Édition du 1er octobre 2024

Une tribune libre pour la gauche québécoise en marche

Le mouvement des femmes dans le monde

Les femmes, les personnes racisées et les personnes précarisées cantonné·es à la reproduction sociale et aux emplois dévalorisés

Partie 3

L’accès aux emplois valorisés dans les pays du Nord est le reflet d’un système raciste et patriarcal. Les personnes racisées – mais aussi les personnes blanches issues des classes populaires, précarisées – sont bien souvent cantonnées à des métiers dévalorisés sur le plan salarial et social : nettoyage des rues, des lieux publics et privés, ramassage des ordures, vigiles, livreurs Deliveroo, ouvriers qui construisent les logements, cuisiniers [1].

Tiré de CADTM infolettre, le 2024-09-26

20 septembre par Maxime Perriot

Photo : Mathias Reding, CC, Pexels, https://www.pexels.com/fr-fr/photo/homme-personne-individu-eboueur-11077610/

Un monde fait d’inégalités

1.Des richesses toujours plus concentrées et le grand écart se creuse

2.Les femmes, les personnes racisées et les personnes précarisées cantonné·es à la reproduction sociale et aux emplois dévalorisés

3.L’accès aux emplois valorisés dans les pays du Nord est le reflet d’un système raciste et patriarcal

Les femmes racisées, dont les oppressions s’imbriquent, sont cantonnées aux activités de reproduction sociale (qui permettent la reproduction de la société) : activités de soin, nettoyage, garde d’enfants. Ces personnes sont invisibilisées. Elles n’existent pas aux yeux des personnes qui profitent de leur travail et qui, sans s’en rendre compte, dépendent d’elles. Exemple : il est rare qu’un cadre ou directeur d’une grande entreprise adresse, ne serait-ce qu’un « bonjour » à la personne qui nettoie les toilettes de son entreprise. Il ne s’adresse pas à elle car elle n’existe pas à ses yeux, car, bien souvent, les femmes qui nettoient les locaux se lèvent à 4h du matin pour nettoyer avant l’arrivée des employé·es. Pourtant, sans ces femmes, dont on ne parle pas, qu’on ne rémunère pas ou très peu, et qui n’existent pas, toutes les personnes valorisées par le système ne pourraient pas travailler dans des endroits propres, profiter de toilettes propres, faire garder leurs enfants, profiter de rues propres. Elles ne pourraient pas non plus aller au restaurant (les personnes racisées et les migrant·es sont sur-représenté·es dans les cuisines), ou se loger dans des immeubles ou lotissements neufs (les personnes racisées et les migrant·es sont également massivement employé·es en tant qu’ouvriers sur les chantiers).

Cette réalité est là car rien n’est fait par l’État – ou beaucoup trop peu – pour corriger les oppressions générées par le système capitaliste, qui utilise et use les corps des femmes, des personnes racisées et précarisées pour se maintenir. Sans opprimé·es, ce système ne tient plus. Au contraire, l’État est raciste : il concentre les personnes racisées et les migrant·es dans des banlieues faites de tours bétonnées, où la nature est presque invisible. Il valorise, à l’école, une culture bourgeoise qui va légitimer l’exclusion des personnes racisées des parcours valorisés. Par exemple, un enfant noir qui a grandi en banlieue va être scolarisé dans un établissement sans moyen. Il ne va pas parvenir à avoir des bonnes notes à l’école, du fait de ses conditions de vie, de sa culture qui n’est pas la culture dominante, de l’établissement dans lequel il est scolarisé. Il va ensuite commencer à travailler tôt en rejoignant une profession citée au-dessus. L’État crée, via l’école et les programmes scolaires, une légitimation de la place de chacun·e dans la société, qui n’est autre que la reproduction des inégalités de genre et de race, dans la majorité des cas.

