Édition du 23 avril 2024

Une tribune libre pour la gauche québécoise en marche

Question nationale

Le chemin vers l’indépendance : le débat entre deux stratégies cul-de-sac aboutit dans un cul-de-sac

Presse-toi-à-gauche et le SPQ-libre, par l’intermédiaire de Pierre Mouterde et du duo Pierre Dubuc et Marc Laviolette, se livrent une joute épistolaire sur la stratégie de l’indépendance. (On trouvera les textes pertinents sur les sites Presse-toi-à-gauche et Aut’Journal.)

Le premier défend celle de Québec solidaire, le triptyque élection d’un gouvernement Solidaire – assemblée constituante, élue à la proportionnelle et à parité femme-homme, au sein de laquelle le parti défendra l’indépendance – référendum. Le duo SPQ-libre ne défend pas la non stratégie péquiste des conditions gagnantes jamais mûres, où flotte une indéterminée assemblée constituante, mais une concoction de son crû : « …des États généraux sur la souveraineté ; 2) l’élection du Parti Québécois majoritaire ; 3) un référendum d’initiative populaire ; 3) la proclamation de l’indépendance ; 4) la tenue d’une assemblée constituante, une fois le Québec indépendant. »

Le PQ est né pour éteindre le feu de la libération nationale et de l’émancipation sociale

Le représentant officieux de Presse-toi-à-gauche a l’avantage de défendre la position d’un parti réellement existant et le duo de SPQ-libre de pouvoir librement le critiquer pour aboutir à une proposition qui n’a aucune chance d’être adoptée par un Parti québécois complètement néolibéralisé. Le PQ, souvenons-nous en, a été créé et mis au monde pour surfer sur l’immense vague populaire de libération nationale et d’émancipation sociale de la révolution tranquille prolétarienne (1966-1976) afin de la conduire, avec succès, dans le grand éteignoir de l’électoralisme. Certes, pour assurer sa crédibilité auprès de son électorat et surtout pour fidéliser ses militantes et militants, il lui a fallu se risquer par deux fois dans l’aventure référendaire grosse de rupture libératrice. Quand le parti l’oublia dans les années 80, il faillit imploser. Bien que les sondages préalables annonçaient des risques peu élevés de victoire, lesquels sondages se réalisèrent en 1980 sans dommage pour le PQ grâce au populisme manipulateur de René Lévesque, le loose cannon Jacques Parizeau faillit tout faire déraper en 1995.

D’abord sa consultation sur l’avenir du Québec durant l’hiver 1994-95 mobilisa cinquante mille personnes avant d’être politiquement neutralisée par l’entente tripartite « souveraineté partenariat » de juin 1995 avec le Bloc de Lucien Bouchard et l’ADQ de Mario Dumont. Puis, nouveau rebondissement, le clair message indépendantiste du Premier ministre dans la campagne référendaire d’octobre, faisant fi de la « souveraineté-partenariat », fit en sorte qu’elle se transforma en « lutte de classe », dixit la commentatrice Lysiane Gagnon de La Presse. La bourgeoisie d’affaire monta elle-même sur les barricades suivi du gouvernement fédéral avec son love-in. Paniqué tout autant que les fédéralistes devant la possibilité d’une victoire porteuse d’un potentiel ouragan libérateur, l’état-major souverainiste retira la direction du camp du oui au Premier ministre en plein milieu de la campagne référendaire. Le lendemain du vote très serré, il contraignit un Jacques Parizeau démoralisé à la démission. Par la suite, le PQ abandonna toute velléité référendaire qu’il noya dans les Calendes grecques des conditions gagnantes, ce que la dernière crise existentielle de 2011 n’a pas remis en question.

Mais l’ex premier ministre reste la conscience du parti et l’âme damné de ses successeurs. Reste que son projet d’un Québec Inc. indépendant, pas moins porté sur les coupures et sur les privatisations sinon davantage par obligation compétitive, est rejeté en bloc par l’aile québécoise de la bourgeoisie canadienne terrorisée par cet éventuel passage à vide de tous les dangers. Le projet de Jacques Parizeau est devenu, si jamais il a été autre chose, une utopique chimère d’un isolé géant au pied d’argile. Imaginer une seule seconde que le réactionnaire PDG de Quebecor puisse être la grande exception qui confirme la règle relève de la plus pure rigolade dont est seul capable le duo de SPQ-libre. La règle sacrée de l’accumulation du capital condamne Quebecor à se développer au Canada anglais faute d’espace suffisant au Québec dans le secteur des médias. La nomination de son propriétaire majoritaire à la tête d’Hydro-Québec par le PQ relève de la mystification idéologique sur fond de volonté de mise au pas des syndicats et de coupures pour maintenir l’équilibre budgétaire sans trop de charcutage, si ce n’est de privatisation.

