Édition du 23 avril 2024

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Asie/Proche-Orient

Le maintien du régime syrien actuel est la meilleure option possible pour Israël

On pouvait percevoir l’étonnement du présentateur du journal matinal de la radio israélienne quand le général Effi Eitan, ex-président du Parti National Religieux et ex-ministre du logement, a montré sa préoccupation face à la probable chute du régime de Bachar Al-Assad en Syrie. Eitan n’est pas seulement l’une des personnalités les plus extrémistes de la droite israélienne, c’est aussi une personne qui réside dans la colonie de Quatzrin situé sur le Plateau du Golan syrien occupé par Israël depuis 1967.

Eitan a été ferme et sans ambiguïté dans ses commentaires sur les événements actuels en Syrie : « Le régime syrien actuel est la meilleure formation gouvernementale possible pour Israël ». Selon lui, nonobstant l’inimité déclarée du régime syrien avec Israël, ce régime reste préférable à n’importe quelle autre alternative à sa place en cas d’effondrement. Eitan a surpris ses auditeurs en déclarant qu’il ne croit pas que le régime syrien actuel réclame « sérieusement » la dévolution du Plateau du Golan.

Afin d’appuyer ses propos, il a ajouté que « le problème du régime au pouvoir est qu’il repose sa légitimité dans le soutien de la minorité alaouite, ce qui fait qu’il est intéressé à préserver une situation d’affrontement permanent formelle (avec Israël) qui justifie son maintien au pouvoir à perpétuité. C’est pour cela que ce régime n’est pas intéressé à récupérer le Golan au travers d’un accord politique car il considère que ce dernier équivaudrait à rouvrir un débat sur sa légitimité et à alimenter la remise en question du contrôle de la minorité alaouite sur la majorité sunnite ».

La position actuelle du général Eitan est d’autant plus surprenante parce que dans le passé il a toujours donné un relief particulier à l’affrontement avec le régime syrien. Mais il n’est pas le seul dans ce cas. Une bonne partie de l’élite israélienne voit également le maintient du régime actuel en Syrie comme la meilleure option pour Israël. Le ministre de l’enseignement, Gideon Saar, qui repousse tout retrait israélien du Golan et exige une intensification de la colonisation du territoire occupé, considère que le maintien du régime syrien est bénéfique pour les intérêts israéliens.

Au cours d’une rencontre avec les membres du parti au pouvoir Likoud, Saar a souligné que le facteur le plus important qui l’amène à croire en la nécessité d’un maintien du régime syrien est la totale tranquillité qui a caractérisé la frontière entre la Syrie et Israël depuis la fin de la guerre de 1973. Saar a dit : « L’expérience pratique démontre que le régime syrien est le plus engagé dans les accords de cessez-le-feu et dans la trêve : il a respecté ses engagements et les accords destinés à garantir les frontières partagées, et ce n’est pas peu de chose qu’il a permis la tranquillité nécessaire afin d’intensifier la construction des colonies juives dans le Plateau du Golan, ce qui a mené à un accroissement important du nombre de colons au cours de ces trois dernières décennies. »

De son côté, le ministre d’Etat et général en retraite Yose Bilid considère que, depuis l’époque d’Hafez Al-Assad et de son fils Bachar, le régime syrien n’a fait aucune tentative pour altérer les rapports de forces militaires favorables à Israël. L’armée syrienne n’est pas adaptée à la guerre moderne et n’est pas capable d’affronter militairement Israël. Il a souligné qu’au cours des 40 dernières années, la différence entre les potentiels militaires des deux pays n’a cessé de s’améliorer en faveur d’Israël.

Pour le commentateur israélien Aman Abramovitch, la caractéristique « positive » la plus importante du régime syrien actuel est son insistance à ne pas changer les règles du jeu entre les deux parties, de sorte que les Syriens n’ont jamais tenté depuis 30 ans de défier Israël ni de répondre aux provocations qu’on a monté entre les deux pays. Et il ajoute : « La force arabe qui est parvenue avec le plus de succès à neutraliser Israël est sans aucun doute la Syrie. A tel point que nous avons pu bombarder le site nucléaire du nord-est de la Syrie en décembre 2006 et assassiner au cœur de Damas Emad Mughaniya, le leader du bras armé du Hamas, tout comme attaquer les positions des milices palestiniennes à l’intérieur de la Syrie, sans que le régime syrien, ni le père ni le fils, ne réagissent ». Pour Abramovitch, il n’est pas absolument pas possible de garantir qu’un autre gouvernement qui remplace l’actuel se comportera de la même manière.

