Édition du 16 avril 2024

Une tribune libre pour la gauche québécoise en marche

Monde du travail et syndicalisme

Le syndicalisme de combat doit retrouver ses lettres de noblesse

Je vous parlais ces dernières semaines du rôle important joué par des syndicats français, grecs et biélorusses dans la lutte contre la guerre et le militarisme mondial. Que ce soit en refusant de charger des armes françaises à destination de l’Arabie Saoudite ou en bloquant les chemins de fer utilisés pour acheminer des convois d’armes vers le front russe ou les positions de l’OTAN en Europe de l’Est, on a là une inspirante impression de déjà-vu qui nous ramène à l’âge d’or de luttes ouvrières qui transcendent les revendications propres à leur condition.

25 avril 2022 | tiré de pivot.quebec

C’est dans cet esprit que j’ai commencé cette semaine la lecture de « Wobblies du monde entier, une histoire globale de l’Industrial Workers of the World » paru l’an dernier aux Éditions de la rue Dorion. Un ouvrage fort à propos qui rappelle que par son caractère combatif et ses élans de solidarité ouvrière internationale, le mouvement des wobblies (qui comptent aujourd’hui plus de 10 000 membres) s’est trouvé au cœur des mouvements de lutte contre le racisme, l’impérialisme, le sexisme, l’homophobie et dans la lutte climatique, par exemple. Vous ne serez donc pas surpris d’apprendre que le syndicat a été la victime d’un gigantesque effort de répression lors de l’entrée en guerre des États-Unis durant le premier conflit mondial en 1917, les puissants craignant un vaste mouvement de grèves qui perturberait l’effort de guerre industriel.

Une lecture que je vous recommande pour comprendre non seulement pourquoi le syndicalisme de combat doit retrouver son blason doré, mais aussi pourquoi ce type de lutte ne trouve pas grâce dans les hautes officines politiques progressistes au cœur de l’Empire américain en déclin.

L’Escouade de la déception et ses rendez-vous manqués

Le mouvement ouvrier a signé une importante victoire plus tôt ce mois-ci lorsque fut fondé le premier syndicat au sein d’Amazon, la multinationale assassine du commerce au détail, réputée pour imposer impunément des conditions de travail dignes d’une version moderne et soft des mines de charbon du nord de la France si magistralement illustrées dans le Germinal d’Émile Zola, ou du bagne de Cayenne décrit par Albert Londres.

Vous trouverez, bien sûr, que j’exagère, personne chez Amazon ne revient à la maison avec les poumons remplis de poussière de minerai. Non, ils reviennent plutôt avec l’âme brisée, privés de liberté dans un milieu de travail où leurs moindres gestes sont épiés par leur propre équipement qui les suit à la trace toute la journée. La rapidité avec laquelle nous recevons toutes nos cochonneries commandables en trois clics dépend d’un rythme de travail effréné imposé par des témoins sonores si la cadence ne suit pas les exigences.

Tout effort de syndicalisation était étouffé systématiquement jusqu’à ce que Goliath soit finalement terrassé par un jeune trentenaire afro-américain du nom de Chris Smalls qui, après avoir été renvoyé pour tentative de syndicalisation, est devenu le président du premier syndicat d’employé·es chez Amazon à l’entrepôt de Staten Island, dans l’État de New York.

On peut savourer l’ironie du sort alors qu’un mémo signé par David Zapolsky, principal conseiller juridique de la multinationale, s’est retrouvé sur la place publique. Que disait le texte ? Que M. Smalls, était « crétin et peu articulé » et qu’il serait ainsi gagnant d’adopter une stratégie de relations publiques faisant du militant syndical « le visage public du mouvement ». Il y a aussi quelque chose de rafraîchissant à voir le jeune homme porter le triomphe de ses camarades devant les médias depuis près d’un mois vêtu d’un vêtement de sport et d’espadrilles, le cou serti d’imposantes chaînes en or, menant courageusement une lutte désormais abandonnée par l’élite progressiste en veston-cravates et assortiments tailleur-talons aiguille.

Il faut écouter les paroles de Smalls pour s’en convaincre, lui qui a fustigé l’égérie de la pseudo-gauche américaine Alexandria Ocasio-Cortez, avec raison ! Suite à trois rencontres avec la représentante démocrate et son cabinet, elle s’est finalement désistée d’aller manifester avec le Syndicat des employés d’Amazon, citant « des problèmes de sécurité ».

Un tweet, alors ? Mme Ocasio-Cortez confond pourtant souvent l’utilisation des réseaux sociaux avec une réelle action politique.

Même pas.

Un autre rendez-vous manqué entre « l’Escouade », ce groupe de jeunes élues démocrates censées tirer le parti vers la gauche, mais multipliant les déceptions alors qu’elles se sont opposées à l’imposition d’un vote sur l’universalité des soins de santé (le Medicare for All) en pleine pandémie et avec la balance du pouvoir du Congrès entre les mains.

Une question de pragmatisme, apparemment. Pas très rafraîchissant comme discours.

Tout comme elles demeurent tièdes dans des dossiers comme la lutte aux changements climatiques, la position au sujet de la Palestine, l’obscénité du budget militaire et même le logement !

Mais ça, il y a très peu de chances que vous le lisiez sur le blogue de Richard Hétu.

Serait-ce parce qu’on aurait ordonné à l’escouade de marcher au pas ?

Suivez le fric !

L’argent mène le monde, et c’est encore plus vrai en politique, surtout américaine.

C’est là qu’on peut trouver réponse à savoir pourquoi même les plus « radicales » des élues démocrates finissent finalement par rentrer dans les rangs de gré ou, peut-être, de force – restons de bonne foi, l’establishment démocrate, comme son envers républicain, prend ses ordres de marche des mêmes cercles de pouvoir et d’influence.

Or, David Zapolsky, le génie malgré lui qui a propulsé Chris Smalls et son syndicat au firmament médiatique, est un important donateur démocrate, ayant soutenu par le passé les candidatures de Mark Kelly en Arizona et de Steve Bullock au gouvernorat du Montana. Avec d’autres dizaines de milliers de dollars en contributions personnelles au Congrès national démocrate, il s’est détroussé de 250 000 $ US au profit du « Biden Victory Fund », une initiative de financement tous azimuts pour de nombreuses organisations liées au parti.

Et qu’en est-il du Grand Calife de l’achat impulsif en ligne et dévoreur d’Humanité ? Il a cultivé au fil des ans l’image d’un oligarque non-partisan, préférant s’acheter une conscience en finançant des initiatives socialement progressistes (tout en se gardant tout de même de quoi saccager l’environnement de son cirage d’égo orbital).

Mais en politique, il y a l’argent, et aussi l’influence. Et Bezos, vous l’aurez deviné, est un anti-syndicaliste notoire, comme le sont aussi Elon Musk et Howard Schultz, PDG de Starbucks.Peut-être Bezos a-t-il pu en glisser un mot à Mme Ocasio-Cortez entre deux dirty martinis au Gala du Musée métropolitain où, semble-t-il, la sécurité n’est pas un problème.

Martin Forgues

Martin Forgues – Journaliste indépendant et auteur
L’auteur est co-parrain de la Campagne du coquelicot blanc du Collectif Échec à la guerre 2019.

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