Quand l’État mène des politiques de discriminations positives, comme il le fait aux États-Unis, celle-ci sont remises en cause et attaquées. Ce fut le cas en juin 2023, lorsque la Cour suprême des États-Unis a interdit la discrimination positive dans les processus de sélection pour entrer à l’université.

Même s’il entretient et légitime des oppressions de classes, de genre et de race, l’État participe parfois à les estomper, via l’application de politiques sociales, via le financement de service public ou la mise en place de politiques spécifiques.
Prenons l’exemple des inégalités de genre. Précisons à nouveau que nous utiliserons le terme « femmes » comme catégorie analytique, qui permet de montrer les grandes lignes des effets genrés de l’austérité dans un monde organisé autour de dualismes de genre. Ce terme inclut les personnes qui se reconnaissent dans cette réalité sociale et politique, ou y ont été assignées, mais peut également inclure selon le sujet, les personnes queer. Son utilisation ne se veut pas essentialiste, ni invisibilisante de la pluralité de genre, des sexualités et des oppressions qui en résultent [2].

L’État est raciste : il concentre les personnes racisées et les migrant·es dans des banlieues faites de tours bétonnées, où la nature est presque invisible. Il valorise, à l’école, une culture bourgeoise qui va légitimer l’exclusion des personnes racisées des parcours valorisés

Le système capitaliste cantonne les femmes – surtout certaines comme nous l’avons vu – dans des métiers dévalorisés par la société. Elles sont largement majoritaires dans les métiers de la reproduction sociale. Elles font le ménage, s’occupent des personnes âgées, des bébés, des enfants, des malades. Elles le font dans la sphère professionnelle – en étant sous-payées – et dans la sphère privée, gratuitement. Sans elles, les dominant·es, les gagnant·es du système capitaliste, qui occupent des postes valorisés par la société, ne pourraient pas occuper leur position. Sans les personnes qui nettoient les lieux où ils passent à 5 heures du matin, qui leur font à manger à la cantine de leur entreprise, sans leur compagne qui prend soin d’eux, fait le ménage et s’occupe des enfants – quand ce n’est pas une nounou sous-payée qui fait à manger et prend soin des enfants – ces personnes ne pourraient pas vivre comme elles le font. Les hommes (et femmes) blanc·hes en haut de l’échelle et valorisé·es par la société sont dépendant·es des femmes – particulièrement des femmes racisées – qui se trouvent de l’autre côté de l’échelle et dévalorisées.

L’État, quand il mène des politiques de gauche, quand il finance les services publics, participe à réduire légèrement cette situation intolérable. Par exemple, en finançant des métiers du soin via de l’argent public, il va mieux valoriser financièrement et socialement les activités assignées aux femmes. Elles sont majoritaires dans les secteurs de la santé, de l’enseignement etc. D’autre part, en finançant des crèches, des cantines ou autres services de soins, l’État socialise une partie du travail gratuit réalisé par les femmes (le problème, c’est que ce sont souvent des femmes racisées qui occupent ces métiers (cantine, crèches), qui restent mal payés et dévalorisés socialement).

Quand l’État social est attaqué par des politiques d’austérité, au nom du remboursement de la dette publique – ce qui se passe depuis 40 ans, et ce à quoi nous assistons à nouveau depuis la fin de la pandémie en 2022 – ces maigres outils de réduction des inégalités s’effritent toujours davantage. Les coupes budgétaires génèrent une réduction du nombre de fonctionnaires des secteurs non productifs (éducation, soins, santé), où les femmes sont majoritaires. Par exemple, les services entiers de soins aux personnes ou de crèches ferment. Ces fermetures retombent sur les femmes, qui perdent leurs emplois et compensent le retrait de l’État par leur travail gratuit (elles s’occupent des enfants, font à manger, s’occupent des personnes âgées). Ce travail gratuit les empêche d’occuper des emplois stables et à temps plein, et les rend parfois dépendantes de leur compagnon.
Par ailleurs, les politiques d’austérité menée au nom du remboursement de la dette affectent de manière spécifique et disproportionnée d’autres groupes déjà marginalisés : les personnes âgées, les personnes précarisées, les personnes LGBTQUIA+ et donc, les personnes migrant·es et non blanches.

