Édition du 16 avril 2024

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Histoire

Les Patriotes de 1837-1838 étaient-ils indépendantistes ?

Le mouvement souverainiste québécois s’est tant réclamé de la mémoire et de l’héritage des Patriotes, vus comme les glorieux prédécesseurs des indépendantistes modernes que la réponse peut sembler évidente de prime abord : oui. Toutefois, cette filiation qui a pris des allures d’idée reçue n’est pas si évidente qu’on le croyait durant les années 1960 et 1970. Ce « parrainage » est devenu prégnant dans la culture politique québécoise.

Mais cette filiation correspond-elle vraiment à la réalité historique ? D’importants bémols s’imposent à cet égard.

Tout d’abord, il faut rappeler un fait élémentaire : la fédération canadienne n’existait pas en 1837-1838 ; elle ne verra le jour que trente ans plus tard. Celle-ci résultait de la réunion d’anciennes colonies britanniques isolées (le Canada-Uni depuis 1841, le Nouveau-Brunswick, la Nouvelle-Écosse et l’Île-du-Prince-Édouard). Le Canada-Uni était formé des deux anciennes provinces du Bas et du Haut-canada (respectivement une partie du Québec et de l’Ontario actuels).

Donc, les insurgés du Bas et du Haut-Canada ne pouvaient pas se dresser contre un régime fédéral encore inexistant. Ils réclamaient avant tout un gouvernement responsable devant l’électorat et une autonomie plus grande par rapport à la métropole britannique, ces deux revendications étant liées dans leur esprit.

C’était vrai en particulier dans le Bas-Canada dont la majorité de la population, francophone (comme on la qualifierait aujourd’hui) en général et la classe politique plus spécifiquement ressentait un profond malaise vis-à-vis du régime colonial britannique et ce à divers degrés, allant de la simple colère à l’élan révolutionnaire, ce qui se discerne dans le ou plutôt les projets politiques proposés par les groupes de mécontents.

Par exemple, certains militants bas-canadiens envisageaient de créer une espèce de fédération en collaboration avec les réformistes de la colonie voisine du Haut-Canada, d’autres une république indépendante et d’autres encore une intégration à la république américaine ; certains jonglèrent alternativement avec toutes ces options. À cet égard, une certaine confusion régnait dans les rangs des Patriotes, sans compter la division entre modérés et radicaux. On ne s’entendait pas davantage sur le régime de la propriété à adopter dans le nouveau cadre politique souhaité : abolition totale du régime seigneurial ou assouplissement du pouvoir des seigneurs sur les censitaires ?

Il faut se rappeler aussi que la Patriotes du Bas-Canada ne possédaient pas le monopole de la lutte anti-coloniale. Bien que moins nombreux et moins influents chez eux que leurs confrères francophones de l’autre province, les révolutionnaires du Haut-Canada ont participé au combat pour l’autonomie des Canadas, comme on appelait alors les possessions britanniques nord-américaines. Ils ont eux aussi fait leur part pour la réalisation des exigences des démocrates canadiens, même si le mouvement insurrectionnel du Haut-Canada fut plus limité qu’au Bas-Canada.

La plupart des Patriotes étaient indépendantistes oui, mais par rapport à la Grande-Bretagne. Ils étaient les précurseurs du nationalisme canadien-français, lequel a pris une tournure plus conservatrice à partir de 1840 ; l’insistance de plusieurs d’entre eux à collaborer avec leurs collègues haut-canadiens préludait à la cooptation progressive des élites politiques anglophones et francophones, qui a mené à l’obtention de la responsabilité ministérielle en 1848 et finalement à la fédération de 1867. Ce n’est pas un hasard si George-Étienne Cartier a joué un rôle majeur dans les tractations qui ont mené à l’établissement du régime fédéral, lui l’ancien patriote qui avait combattu les Britanniques à Saint-Denis en octobre 1837.

Dans cette optique, on pourrait même affirmer que le nationalisme libéral pan-canadien de Pierre-Elliott Trudeau affiche bien plus de points communs avec certaines positions des Patriotes que le nationalisme indépendantiste québécois de René Lévesque.

Doit-on en conclure que les souverainistes ont eu tort de se réclamer de l’héritage des Patriotes ? S’agirait-il dans leur cas d’une forme de manipulation ou de récupération historique ?

Non. La question de l’émancipation politique des francophones était centrale dans la pensée et l’action des Patriotes, même si elle se déclinait chez eux de différentes façons, se « promenant » d’une république du Bas-Canada à une entité associée à d’autres colonies voisines sur un pied d’égalité. Une version prémonitoire de la souveraineté-association péquiste, en quelque sorte ?

Au début du dix-neuvième siècle dans le contexte colonial britannique très restrictif, le problème de l’émancipation des francophones ne pouvait qu’emprunter une voie anti-coloniale, en collaboration avec des progressistes canadiens-anglais ; l’essentiel de ce programme fut réalisé à la longue, non sans les soubresauts que l’on connaît.

Dans la seconde moitié du vingtième siècle alors que le Québec était (et est encore) inséré dans une fédération canadienne qui répond plus ou moins à ses aspirations d’autonomie accrue, le mouvement souverainiste s’est réclamé légitimement de l’héritage révolutionnaire de 1837-1838, à l’occasion de la Révolution tranquille... dont certaines suites ne furent pas si tranquilles qu’on le croit.

Pierre-Elliott Trudeau et René Lévesque ont incarné à cette époque les « têtes à Papineau » du Québec sur le plan constitutionnel, illustrant de manière éclatante notre schizophrénie nationale.

Jean-François Delisle

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