Édition du 12 mars 2024

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Coronavirus

Le confinement heureux, un privilège de classe ?

Chroniques enfermées, jour 3. Je vois passer sur Twitter la photo d’une banderole en espagnol : « La romantisation de la quarantaine est un privilège de classe ». Casili, qui poste la photo, ajoute : « quarantaine à deux vitesse : repos et loisir pour les uns, précarité et risque sanitaire pour les autres ». Et je m’interroge. Forcément.

Tiré du blogue de l’auteur.

Le confinement. Une sorte d’opportunité pour sortir de la course du monde ? L’instauration, sous prétexte sanitaire, prétexte légitime mais sciemment instrumentalisé par un gouvernement dont on connait la passion démocratique, d’une société encore plus policée et autoritaire qu’elle ne l’était avant, avec le préfet de Paris en figure métaphorique d’un fascisme qui vient ?

Moment de « repos et de loisir » pour les bobos (je déteste ce concept, mais c’est ce qui est me semble-t-il implicitement visé dans le tweet cité plus haut), de « précarité et de risque sanitaire » pour les prolos ? la question se pose. Gravement.

Je viens de rentrer du sport. Car oui, ce matin, levé 9 heures, après un solide petit déjeuner, je suis allé courir puis me baigner (l’avantage de vivre à côté de la mer). C’est la première fois depuis dix ans que je fais un jogging. Très paradoxalement, il aura fallu que j’attende une pandémie mondiale pour adopter un mode de vie plus sain –sauf le soir, puisque hier nous avons bu du rouge jusqu’à minuit en écoutant des vieux tubes de RnB français des années 90 et 2000, que les dieux nous pardonnent.

Ce matin, donc, j’ai couru. Dans des rues vidées de leur foule et de leurs voitures, sous un ciel bleu majestueux. Si, le premier jour de confinement, les nuages blancs, gris et bas donnaient à la ville désertée des allures de décor de post-apo zombiesque à la « 28 jours plus tard », c’est aujourd’hui tout autre chose.

Aucun avion dans le ciel. Tous les grands magasins sont fermés –sauf Macdo, certes… Aucun bruit de circulation. Ici et là, des gens prennent le soleil, font leur sport, ou promènent le chien. Les pigeons et les goélands, stupéfaits, se demandent où ont bien pu passer les humains. On s’attend presque à ce que des plantes recommencent à jaillir du bitume, à grimper sur les murs, et que des chats, des hérissons, des écureuils, ou des loups se mettent rapidement à repeupler la ville.

De retour dans le « squat » où nous nous confinons, en sirotant un thé, nous écoutons les infos : le gouvernement, après avoir repoussé toutes ses réformes insensées, envisage désormais nous dit-on de nationaliser un certain nombre d’entreprises. Vladimir Illitch Macronov réinvente la planification en pleine décroissance du modèle consumériste, tandis que les bourses mondiales s’émiettent tels de vieux gâteaux secs oubliés sous la pluie.

Autour de moi (un milieu pour le coup tout de même plus composé d’étudiant.e.s, de RSAistes, de chômeurs, d’intermittents, de mi-temps, de smicards et de travailleurs sociaux que de « bobos » CSP+, soyons francs, et moi-même je suis marginal expulsable sous le seuil de pauvreté), malgré la pandémie, l’angoisse, la maladie et la mort qui pèsent, nombreux et nombreuses sont donc ceux et celles qui, confinées dans leurs domiciles, jouissent de ce confinement, libérées d’un salariat et des contraintes d’un modèle économique où ils et elles n’avaient jamais pu s’épanouir.

« Pour nous, les alternatifs, m’écrit une amie, ce moment historique est un pur bonheur, la décroissance de cet ancien monde est là. Le confinement me rappelle les moments passés sur le bateau, vous allez voir c’est très agréable, laissons-nous bercer… » Un autre ami, dans une conversation, s’écrie : « En quelque sorte le covid nous fait advenir le monde qu’on veut (presque). On va avoir du temps pour lire baiser écouter Miles Davis boire ». Et c’est vrai qu’il y a ça. Cette société nouvelle qui se construit dans le huis clos de nos habitations, consacrée au farniente, à l’amour, à l’entraide et au vin.

J’ai cependant tout de même répondu à mon ami : « Le "presque" c’est les hordes de flics, gendarmes et militaires qui circulent dans les rues pour nous empêcher de sortir, tu veux dire ? »

Parce qu’il y a ça aussi. La restriction de la liberté de circulation. Les atteintes au droit qui continuent. Le préfet Lallement continue à se signaler par sa brutalité. Dans les prisons et les centres de rétention, la situation devient intenable. Et, par exemple, du côté de la communauté Emmaüs Roya, ainsi que Cédric l’a signalé hier sur sa page, trois gendarmes ont débarqué mardi au matin, en mépris total des règles de sécurité du confinement et de respect de la propriété privée, afin de contrôler les papiers de l’un des compagnons occupé à charger le grain, au motif qu’il est Noir. Une plainte va être déposée.

Bref : ce confinement peut aussi faire le jeu d’un Etat policier ayant atteint les derniers degrés de la violence. Ainsi que l’a justement écrit David Dufresnes, « les mutilés d’hier, en un sens, annonçaient les sacrifiés d’aujourd’hui. Les armes de guerre d’hier sont désormais validées pour cause de virus. Les restrictions des libertés de 2018/2019 servent, celles, sanitaires et nécessaires, de 2020. C’est d’habitude, et d’acceptation, dont notre confinement est l’enjeu. C’est d’eux qui seront ou non objets politiques quand le Corona sera terrassé ».

