Édition du 23 avril 2024

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Économie

Le ruissellement voulu par Macron a été évalué : il profite bien aux plus riches

L.e troisième rapport d’évaluation de la réforme de la fiscalité du capital de 2018 n’a pas pu identifier d’effets économiques positifs, seulement une hausse gigantesque des dividendes versés aux ultra-riches. Le récit d’Emmanuel Macron s’effondre face à la réalité

14 octobre 2021 | tiré de mediapart.fr

C’est une étude qui fait dérailler le récit gouvernemental. Le troisième rapport d’évaluation de la réforme de la fiscalité du capital réalisé par France Stratégie a été publié ce 14 octobre et il tire un bilan très sévère de ces mesures. Le seul vrai effet est celui qui était attendu : l’augmentation de la fortune des plus riches. Pour le reste, l’impact sur l’investissement et l’activité, le rapport ne parvient pas à identifier des liens.

Rappelons que cette réforme de la fiscalité du capital s’appuyait sur deux mesures phares. D’une part, la suppression au 1er janvier 2018 de l’impôt de solidarité sur la fortune (ISF) et sa transformation en impôt sur la fortune immobilière (IFI), ce qui revenait à exonérer le patrimoine mobilier (actions, or, obligations, comptes divers) de cet impôt. D’autre part, la création d’un prélèvement forfaitaire unique (PFU) de 30 % sur les revenus du capital, qui fonctionnait comme une forme de « bouclier fiscal » pour ces revenus et leur donnait un avantage fiscal considérable, pour les plus riches, face aux revenus du travail.

Par ailleurs, pour bien saisir la sévérité du rapport, dont les termes restent extrêmement prudents, il faut avoir en tête la composition du comité d’évaluation. Ce dernier a été construit sur mesure pour produire une évaluation positive. Il est formé d’économistes mainstream convaincus des effets bénéfiques de cette réforme, d’élus de la majorité, de représentants du Medef, de syndicats « réformistes » (CFTC et CFDT) et de fonctionnaires de la Banque de France ou de la Direction générale du Trésor. Autant dire que si ce comité avait été capable de démontrer le moindre effet macroéconomique positif, il ne s’en serait guère privé. Mais il n’en est rien.

Dans son avis, le comité ne peut donc écrire, presque désolé, que « l’observation des grandes variables économiques – croissance, investissement, flux de placements financiers des ménages, etc. –, avant et après les réformes, ne suffit pas pour conclure sur l’effet réel de ces réformes. En particulier, il ne sera pas possible d’estimer par ce seul moyen si la suppression de l’ISF a permis une réorientation de l’épargne des contribuables concernés vers le financement des entreprises ».

L’observation des grandes variables économiques – croissance, investissement, flux de placements financiers des ménages, etc. –, avant et après les réformes, ne suffit pas pour conclure sur l’effet réel de ces réformes

Comité d’évaluation de la réforme de la fiscalité du capital, 3e rapport, octobre 2021

C’est un véritable camouflet, même si le Comité appelle évidemment à la patience et envisage un effet à long terme du « ruissellement » défendu par le gouvernement et Emmanuel Macron, qui ont toujours prétendu que la fin de l’ISF et l’instauration du PFU étaient des armes pour l’investissement et pour l’emploi.

Mais derrière la glose un peu ennuyée du comité, il y a une réalité concrète : rien n’a changé dans les comportements macroéconomiques après la réforme. Et, partant, il n’est pas possible d’attribuer à ladite réforme la paternité de la baisse du chômage ou du niveau élevé du taux d’investissement, comme le font les représentants de la majorité.

Le comité affirme d’ailleurs qu’il n’y a pas eu d’impact de la réforme sur les fameux « départs » de personnes fortunées du pays, qui étaient une des raisons avancées régulièrement pour en finir avec l’ISF. Ces « départs » avaient commencé à ralentir dès 2013 et on ne constate pas « d’inflexion particulière » dans ce mouvement. Le comité signale certes une augmentation des « retours », mais à quoi servent ces calculs ? Le seul intérêt éventuel de l’analyse de ces mouvements est de connaître l’impact de ceux-ci en termes économiques. Or on sait depuis longtemps qu’ils sont nuls et le rapport vient le confirmer.

Le résultat est le même sur le PFU qui était censé permettre de dégager des fonds pour réinvestir dans les entreprises. Le comité ne peut qu’affirmer qu’il n’existe « aucun impact sur l’investissement et les salaires des entreprises détenues davantage par les personnes physiques suite au PFU ». Par ailleurs, la hausse des dividendes, sur laquelle on reviendra, s’est accompagnée d’une hausse de l’investissement immobilier, malgré le maintien de l’IFI. Le comité indique que pour les ménages qui ont vu leurs dividendes augmenter de 100 000 à un million d’euros en moyenne en 2018, l’augmentation de l’investissement immobilier a été de 150 000 euros.

