoleil.com/opinions/point-de-vue/le-canada-est-il-en-train-de-nous-sauver-la-peau-1d2d5a52d5cb7347065ff9e1aa03a78e

https://www.journaldequebec.com/2020/05/16/le-quebec-est-mur-pour-un-nouveau-rendez-vous-avec-lhistoire

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