Édition du 23 avril 2024

Une tribune libre pour la gauche québécoise en marche

Planète

Les consommateurs du monde s’unissent

Récemment, nous avons pris connaissance de la nouvelle selon laquelle Amazon achète Whole Foods pour 12 milliards de dollars. Ou pour plus exactement 13,7 milliards de dollars. Nous pouvons nous renseigner à ce propos dans le Washington Post, propriété de Jeff Bezos (dont la fortune personnelle s’élève à 80 milliards de dollars ), qui est aussi le PDG d’Amazon (dont la valeur s’élève à 400 milliards de dollars ) ou nous pouvons le googler (Google vaut autour de 100 milliards de dollars, mais vaudra bientôt… un trillion de dollars ! ).

Est-ce donc là l’avenir que nous souhaitons, un monde qui passe de plus en plus entre les mains d’un nombre toujours plus petit de sociétés qui se consacrent à extraire efficacement la richesse de la majorité pour la concentrer entre leurs mains ?

Quel recours offrir à ceux qui ne sont pas d’accord avec ce résultat ? Il est manifeste qu’aux É-U, la sphère politique a été saisie par les gros sous et que les démocrates et les républicains sont comme Dupont et Dupont – les deux faces de la même médaille, partageant l’objectif de servir leurs maîtres corporatifs. Et les formations politiques tierces qui n’acceptent pas l’argent des sociétés ont été totalement incapables de gagner du terrain. Le problème ne se limite évidemment pas qu’aux É-U, le système néo-libéral a fourni les moyens aux élites mondiales pour l’extraction des richesses dans une mesure similaire au système colonial l’ayant précédé.

 Il y a quelques années, le krach boursier de 2008 a provoqué, tout au moins pendant un court moment, une vague mondiale de colère mêlée d´émotions. Aux États- Unis, elle engendra le mouvement Occupy, qui se propagea rapidement dans tout le pays. L´émergence soudaine de cette énorme potentialité toute chargée d´émotions épouvanta les élites. Occupy fut rapidement et efficacement réprimé afin d´éradiquer toute forme de métastase, dont la multiplication aurait pu mener à un état durable d´insurrection ouverte contre le pouvoir.

Étudions donc le champ de bataille, où les avenues du changement politique sont engorgées par les gros capitaux , et où l´agitation de rue est interceptée par un exercice coercitif brut du pouvoir de l´état. Quelles autres voies de passage restent encore praticables pour mener un changement révolutionnaire effectif ?

Pour contrer le pouvoir, nous devons en comprendre ses racines. Soyons franc, c’est notre propre consumérisme et rien d’autre qui nourrit le système capitaliste rapace et belliqueux et toute sa force apparemment écrasante. Ce consumérisme est un résultat prévisible du système capitaliste lui-même qui crée la demande dont il a besoin pour nourrir sa propre croissance. Chacun de nous, à l’exception de quelques privilégiés qui sont en mesure de vivre hors des réseaux, est complice de notre propre impuissance. Que nous le fassions de façon volontaire ou à contrecoeur, nous nourrissons le système avec nos dollars, mais dans les deux cas, nous le faisons tous les jours.
 
Mais nous pouvons renverser notre propre consumérisme… Et comme avec l’économie ju-jitsu, nous devons transformer notre propre faiblesse en une force pour développer une révolution tranquille, mais profonde – une révolution qui contrairement à celle de la rue, puisse se développer de façon presque invisible pour ceux au pouvoir - invisible jusqu’à ce qu’elle développe assez de pouvoir pour surmonter le contrecoup inévitable qui suivra.

Il peut paraître contre-intuitif de penser que notre façon de dépenser constitue un acte aussi révolutionnaire que l’occupation physique du bien commun. Mais une révolution économique se saisit du pouvoir directement à ses racines. La police antiémeute ne peut la prévenir ni la disperser. Elle peut utiliser son pouvoir économique nouvellement acquis pour encourager le soutien politique nécessaire à son maintien. Plus cyniquement, mais peut-être plus réalistement, elle peut acheter ses propres politiciens ou ses propres partis politiques, qui seraient autrement influencés à agir à son encontre.

