Édition du 13 mai 2025

Une tribune libre pour la gauche québécoise en marche

Monde du travail et syndicalisme

Le travail, l’État et le changement social

Commençons, comme le dit Nicos Poulantzas, par la création et le fonctionnement de l’État moderne dans sa matérialité d’appareil. Appareil spécialisé, centralisé, de nature proprement politique, consistant en un assemblage de fonctions anonymes, impersonnelles et formellement distinctes du pouvoir économique.

Par Ivonaldo Leite
Sociologue, Université Fédérale de Paraíba, Brésil

Spécificité donc de l’État moderne qui renvoie précisément à cette séparation relative du politique et l’économique, et à toute une réorganisation de leurs espaces et champs respectifs, impliquée par la dépossession totale du travailleur direct dans les rapports de production capitalistes.

Ces rapports sont le sol d’une réorganisation prodigieuse de la division sociale du travail dont ils sont cosubstantiels, réorganisation qui marque la plus-value relative et la reproduction élargie du capital au stade du machinisme et de la grande industrie. Cette division proprement capitaliste, sous toutes ses formes, représente la condition de possibilité de l’Etat moderne.

Alors, je ne prends ici qu’un seul cas de cette division, celui de la division entre travail manuel et travail intellectuel. Comme Marx l’a bien montré, cette division ne peut absolument pas être conçue sur le mode empirique-naturaliste, comme une scission entre ceux qui travaillent avec leurs mains et ceux qui travaillent avec leur tête. Elle renvoie directement aux relations politico-idéologiques telles qu’elles existent dans des rapports de production déterminés.

C’est-à-dire, il y a une spécificité de cette division dans le capitalisme, liée à la dépossession totale du travailleur direct de ses moyens de travail. Ce qui a comme effet : a) la séparation caractéristique des éléments intellectuels d’avec le travail accompli par le travailleur direct, travail qui, dans cette distinction d’avec le travail intellectuel (le savoir) revêt ainsi la forme capitaliste de travail manuel ; b) la séparation de la science du travail manuel alors que, au « service du capital », elle tend à devenir force productive direct ; c) les relations particulières entre la science-savoir et les rapports idéologiques, voire l’idéologie dominante, non pas au sens d’un savoir plus « idéologisé » qu’autrefois, ni simplement au sens d’une utilisation politico-ideologique du savoir par le pouvoir (ce fut toujours le cas), mais au sens d’une légitimation idéologique du pouvoir instittué dans la modalité de la technique scientifique, c’est-à-dire la légitimation d’un pouvoir comme découlant d’une pratique scientifique rationnelle ; d) les rapports organiques établis désormais entre le travail intellectuel ainsi coupé du travail manuel et les rapports de domination politiques, bref entre le savoir et le pouvoir capitalistes.

Ce que Marx avait démontré à propos du despotisme d’usine et du rôle de la science dans le procès de production capitaliste, en y analysant les relations désormais organiques entre savoir et pouvoir, entre le travail intellectuel (savoir-science investi dans l’idéologie) et les rapports politiques de domination, tels qu’ils existent et se reproduisent déjà dans le procès d’extorsion de la plus-value.

Mais la connaissance scientifique dispose aussi d’un niveau d’autonomie pour révéler les contradictions de l’État et exposer les intérêts du bloc de forces au pouvoir. Dans cette optique, nous comprenons, par exemple, pourquoi l’actuel président des États-Unis déteste les scientifiques et les universités. Depuis le retour de Donald Trump au pouvoir, les chercheurs américains subissent des pressions inédites. Des agences comme la NASA et la NOAA sont touchées par des licenciements, tandis que des financements sont supprimés et des bases de données censurées. Certains termes comme « climat » ou « diversité » disparaissent des documents officiels.

Cependant, dans les temps turbulents comme ceux que le monde traverse actuellement, il est important de se rappeler que l’union entre le travail intellectuel et le travail manuel a le potentiel de générer un profond changement social, guidé par une perspective de transformation de l’appareil d’État dans une voie démocratique et émancipatoire. Ceci doit être accompagné par le déploiement de nouvelles formes de démocratie direct à la base et l’essaimage de réseaux et foyers autogestionnaires.

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