Édition du 11 novembre 2025

Une tribune libre pour la gauche québécoise en marche

Médias

Le cas de Betty Lachgar soulève des questions pour nous tous et toutes

Aujourd’hui, 30 septembre, je célébrerai la Journée internationale du blasphème, au cours de laquelle je manifesterai ma solidarité avec les dissidents·e et les militant·es du monde entier pour contester les lois oppressives, défendre la liberté d’expression, la liberté de conscience et de croyance, ainsi que la liberté de ne pas croire sans crainte de violence, d’arrestation ou de persécution.

Tiré de Entre les lignes et les mots

Je le fais en tant que musulmane et militante des droits humains. Aujourd’hui, je me souviens de tous ceux et toutes celles qui ont perdu la vie, ont été condamné·es à mort et croupissent en prison à cause des lois sur le blasphème. Ces lois privilégient les orthodoxies religieuses dominantes en limitant la liberté d’expression et la dissidence, qui encouragent les réformes et l’évolution vers les principes des droits humains.

Je ne me souviens pas d’une époque où les limites de la liberté d’expression et de la liberté/du droit de manifester aient fait l’objet d’un tel débat public et politique. De la violence politique aux États-Unis contre les républicains et les démocrates, au meurtre de Charlie Kirk, à l’interdiction de Palestine Action en tant que groupe terroriste au Royaume-Uni et aux arrestations qui ont suivi de celles et ceux qui le soutiennent, en passant par les revendications de celles et ceux qui ont défilé dans les rues de Londres le 13 septembre, affirmant que la liberté d’expression est menacée au Royaume-Uni. Il ne se passe pas un jour sans qu’il y ait des commentaires sur la liberté d’expression ou son absence. Dans le même temps, il semble y avoir une réaction hostile à l’égard du régime international des droits des êtres humains dans de nombreuses régions du monde, et il est devenu extrêmement difficile, voire souvent dangereux, de défendre ses droits ou ceux d’autrui. On constate une augmentation du nombre de représailles contre les défenseur·es des droits des êtres humains et des appels à un recul de la législation en matière de droits des êtres humains dans des pays comme le Royaume-Uni.

Au milieu de tout cela, il y a le cas de Betty Lachgar, qui touche au cœur même du débat sur la liberté d’expression et la liberté de conscience, mais qui a reçu beaucoup moins d’attention que moi-même et d’autres pensons qu’il mérite. Betty a été arrêtée et emprisonnée au Maroc pour avoir porté un t-shirt portant le slogan « Allah est lesbienne  ». Selon la sœur de Betty, Siham Lachgar, Betty s’est inspirée de la citation suivante pour créer ce slogan : «  J’ai vu Dieu. Elle est noire, communiste et lesbienne  », attribuée à la féministe française Anne-Marie Fauret.

Ibtissame Lachgar, que nous connaissons sous le nom de Betty, est une féministe marocaine de premier plan, militante des droits humains et défenseure des droits des personnes LGBT. Betty se définit comme athée et considère la religion comme « patriarcale et misogyne ». Elle a fondé en 2009 le Mouvement alternatif pour la défense des libertés individuelles, qui prône un « féminisme universaliste et laïc ». Son organisation revendique l’égalité des droits pour les femmes et les communautés LGBT, et milite pour la dépénalisation de l’avortement, des relations homosexuelles et des relations sexuelles hors mariage, qui restent interdites ou strictement réglementées au Maroc. Betty est une femme incroyablement courageuse et audacieuse, que je suis reconnaissante d’avoir rencontrée et avec laquelle j’ai pu partager une tribune.

La photo de Betty portant ce t-shirt a été publiée sur ses réseaux sociaux en 2022 en réaction à la condamnation et à la peine de mort prononcées à l’encontre de deux militant·es LGBT+ en Iran. Ce n’était pas la première fois que Betty était vue portant ce t-shirt. En 2021, elle l’avait porté lors d’une interview diffusée sur la chaîne de télévision française LCI. Depuis, elle a été photographiée à plusieurs reprises avec ce t-shirt afin de promouvoir ses campagnes en faveur des droits des femmes et des personnes LGBT. Selon sa famille, Betty n’a jamais porté ce t-shirt au Maroc, où les relations entre personnes du même sexe sont illégales.