Le centre de gravité stratégique est dans la rue, pas dans les urnes

C’est dire que l’étape deux de la stratégie du SPQ-libre, soit l’élection d’un gouvernement péquiste, s’avère et s’avérera plutôt un grand blocage. Pour dire vrai, même l’élection d’un gouvernement péquiste majoritaire commence à être hors d’atteinte. À la non stratégie nationale du PQ s’ajoute désormais sa non stratégie socio-économique. Le peuple québécois n’a droit qu’à la danse macabre des vaporeuses et euphoriques conditions gagnantes et du dur et austère équilibre budgétaire. Pour aller au fond des choses, le grand blocage sur le chemin de la libération nationale et de l’émancipation sociale est moins l’élection du PQ que l’élection d’un quelconque parti dut-il être Québec solidaire. Poser de prime abord l’élection pour arriver à l’indépendance est affirmé d’entrée de jeu que tout se réglera essentiellement par les urnes. Y ajouter deux autres grands exercices des urnes, l’assemblée constituante et le référendum, sans rien d’autre, c’est cadenassé dans l’urne la dynamique de libération de tout un peuple. La mobilisation de la rue est refoulée au dehors sans aucun rôle à jouer autre qu’une pression auxiliaire alors qu’elle est le centre de gravité de toute la démarche.

L’électoraliste stratégie Solidaire devient la cible facile, le sitting duck, de l’ennemi fédéraliste. Les fédéralistes, eux, n’hésitent pas une seconde à utiliser les grands moyens, qui n’ont rien à voir avec les institutions et leurs normes légales. On imagine, à l’aulne d’Octobre 1970 et de la crise d’Oka de 1990, quand l’armée canadienne est directement intervenue au Québec, ce que pourrait être la réaction viscérale des forces fédéralistes, usant de tout leur pouvoir diplomatique, financier, commercial et militaire, qui ne feront qu’une bouchée d’une Assemblée constituante purement institutionnelle. À moins, peut-être, qu’elle soit issue d’une grande mobilisation sociale comme ce fut le cas au Venezuela, en Bolivie et en Équateur où leurs peuples luttaient d’abord pour une deuxième indépendance se concrétisant par le contrôle de leurs ressources naturelles et par la mise au pas de l’ingérence étasunienne. La tentative d’assassinat de la première ministre élue en septembre 2012, que système de justice et médias tentent d’enfouir dans les tréfonds de la mémoire collective, n’est-elle pas un rappel de la réalité ? Le contexte du Quebec bashing en est tout autant un facteur d’explication que le sexisme l’est pour comprendre la tuerie de Polytechnique en 1989. Le refus obstiné d’ouvrir la constitution canadienne pour au moins satisfaire les nationalistes mous, au plus grand désarroi des Libéraux provinciaux qui s’y sont cependant résignés au nom de la priorité à l’économie, c’est-à-dire à l’austérité, en dit long sur l’intransigeance fédéraliste.

Pour arriver à l’indépendance, le peuple québécois doit se préparer à affronter les forces fédéralistes dans la rue quitte à consolider ses victoires dans les urnes. Attention, cependant, au piège des assemblées constituantes qui arrêtent une dynamique de libération et d’émancipation avant terme comme ce fut le cas dans les trois pays andins, déjà cités, aujourd’hui enlisés dans l’extractivisme même s’il est redistributif. Une dynamique de libération qui va jusqu’au bout de sa logique aura tendance à développer ses propres mécanismes démocratiques de bas en haut à partir des lieux de travail et d’études et des quartiers. Pour construire le rapport de force nécessaire à l’indépendance, il faudra bien arriver à cette « grève sociale » auquel le printemps érable n’a pas abouti parce que le bureaucratisé du mouvement syndical a encore une fois laissé tomber, comme lors de la grande grève étudiante de 2005, la jeunesse du Québec. Seule la rue permet de conjuguer libération nationale et émancipation sociale car seules les grandes mobilisations permettent de vaincre la force d’assaut qui soutient les forces fédéralistes, soit le pouvoir financier au cœur duquel on trouve les cinq grandes banques canadiennes basées à Toronto et leurs trois sous-fifres québécois basés à Montréal. Seule la grève sociale sera en mesure de vaincre la grève des investissements et des placements en expropriant les banques et consorts. L’assemblée constituante seule ne pourra que s’effondrer devant le tsunami de la réaction déployant tous ses moyens.