La réforme fiscale a donc favorisé, outre les consommations de luxe, l’immobilier, dont la valeur est soutenue par les banques centrales. Bref, on est très largement dans l’investissement improductif, ce qui correspond, sans surprise, à la structure du capitalisme contemporain. On s’en doutait avant la réforme, on en a confirmation.

Evolution des dividendes versés aux ménages © France Stratégie

À défaut d’un effet économique identifiable, la réforme a, en revanche, eu un effet sur le patrimoine et les revenus des plus fortunés. Et c’est même le seul effet que le comité est capable d’identifier avec certitude. Et les chiffres sont vertigineux. En 2018, les dividendes versés aux ménages résidant en France ont augmenté de 9 milliards d’euros sur un an, à 23 milliards d’euros, soit une hausse de 64 %. Et le flux s’est encore accru en 2019 de 1 milliard d’euros, avant de se stabiliser à ce niveau très élevé en 2020, en pleine crise sanitaire et alors que le gouvernement « demandait » de réduire ces versements.

Lorsque l’on dit « versés aux ménages », il faut savoir de quoi on parle : 45 % de la hausse de 9 milliards d’euros a été captée par 5 000 foyers qui ont vu leurs dividendes dépasser 100 000 euros par an, et 13 %, soit 1,2 milliard d’euros, ont été captés par 310 foyers, qui ont touché plus d’un million d’euros de dividendes par an. Il s’est ensuivi un creusement des inégalités au sein même de la classe la plus aisée, au bénéfice des 0,1 % les plus riches.

Évolution des revenus © France Stratégie

Ce qui est important, c’est que le comité, malgré certains doutes, ne peut pas dissimuler le lien de cause à effet entre l’instauration du PFU et cette hausse des dividendes versés. « Les équipes de recherche sont à même d’établir l’existence d’un effet causal de l’instauration du PFU sur le versement de dividendes aux ménages », indique le rapport, qui enfonce le clou : « Le comité considère que la majorité de cette augmentation [des dividendes] a bien été causée par l’instauration du PFU. »

Une politique de classe, en dépit des évaluations

Bref, le principal effet de la réforme de la fiscalité favorable aux riches, c’est bien que les riches sont devenus plus riches. Pas étonnant, pourrait-on dire. Et pourtant, cette évidence a été combattue et est encore combattue aujourd’hui par la majorité présidentielle.

Cette dernière s’appuie sur une étude récente de la Direction du Trésor (le « rapport économique, social et financier 2022 », que l’on trouvera ici) pour affirmer que les plus pauvres auront le plus gagné sur le quinquennat. En réalité, cette mesure ne prend pas en compte l’effet d’accumulation provoqué par la réforme du capital.

Elle estime ainsi à 1,8 milliard d’euros par an l’effet de la réforme sur les 10 % les plus riches, ce qui correspond au « manque à gagner » fiscal. Mais comme on vient de le voir, l’effet sur les revenus des plus riches est beaucoup plus vaste et pourrait être près de quatre fois supérieur à ce chiffre. D’autant que l’étude de la Direction du Trésor n’inclut pas les effets sur ces mêmes ménages de la baisse de 50 milliards d’euros des impôts sur les entreprises et de sa conséquence sur les dividendes.

On pourra donc tordre les chiffres comme on voudra : Emmanuel Macron a été et reste le président des riches. Il est celui qui a le plus protégé la croissance des revenus des ultra-riches. Et cela en dépit même de l’évidence que les effets macroéconomiques de cette politique étaient nuls.

Certes, cette conclusion avait déjà été anticipée par beaucoup, y compris dans Mediapart, dès 2017. La structure intellectuelle de la « théorie du ruissellement » est celle du capitalisme du milieu du XIXe siècle, un capitalisme centré sur les produits de luxe et sur l’investissement direct des grandes fortunes.

Elle est inopérante dans un contexte de capitalisme ultra-financiarisé et où les capitaux circulent quasi librement. Les bénéfices dégagés par ces réformes ne se sont pas retrouvés dans l’économie française parce qu’ils sont allés là où les rendements sont les plus attrayants : à l’étranger, dans l’immobilier et dans les marchés financiers. L’incompréhension de cette réalité pourtant évidente est le voile qui permet de faire accroire à la classe moyenne qu’il faut épargner les plus riches. Et c’est pourquoi ce type de rapport, comme celui du comité d’évaluation, est important : il ne peut dissimuler le désastre économique et social de cette réforme. Et sape les bases de l’imposture.