Amos Harel, analyste des affaires militaires pour le journal « Haaretz » adopte un point de vue différent. Il considère qu’ « il ne faut pas verser une seule larme au cas où le régime d’Al-Assad tomberait », rappelant l’alliance entre la Syrie, le Hezbollah et l’Iran, en outre du refuge accordé aux dirigeants des organisations palestiniennes en territoire syrien. « Le gouvernement syrien », ajoute-t-il, « permet au Hezbollah de s’armer, et donne la possibilité à l’Iran de mettre un pied dans la région, menaçant les intérêts stratégiques d’Israël ». Harel indique que, malgré la supériorité militaire d’Israël, le régime syrien a concentré une partie de ses investissements dans l’acquisition de missiles capables d’atteindre n’importe quel point d’Israël, ce qui transforme la Syrie, sous le gouvernement d’Al-Assad, en un « Etat dangereux ».

Cependant, Aaron Friedman, professeur de sciences politiques à l’Institut Tejnion, rejette l’analyse de Harel et indique que, y compris s’il est possible qu’un nouveau gouvernement renonce à son alliance avec l’Iran et le Hezbollah, il renforcera par contre ses relations avec le Hamas. Dans un article publié sur le site en hébreu du journal « Yedioth Ahranot », Friedman écrit que tous les scénarios imaginables pour une Syrie post-Assad indiquent que les Frères Musulmans auraient une influence importante dans le cours des événements du pays et « il ne fait pas de doute que ce mouvement élargira le bras du Hamas, parti qui appartient à la même famille ».

Ben Kasbit, le plus important analyste du journal israélien « Maariv », tourne toute sa rage contre les appels à la démocratie dans le monde arabe car il considère que, contrairement à ce que l’on dit, les transformations démocratiques dans le monde arabe ne sont pas bénéfiques pour les intérêts israéliens car elles amènent au pouvoir des gouvernements plus belliqueux contre Israël. Kasbit critique avec force les voix qui aux Etats-Unis réclament un soutien aux masses syriennes qui veulent en finir avec le régime d’Al-Assad : « Avec tous mes respects envers la démocratie, ce qui nous attend c’est un affrontement entre les secteurs religieux et laïcs qui exprimera de manière réelle l’opinion publique syrienne, et nous savons quelle est la position de cette opinion publique, c’est la même que dans le reste du monde arabe.

Les peuples arabes, en définitive, rejettent notre existence et soutiennent la résistance contre nous. Par conséquent, parler d’un gouvernement syrien qui exprime l’opinion générale du peuple syrien, c’est nécessairement parler d’un gouvernement contraire à Israël ». Kasbit rejette l’opinion qui prêtent que les laïcs arabes seraient moins hostiles à Israël que les islamistes, soulignant que les deux forces s’opposeront à Israël afin de répondre aux souhaits de leur peuple.

Ce qui n’est fait pas de doute c’est que les événements en Syrie mettent sérieusement en difficulté les autorités de Tel Aviv, car il s’accompagnent également de convulsions destinées à changer les structures du gouvernement en Jordanie, pays sur lequel tous coïncident à affirmer, en Israël, qu’il est l’allié stratégique le plus « fiable » dans la région. Les Israéliens craignent qu’un changement en Jordanie et en Syrie, après ce qui s’est passé en Egypte, conduise à la matérialisation ce que l’on appelle à Tel Aviv la « collier sunnite » et se traduise par une augmentation de l’influence des Frères Musulmans dans la région.

De là le fait que l’équipe dirigeante au sommet du pouvoir en Israël garde le silence face à ce qui se passe de l’autre côté de la frontière avec la Syrie, dans l’espoir d’éviter tout changement régional d’un point de vue stratégique qui modifierait les règles du jeu et obligerait l’entité sioniste à assumer de nouvelles charges stratégiques et militaires. Pour l’élite au pouvoir à Tel Aviv : « quelle que soit la nature de nos relations avec le régime syrien actuellement au pouvoir, jusqu’à présent Israël a su gérer ces relations de manière favorable à ses intérêts, et il n’existe aucune garantie que cet avantage se maintienne en cas de changement de pouvoir à Damas ».

Saleh al-Naimi

rebellion.org

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