États généraux et référendum d’initiative populaire

S’abandonnant à la libre critique, le duo SPQ-libre accouche des deux idées des états généraux et du référendum d’initiative populaire. La première idée s’enracine dans l’histoire du mouvement national québécois avec ses les États généraux du Canada français tenus en novembre 1967 auxquels participèrent deux mille personnes. Il est cependant moins sûr que leur formule de rassemblement interclassiste de la nation n’ait pas pavé la voie au PQ dont l’antichambre, le Mouvement souveraineté-association, se formait le même mois. Était-ce là l’intention de ses organisateurs ? La gauche aura laissé la droite rassembler la nation pour emprisonner le peuple au moment crucial où elle aurait dû rassembler le peuple pour libérer la nation. Cette idée d’états généraux est reprise aujourd’hui par la mouvance péquiste sur le déclin où s’entremêlent Conseil de la souveraineté, Convergence nationale et Nouveau mouvement pour le Québec. Tous, par des chemins différents, essaient de maintenir l’hégémonie péquiste sur les mouvements national et social. Comme l’attaque frontale par la Convergence nationale est pour le moment bloquée même si tous les partis ont fait leur tour de piste à ses assises, les états généraux semblent plus prometteurs.

Pour éviter tout dérapage vers le social tout en prenant acte du cul-de-sac de la voie directement politique, le Conseil de la souveraineté, le noyau dirigeant de toute cette mouvance dirigé par un ancien ministre du PQ, évacue de sa coordination les partis sans réellement le faire car ils restent observateurs avec droit de parole. Il les remplace par cinq mouvements nationalistes acquis au nationalisme interclassiste à la PQ (et à la Option nationale). Voilà une masse critique suffisante pour encadrer la représentation souvent complaisante des mouvements sociaux, par exemple le président de la FTQ, et citoyenne, par exemple le chanteur Paul Piché qui a soutenu le PQ aux dernières élections. Ainsi les états généraux seront bien gardés pendant que le Nouveau mouvement pour le Québec s’acharnera à tenter d’organiser des primaires dans certaines circonscriptions névralgiques entre candidates et candidats des trois partis dit souverainistes en espérant que ses compères, de grande assemblée en grande assemblée, maintiennent la pression sur les partis. Pour parodier le Mahatma Gandhi à propos de la civilisation britannique, les états généraux seraient une bonne idée… si un mouvement social mobilisé, y compris un parti de gauche en complète rupture avec la droite, s’en emparait.

Qu’en est-il du référendum d’initiative populaire emprunté à la Suisse et à certains états étasuniens ? Le duo SPQ-libre passe sous silence que si le PQ a adopté cette idée au moment de sa crise quasi existentielle de la fin 2011, ce fut pour permettre à sa chef de mieux la renier unilatéralement en pleine campagne électorale de 2012, même si c’était dans sa plate-forme électorale, sous prétexte que ce type de référendum… ne respecte pas la constitution canadienne. Eh oui, faire l’indépendance est illégal. C’est une rupture institutionnelle. Comme l’avoue le duo SPQ-libre avec raison : « N’oublions jamais que nous voulons démanteler un pays du G-8. Des forces puissantes chercheront à faire dérailler le processus. » Comme il a raison de rappeler à Québec solidaire qu’« [u]ne assemblée constituante, avant une déclaration d’indépendance, ferait fort probablement l’objet d’un boycott des fédéralistes, pour en miner la crédibilité, comme l’a été la Commission sur l’avenir du Québec de Parizeau en 1995. » Ce qui prépare une intervention plus musclée s’il n’y a pas pour la contrer un soulèvement. Évidemment, on peut toujours dire une chose et son contraire pour se tirer d’embarras : « [l]a décision de la tenue ou non d’un référendum reposera désormais entre les mains du peuple. Deuxièmement, [le référendum d’initiative populaire]l permet à la direction du Parti Québécois de conserver l’initiative du jeu. » Belle contradiction dans les termes.

Oligarchies ou bourgeoisies ?