Et puis, il y a celles et ceux pour qui le confinement signifie de devoir rester enfermés dans une solitude absolue. Dans un foyer minuscule et insalubre. Aux côté d’un père et/ou d’un mari violent. Entassés dans une promiscuité intenable. Avec des revenus désormais réduits au minimum.

Ou avec des membres de la famille qui se retrouvent dans l’obligation de continuer le travail. Ainsi que l’a signalé Stéphane Ortega dans un excellent papier, titré « Coronavirus : confine-toi, mais va bosser » : « Avant que son concurrent Renault décide de faire de même, ses salariés de l’usine produisant des moteurs de camions à Bourg-en-Bresse ont fait valoir leur droit de retrait en dénonçant l’insuffisance des mesures de protection mise en œuvre par leur employeur. Si aujourd’hui, le secteur de l’automobile a décidé de se mettre à l’arrêt avec les annonces de fermeture chez Michelin et Toyota, il n’en est pas de même dans toute l’industrie. Le secteur qui justement concentre une grande proportion d’emplois impossibles à basculer en télétravail. Chez General Electric en Franche-Conté, 150 ouvriers ont fait valoir leur droit de retrait ce matin. À Saint-Nazaire, la CGT demande la fermeture des Chantiers de l’Atlantique où 5000 personnes travaillent quotidiennement ». Caisses des supermarchés, postes, aides à domicile… et bien sûr personnels de soin, les autres exemples sont légion.

Pour ces nombreuses personnes, le confinement n’a rien d’un parcours de santé, bien au contraire. Il s’agit d’une épreuve, pour laquelle, est-il besoin de le souligner, elles ne recevront l’aide d’aucune cellule psychologique : mais qu’elles essayent donc un numéro vert ! Depuis un an, notre gouvernement pragmatique en a créé tout plein.

Le confinement, c’est ça aussi, et nous ne devons certainement pas l’oublier.

Alors, tirer de la joie son confinement, un truc de bobo ? Non, pas forcément. Et il me paraît douteux de culpabiliser celles et ceux qui le vivent ainsi. Les prolos, j’en suis. Et je sais que les prolétaires aussi lisent, dessinent, créent, s’aiment. Heureux chez eux, et heureux de pouvoir rester un peu plus chez eux, d’ailleurs. Les prolétaires aussi peuvent vivre, ainsi que l’a fort joliment écrit mon ami Bob pour Mouais, « le rêve d’observer une fois dans sa vie une société tout entière qui s’arrête. Constater l’absence de pollution, écouter le calme d’une cité endormie, sortir temporairement de la course effrénée quotidienne, secouer la tête en réalisant qu’on a le temps. Pour lire, pour la musique, pour l’écriture, pour flâner, discuter téléphoniquement, créer, observer, partager avec ses enfants, dessiner, trier, cuisiner... rien faire ».

Et sortir de cette épreuve plus déterminé.e.s encore qu’auparavant pour s’auto-organiser, se ré-emparer du monde, et aller demander des comptes à ceux qui sont les principaux responsables du merdier, ceux qui, en mettant en place un capitalisme mondialisé délirant, en déconstruisant toutes nos structures d’entraide et de solidarité, ont fait en sorte que cette crise soit, non seulement possible, mais inévitable.

J’aimerai laisser le mot de la fin à Cédric, dans le communiqué qu’il a rédigé pour Emmaüs Roya : « Il est sûrement tôt pour tirer des conclusions, mais j’aimerais que nous prenions acte de cet avertissement. La nature s’adapte aux conséquences de l’exploitation abusive de l’écosystème, de la planète, bien plus rapidement que ceux qui en sont à l’origine : les Humains. Les animaux migrent plus que de mesure car ils fuient l’action humaine. Les espèces se croisent, les virus s’adaptent à vitesse éclaire, puis nous contaminent. Je ne pense pas que la nature se venge mais elle s’adapte plus rapidement que l’Homme à son action […]

Emmaüs est pour moi plus qu’une solution à la précarité, elle est une alternative pragmatique à un monde déviant. Recréer des structures à taille humaine, développer le local, reprendre le pouvoir sur sa consommation. La crise est là, nous nous en sortirons, et si nous n’actons pas cette leçon, notre espèce sera un jour ou l’autre inapte à vivre sur cette belle planète.[…] Aujourd’hui, partout dans les médias on nous répète : soyez responsables. Responsables de s’isoler, pour éviter la contamination. Mais cette injonction à la responsabilité ne doit pas s’arrêter là : elle doit changer durablement nos modes de production, nos modes de vie, nos modes d’interactions. Les grands responsables ne sont pas uniquement ceux qui tiennent les rênes du système capitaliste néolibéral : c’est chacun d’entre nous, par notre consommation et nos choix ».

Le désert est la seule chose qui ne peut être détruite que par la construction, a écrit Boris Vian. Oui, prenons en acte. Il est temps. Pour qu’au sortir de cette crise la fermeture des grands magasins, les relocalisations, le développement des logiques d’entraide et des services publics, le temps libre consacré à la culture, au repos et au loisir ne soit pas une conséquence du confinement, mais la nouvelle logique de notre société.

Macko Dràgàn

Et pour un bel exemple de confinement heureux, Télé Chez Moi est toujours là

Mačko Dràgàn

Ecriveur & chroniqueur (blog Médiapart, Télé Chez Moi, Pilule Rouge, Mouais...) Aime les chats, les ami.e.s, les femmes, le tabac, la bière et l’anarchie.

https://twitter.com/mackodragan?lang=en

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