Qu’est-ce que cela signifie, concrètement ? Commençons par imaginer un Silicon Valley du peuple... Un centre de pouvoir financé par le peuple qui nourrit d’alternatives coopératives chacun des centres de pouvoir de plus en plus monopolistiques - Google, Facebook, Amazon et tous les autres Titans de notre monde technologique. C’est notre consumérisme , et rien d’autre, qui leur octroie ce mandat monopolistique. De même, c’est notre consumérisme qui peut le reprendre.

Nous pouvons débuter avec une graine de financement communautaire, un fonds communautaire qui pourrait nourrir les sociétés gérées démocratiquement qui continuent de répondre aux besoins de notre réalité matérielle. Et cette graine de financement communautaire peut engendrer un cercle vertueux... dans lequel les dollars des consommateurs ne nourrissent plus les sociétés extractives et commencent plutôt à alimenter les sociétés gérées démocratiquement et les entreprises communautaires. Nous avons des exemples pratiques de la façon dont cela peut être géré, comme Mondragon en Espagne et comme tout bon révolutionnaire, nous pouvons aussi apprendre en étudiant nos opposants - en commençant par les sociétés de capital-risque de la Silicon Valley.

Ce fond peut encourager un écosystème de coopératives, toutes financées et gérées démocratiquement, qui feraient affaire entre elles. Nous pouvons faire le choix de créer un Amazon véritablement pour le peuple, un Google véritablement pour le peuple. Nul besoin de se contenter d’une économie faussement identifiée comme étant « de partage » que constitue Uber ou AirBnb, nous forçant au pacte faustien d’accepter un service utile en échange des dernières portions de nos espaces publics. Nous pouvons avoir la même chose, mais avec des versions authentiquement administrées par le peuple. Il n’est pas trop tard pour faire ce choix. En l’occurrence, il n’est pas nécessaire de faire appel à l’avant-garde révolutionnaire de Lénine qui finalement, ne fait que remplacer les anciens maîtres par de nouveaux. En tant que consommateurs votant avec nos dollars, nos euros ou toute autre monnaie, nous pouvons choisir de mettre notre flux monétaire dans ce nouvel écosystème. Des coopératives appartenant aux travailleurs, à l’échelle globale et non seulement locale, peuvent fleurir et nous serions à la fois leurs clients et leurs propriétaires. Nul besoin d’avoir des maîtres.

À quoi ressembleraient les premières étapes de cette révolution ? Une seule chose est certaine, c’est qu’il faudrait faire un effort collectif de remue-méninges et d’engagement. Peut-être que ceux qui possèdent les aptitudes techniques devraient se rassembler pour amorcer un processus de développement de solutions de rechange aux services existants. Mais ces initiatives ne peuvent se développer qu’avec l’engagement des gens à les soutenir. Certaines de ces alternatives existent déjà, mais elles mènent une lutte ardue pour obtenir une reconnaissance qui leur permettrait de croître jusqu’à une échelle où ils seraient en mesure de compétitionner avec les Titans. 

En partant du modèle de Silicon Valley, peut-être faudrait-t-il ajouter un processus pour présenter ces idées et un mécanisme pour augmenter le soutien de la communauté. Le financement communautaire peut soutenir tous les types de projets émergents, pourquoi n’aurions-nous pas un système de financement communautaire spécifiquement construit pour les coopératives qui débuteraient, à l’aide de certains paramètres d’entrée – une gestion et une propriété démocratique, la transparence et un processus décisionnel démocratique pour l’allocation des surplus ? Dans l’environnement du financement communautaire, les présentations sont faites et la foule décide. L’application d’un filtre dans le processus de financement communautaire fonctionne dans les autres contextes, pourquoi ne pas l’appliquer là où nous en avons le plus besoin ?

Mark White réside et travaille depuis plus de 25 ans aux alentours de Silicon Valley. Depuis 2008, il a évolué d’un concepteur de page Web technophile, pour devenir un citoyen profondément inquiet face à l’omnipotence apparemment incontournable de la technologie et l’avènement d’un capitalisme de surveillance par les données. Cet article souhaite inspirer tous ceux qui désirent aussi se mobiliser contre un nouvel ordre économique qui est basé largement sur le pouvoir répressif des entreprises technologiques monopolistes.

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