Toutes ces méthodes formelles — élections, constituante, référendum, états généraux et référendum d’initiative populaire — doivent s’incarner dans des rapports de forces sociaux générés par une dynamique temporelle constituée de forces souterraines dites histoire et d’événements immédiats dites conjoncture. On ne peut en juger la pertinence libératrice que dans ce contexte. C’est toujours une question d’analyse concrète de cas concret. Ceci dit, ces méthodes, surtout les trois premières, sont en soi des ruptures dans le cadre d’une révolution démocratique contre des régimes féodaux, aristocratiques ou dictatoriaux. Si elles sont employées dans le cadre d’une démocratie bourgeoise même boiteuse, elles sont dans la continuité des choses à moins, peut-être, de ratifier des changements stratégiques de rapports de force issus des luttes sociales. Encore là, comme on l’a vu pour les trois pays andins mentionnés, elles peuvent être un moyen de cristalliser ce qui n’est pas achevé. En Tunisie et en Égypte, les élections et assemblées constituantes ont servi à arrêter, pour l’instant, la révolution démocratique à peine démarrée sans qu’il n’y ait eu aucune réforme sociale digne de mention. Au moins au Venezuela, en Bolivie et en Équateur, il y en eu que la rue a imposé, au Venezuela d’ailleurs plus après la constituante qu’avant, en réaction à la tentative du coup d’état de la bourgeoisie.

On peut toujours prétendre que les démocraties parlementaires sont à ce point corrompues par l’argent, que le 1% y est à ce point dominant, qu’il en résulte que nous somme gouvernés non par des bourgeoisies mais par des « oligarchies ». On remarque d’ailleurs qu’au Québec les tenants de la stratégie de l’assemblée constituante ont tendance à embrasser ce dernier terme et à déserter le premier. Certains, plus circonspects, préfèrent parler de « dominants » comme si ceux-ci pouvaient être autre chose que la bourgeoisie. C’est là prendre les vessies pour des lanternes. L’accumulation de capital est toujours au poste de commande, plus que jamais, même si la finance joue un rôle prépondérant de coordination générale et de stimulant par l’endettement, récompensée par une part plus grande de la plus-value, par rapport aux « trente glorieuses » (1945-1975). Alors, les gouvernements, bourgeois faut-il le rappeler, jouaient davantage ce rôle dans le cadre d’États nationaux qui n’étaient pas encore à la remorque du marché global et qui se contraignaient à la modération sociale afin de s’assurer une base sociale solide pour mener la guerre froide.

Une indépendance internationaliste pour sauver la terre-mère

Si les États sont dorénavant stratégiquement impotents devant un capitalisme pur et intransigeant, les parlements et leurs systèmes de partis en sont réduits à la « gouvernance » néolibérale. On voit mal comment les formes issues de la révolution démocratie bourgeoise du XIXiè siècle résoudraient ce problème dut-on qualifier leurs utilisations radicales de « révolution citoyenne » passant par les urnes. C’est là une réaction compréhensible à l’échec du socialisme du XXiè siècle mais qui regarde en arrière. Une tentative de dépassement sur la base d’un bilan invite à un approfondissement de la démocratie et à une compréhension plus large des interactions entre classes, genres, nations et surtout entre l’humanité et la nature. On se dit qu’il faut une démocratie nouvelle qui inclut la sphère économique, qui est permanente et qui ne s’arrête pas aux frontières nationales. On se dit qu’il y a urgence à en finir avec le Moloch financier qui détruit la terre-mère.

C’est pour cette raison que la lutte pour l’indépendance nationale du Québec, pour vaincre à l’ère du marché global, ne peut qu’en même temps œuvrer à libérer le peuple québécois de la mainmise de l’État fédéral et de celle de l’emprise du capital financier. Pour sauver la langue et atteindre les objectifs de réduction des gaz à effet de serre fixés par l’organisation spécialisée des Nations unies, il faut exproprier les banques. La construction d’un tel rapport de forces implique pour le peuple québécois une internationaliste alliance stratégique avec les nations opprimées de l’État canadien et avec son prolétariat. Notre libération nationale nécessite leur aide contre des ennemis puissants et ils ont besoin du fer de lance de la lutte du peuple québécois pour sa libération, une résultante historique de la construction de l’État canadien comme prison des peuples, afin de renverser son joug reposant sur la puissance bancaire de la bourgeoisie canadienne et de son alliance avec les ÉU.

Marc Bonhomme, 16 juin 2013

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