Édition du 16 avril 2024

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Immigration

Accueil des réfugiés

Le respect des droits humains pour lutter contre les ravages de la guerre

Ce que nous voyons, ce sont tous ces gens qui cherchent un accès vers l’Allemagne ou l’Angleterre et qui se trouvent piégés sur les îles grecques de la mer Égée, entassés dans l’attente d’une aide élémentaire, puisqu’ils ne sont pas autorisés à partir ni recevoir leurs papiers avant d’avoir été enregistrés. Jour après jour, nous regardons les images de ces femmes et de ces hommes qui traversent la mer dans des cercueils flottants, ou qui subissent l’affront et l’humiliation de la police en Hongrie, en France, en Macédoine, en République tchèque et en Slovaquie, ou encore au Danemark.

Certains dénoncent, avec raison, l’attitude indécente des médias, surtout depuis la publication de cette photo terrible d’un enfant mort noyé sur les côtes turques. Il faut déplorer qu’un véritable déblocage dans les esprits ait eu lieu d’abord et avant tout par un simple effet de pitié. L’élite politique a elle aussi vite compris le profit qu’elle pouvait tirer de cette vague humanitaire. Tout cela choque beaucoup. Est-il légitime pour autant de fermer nos yeux ?

D’autres diront, là encore à juste titre, que l’Allemagne est mal placée pour jouer les sauveurs. Saura-t-elle se montrer à la hauteur de ses promesses ? Quel sera le véritable statut de ces dizaines de milliers de réfugiés lorsque nous dirigerons notre attention sur une autre catastrophe ? Pour le moment, nous n’en savons rien et tout cela est très inquiétant. Il reste que nous ne pouvons pas croiser les bras. Il reste qu’il est trop facile de voir du simple romantisme dans la volonté de venir en aide à des populations entières. Est-ce vraiment « confondre la politique et les bons sentiments, », comme on a pu le lire, que d’exiger de nos États qu’ils assument leurs responsabilités fondamentales ?

Déresponsabilisation politique

En Amérique du Nord, et le Québec sur ce point ne fait pas figure d’exception, nous regardons la crise des réfugiés comme un problème européen. Le gouvernement conservateur se targue d’avoir fait sa part en annonçant l’accueil de 10 000 réfugiés, sur une période de quatre ans. Dans les conditions actuelles, rien n’indique que ce chiffre ridicule, dont nous devrions avoir honte, sera atteint un jour et les déclarations récentes du premier ministre n’augurent rien de bon.L’État canadien se désinvestit totalement d’une responsabilité qu’il préfère laisser à des organisations au sein de la société civile, sachant fort bien que les coûts du parrainage privé des réfugiés sont exorbitants, ce qui de facto en limite le nombre. En outre, le gouvernement entend prioriser les minorités religieuses et ethniques, ce qui revient à dire que les musulmans se retrouveront de nouveau discriminés sur la base d’une corrélation méprisable entre Islam et terrorisme.

Le Canada ne cesse de renforcer les mesures sécuritaires aux dépens du devoir de protéger ces personnes chassées de leurs pays par la guerre, ce qui va à l’encontre des engagements internationaux qu’il a pris à l’égard des droits humains. A-t-on oublié que le Canada est signataire de la Convention des Nations-Unies sur le statut des réfugiés ? Est-il vraiment nécessaire de rappeler que ces engagements ne peuvent se traduire par de simples paroles en l’air ? Nous parlons ici d’une véritable obligation légale que nous contournons en toute connaissance de cause. Il ne s’agit pas seulement d’un geste de charité, contrairement à ce que nous racontent les détracteurs des « bonnes âmes humanitaires ».

Ces obligations à l’égard des droits humains doivent prévaloir sur la rhétorique militaro-sécuritaire à laquelle on a voulu nous habituer depuis au moins dix ans et qu’ânonnent en cœur et avec une verve d’une violence inouïe les démagogues. Le gouvernement veut augmenter l’implication de l’armée canadienne sur les lieux mêmes du drame, intervention dont on peut douter de la capacité à faire cesser les hostilités. En revanche, ce qui est certain est l’impact meurtrier des frappes militaires préconisées par notre gouvernement, qui auraient inévitablement des conséquences tragiques pour les populations civiles, ce qui ferait encore redoubler le nombre de réfugiés voulant quitter leur pays.