En 2022, le t-shirt n’avait pas suscité d’inquiétudes auprès des autorités marocaines. Cependant, lorsqu’il a été diffusé par un inconnu et largement partagé sur les réseaux sociaux en juillet dernier, il était accompagné d’un message appelant à l’arrestation de Betty. La foule des réseaux sociaux, tellement offensée par le t-shirt de Betty, a attiré l’attention des autorités marocaines qui ont arrêté et emprisonné Betty le 10 août alors qu’elle séjournait à Rabat. Le 3 septembre, Betty a été condamnée à 30 mois de prison en vertu de l’article 267-5 du Code pénal marocain qui punit toute personne qui offense l’islam. L’emprisonnement de Betty est, à mon avis, inhumain et injuste, notamment en raison de son état de santé défaillant.

Le cas de Betty est choquant et soulève d’importantes questions sur l’application des lois sur le blasphème et les limites de la juridiction des pays qui ont encore ces lois horribles et dépassées dans leurs codes. Betty ne portait même pas le t-shirt au Maroc et, pendant plusieurs années, le fait qu’elle le porte n’a pas inquiété les autorités marocaines. Et pourtant, il semble qu’à la suite d’une publication anonyme sur les réseaux sociaux et d’une foule en colère, Betty ait été arrêtée, emprisonnée et condamnée par un tribunal marocain pour une « infraction » commise en dehors des frontières et de la juridiction du Maroc. Que signifie cette affaire pour celles et ceux d’entre nous qui protestent contre le traitement réservé aux femmes, aux communautés LGBT+ et aux minorités dans les pays où les lois sur le blasphème sont toujours en vigueur ? Pouvons-nous nous aussi être arrêté·es et emprisonné·es si nous voyageons dans ces pays ? Les lois sur le blasphème n’ont-elles donc aucune limite ? Pourquoi la communauté internationale reste-t-elle silencieuse sur le cas de Betty et d’autres personnes ?

Le cas de Betty soulève des questions sur le droit à la liberté d’expression et à la liberté de religion ou de croyance. Ce droit fondamental de détenir et d’exprimer des opinions, de recevoir et de communiquer des informations et des idées sans censure ni ingérence de l’État est protégé par le droit international, notamment la Déclaration universelle des droits des êtres humains (DUDH), le Pacte international relatif aux droits civils et politiques (PIDCP) et la loi sur les droits des êtres humains. Rejeter le contrôle religieux est un acte de résistance, tout comme rejeter toutes les formes d’abus, de discrimination, d’oppression et de persécution. La liberté de religion et la liberté de ne pas adhérer à une religion sont protégées par les lois internationales relatives aux droits des êtres humains notamment la DUDH et l’article 9 de la Convention européenne des droits des êtres humains.

Je sais que je vais recevoir des commentaires et des condamnations de toutes parts pour mon soutien à Betty et à la campagne visant à la libérer, ainsi que pour avoir appelé à la fin des lois sur le blasphème partout dans le monde. En tant que femme musulmane et femme de couleur, mon engagement dans la lutte pour la liberté, la justice et l’égalité a été façonné et renforcé par ma foi. De plus, je ne peux en toute conscience appeler à la fin de la misogynie, du racisme et de la haine anti-musulmane et rester silencieuse face à d’autres formes de discrimination, d’oppression et de persécution. #FreeBetty

Yasmin Rehman
Je suis féministe, militante des droits humains et chercheuse. Je travaille depuis plus de 30 ans principalement sur les questions de violence à l’égard des femmes et des filles, de race, de religion et de genre, ainsi que sur les droits humains.
https://yasminrehman.substack.com/p/the-case-of-betty-lachgar-raises
traduit par DE

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