Pourtant, Emmanuel Macron reste accroché à cette idée. Voici encore deux jours, le 12 octobre, lors de la présentation du « plan France 2030 », il avait encore fait l’éloge de cette réforme comme étant la source de la fin de la désindustrialisation en France. Le 1er mai dernier, ce même président de la République avait déjà fait ce lien en prétendant qu’avec l’ISF « les patrons se seraient carapatés ». Il en avait fait cette conclusion : « Heureusement que l’on a supprimé cette aberration » et qu’on « aurait dû le faire 10 à 15 ans plus tôt ».

Les faits donnent donc désormais clairement tort à Emmanuel Macron. Un comité constitué sur mesure pour confirmer l’efficacité de la réforme en est incapable et ne sait identifier qu’un seul effet : l’enrichissement des plus riches. Tout le récit économique du gouvernement sombre alors. Mais il ne faut pas s’attendre à une remise en cause. Ce récit peut, comme le fait Bercy, s’accrocher à la dernière bouée de sauvetage du ruissellement : il faut encore attendre et, même, aller plus loin.

C’est d’ailleurs la seule concession que peut faire l’avis du comité : espérer que cela marche plus tard. Décidément, l’espoir fait vivre le capitalisme contemporain : outre l’innovation qui viendra nous sauver, il faut aussi attendre que les réformes portent leurs fruits…

En réalité, la seule vraie boussole de ce quinquennat, c’est cette réforme de la fiscalité du capital. Aucune crise, ni les « gilets jaunes », ni la crise sanitaire, n’a remis en cause la conviction profonde de l’exécutif sur ce point. En dépit de son impopularité, la fin de l’ISF est restée un point non négociable pour Emmanuel Macron. C’est donc ici qu’il faut chercher son identité politique et économique.

Au passage, on remarquera combien les « évaluations », jugées essentielles au moment de voter les réformes, relèvent de l’imposture. Lorsqu’elles ne vont pas dans le sens souhaité par le pouvoir, on se contente de les ignorer ou de demander plus de temps. Les mauvaises évaluations du Crédit d’impôt pour la compétitivité et l’emploi (CICE) ont conduit à sa pérennisation en baisses de cotisations.

Les travaux empiriques du récent « prix Nobel » David Card sur les vertus du salaire minimum sont ignorés par le pseudo-comité d’experts du Smic, comme ont été ignorées les études empiriques sur les effets de la baisse de la fiscalité du capital (notamment celle, célèbre, de Danny Yagan, publiée en 2019 dans l’American Economic Review, sur la réforme de 2003 aux États-Unis et qui prédisait les effets du PFU).

Si l’évaluation montre que des capitaux ne sont pas suffisamment injectés dans l’économie française, je proposerai de rétablir l’ISF

Marlène Schiappa en 2019

En 2019, sous la pression des gilets jaunes, le président de la République avait concédé qu’il se soumettrait à l’évaluation de la réforme de la fiscalité du capital. Laurent Saint-Martin et Benjamin Griveaux, député LREM, avaient, à l’époque, demandé de laisser passer deux ans. On y est. Marlène Schiappa va-t-elle proposer de rétablir l’ISF comme elle s’y était alors engagée ? « Si l’évaluation montre que des capitaux ne sont pas suffisamment injectés dans l’économie française, je proposerai de rétablir l’ISF », avait-elle alors affirmé.

Évidemment, on comprend la fonction de l’évaluation : c’est une façon de gagner du temps et de pérenniser des mesures qui, une fois en place, ne peuvent plus être remises en cause, car on ferait alors prendre des risques à « l’emploi ». C’est un piège politique qui s’apparente à une forme d’escroquerie. Dès 2018, chacun avait déjà les moyens de savoir que cette réforme de la fiscalité du capital était une mesure de classe et non une mesure économique. L’évaluation était donc de la poudre aux yeux et c’est ce que ce rapport confirme. Il n’aura aucun impact politique et n’en demande aucun.

Il n’empêche : dans un débat présidentiel où Emmanuel Macron va prétendre avoir pratiqué une politique redistributive et efficace, cette évaluation est un démenti cinglant. L’abnégation avec laquelle l’Élysée a nié l’histoire et les études économiques pour mener sa politique de classe avec la vieille ficelle du « ruissellement » ne fait guère du camp présidentiel celui de la « raison » comme il prétend l’être parfois.

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