Il est tout à fait vrai que les gouvernements des royaumes pétroliers comme l’Arabie saoudite ne font absolument rien et cela est scandaleux. En ce moment, le poids de la crise est porté pour l’essentiel par des pays comme la Turquie, l’Égypte, l’Irak et surtout le Liban, lequel risque littéralement d’imploser. Toutefois, si nous pouvons continuer de blâmer l’Europe ou les monarchies pétrolières pour leur manque d’action, cela ne change rien à nos propres responsabilités. Oui, il est vrai que l’élan de compassion actuelle masque beaucoup d’hypocrisie. Est-ce une raison suffisante pour croiser les bras ? Oui, il est tout aussi vrai qu’accueillir plusieurs dizaines de milliers de réfugiés au Canada ne se fera pas sans moyens considérables. Il ne s’agit pas seulement d’offrir une voie de survie, mais de garantir une vie décente, un véritable avenir. Nous en sommes capables. Il est plus que temps que des États comme le Canada envoient des équipes dans certains points névralgiques du parcours migratoire des réfugiés, à Budapest ou encore à Athènes, pour ne citer que ces seuls exemples, ou même au Proche-Orient, afin d’assurer le passage des réfugiés au-delà de l’Atlantique. Opposer nos devoirs et les impératifs de sécurité relève de la mystification : il suffit d’une réelle volonté politique et donc d’allouer les ressources humaines, logistiques et financières qui s’imposent.

L’histoire de l’hospitalité canadienne à l’égard des réfugiés est toute récente et ponctuée de grands intervalles de paralysie. Le Canada a accueilli les réfugiés hongrois en 1956, suite à la répression de l’insurrection de Budapest par les chars soviétiques. Il a reçu beaucoup plus de réfugiés à la fin des années 70 au moment du périple des « boat people » : 70 000 Vietnamiens ont alors trouvé refuge au Canada. Plus récemment, en 1990, le Canada a accueilli 6000 réfugiés du Kosovo en l’espace de six mois. Mais le Canada n’était pas au rendez-vous lorsque, à la suite du coup d’État qui a renversé Salvador Allende en 1973, les exilés du Chili cherchaient un refuge : sans doute furent-ils perçus comme des troublions gauchistes et dès lors indésirables.

La position de fermeture du gouvernement

La crise actuelle est historique : le déplacement des populations affligées par les guerres au Proche Orient est sans précédent depuis la Seconde Guerre mondiale. Malgré tout, la majorité de ces réfugiés se trouvent massés aux frontières de leur propre pays. Ceux et celles qui demandent asile en Europe ne représentent qu’une toute petite partie des centaines et des centaines de milliers de personnes affligées par des guerres affreuses et sans pitié.

Comment expliquer cette attitude de fermeture du gouvernement ? En période d’élections, il y a fort à parier qu’il s’agit là d’un geste mûrement réfléchi. Si le gouvernement refuse d’agir, c’est qu’il estime qu’il agit conformément à la volonté de la population. Sur ce point, malgré les événements qui se multiplient ces derniers jours, malgré l’appel de nombreuses personnalités publiques, force est d’admettre que nous voyons à quel point la révolution conservatrice s’est implantée dans nos mœurs et dans notre culture politique. Ne serait-ce qu’au Québec, on ne compte plus les interventions de chroniqueurs s’attaquant à l’idée même d’une ouverture des frontières, reprenant mot à mot les paroles du gouvernement fédéral : l’accueil massif de réfugiés provenant de Syrie ou du Proche-Orient compromettrait notre économie, nos relations sociales et surtout notre sécurité. Pour ces raisons, disent-ils, l’option de l’intervention militaire doit être privilégiée. Or, les interventions des grandes puissances occidentales au cours des quinze dernières années en Afghanistan, en Irak en Libye et maintenant en Syrie n’apportent aucune solution au problème. Elles incarnent la source même du problème.

Si nous changeons de gouvernement au mois d’octobre, souhaitons sans trop d’espoir qu’il ne reprendra pas les mantras militaro-sécuritaires actuels. Voilà pourquoi il ne faut oublier que la véritable responsabilité de l’accueil des réfugiés nous incombe, au-delà des frasques électorales. Il faut des marches, des chants et des cris pour abattre les murs. Cessons ce comportement de spectateurs : envoyons un message clair à l’ensemble de la classe politique afin qu’enfin nous puissions ouvrir nos frontières à ces femmes, ces hommes et ces enfants. Sauvons-les des bombes, de la faim et de la peur. Ouvrons-leur les portes et les bras de la paix et de l’hospitalité.

Le refuge est un droit !

Un spectacle de solidarité pour l’accueil des personnes réfugiées aura lieu au Théâtre Fairmount , le vendredi 25 septembre 2015 à 19:00. Une collaboration de plusieurs organismes, dont la Table de concertation des organismes au service des personnes réfugiées et immigrantes(TCRI), Amnistie Internationale, et la Ligue des droits et libertés.

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