Le tableau 3 montre bien ce qui vient d’être décrit plus haut. De manière générale, dans les pays de l’Union européenne, en 2022, plus d’hommes que de femmes occupaient un emploi. Dans les ménages qui ont un ou deux enfants de moins de 6 ans, 9 hommes sur 10 occupent un emploi, contre un peu moins de 7 femmes sur 10. Quand on passe à un ménage de 3 enfants, dont au moins l’un des enfants a moins de 6 ans, le taux d’emploi masculin baisse légèrement à 84,1%. Il chute pour les femmes et passe à 50,5%. Cela signifie qu’une femme sur deux, qui a trois enfants dont un a moins de 6 ans, ne travaillent pas, et reste au foyer pour s’occuper des enfants. Ce tableau montre très bien la prise en charge différenciée de la reproduction sociale dans les ménages qui ont des enfants.

De manière générale, les femmes occupent davantage les emplois à temps partiel que les hommes. Cette réalité s’accroît dans les ménages avec enfants. Dans les pays de l’Union européenne, un quart des femmes occupent un emploi à temps partiel contre moins d’un homme sur dix. Plus les ménages ont d’enfants, et plus ils sont nombreux et jeunes, plus l’écart dans l’occupation des postes à temps partiel se creuse. Au sein des ménages avec 3 enfants, dont un a moins de 6 ans, 4 femmes sur 10 sont à temps partiel, contre 8% des hommes. De la même manière, plus d’un tiers des femmes qui ont deux enfants – peu importe leur âge – sont à temps partiel. Dans la même situation, seul un homme sur 20 occupe un emploi à temps partiel.

Ces chiffres viennent confirmer que la reproduction sociale liée à la naissance d’un ou plusieurs enfants repose bien davantage sur la femme dans le foyer. Autrement dit, ce sont elles qui s’occupent gratuitement des enfants. Cela peut être dangereux, d’une part car cette position est moins valorisée socialement que l’occupation d’un emploi. D’autre part, car cela crée une dépendance financière envers l’homme du foyer, et donc potentiellement une vulnérabilité s’il est violent. En cas de volonté de séparation, cela va également être plus compliqué pour la femme, qui peut rester – au moins quelque temps – avec son mari par dépit car dépendante financièrement.

Si l’on se penche sur l’évolution de l’occupation genrée d’un emploi à temps partiel, sur l’ensemble des pays de l’OCDE, l’écart se réduit très légèrement. Entre 2005 et 2021, le taux d’hommes employés à temps partiel est passé de 6,8% à 8,8%. Celui des femmes employées à temps partiel de 23,4% à 22,3%. Néanmoins, cette tendance ne concerne pas tous les pays. En Grèce, au Japon, au Chili, ou en Corée du Sud, l’écart se creuse. Au Japon, 4 femmes sur 10 travaillent à temps partiel.

Les pays de l’OCDE où l’écart entre le taux de femmes employées à temps partiel et le taux d’hommes employés à temps partiel est le plus haut sont la Belgique, la Colombie, l’Italie et le Japon. À l’inverse, les pays où l’écart est le plus faible sont la Roumanie et le Chili, où il y a même davantage d’hommes qui sont employés à temps partiel que de femmes.

Malgré ces légères évolutions, l’écart global entre hommes et femmes concernant l’occupation d’emplois à temps partiel reste important. Aucun changement structurel n’a encore eu lieu sur cette question.

Ce dernier tableau (tableau 6) nous apprend également que ces inégalités de genre décrites plus haut dépendent également du niveau d’étude. Plus le niveau d’études est élevé, plus l’écart entre le taux d’hommes employés et le taux de femmes employées est faible. Pour les personnes qui n’ont pas étudié davantage que jusqu’à 18 ans, deux tiers des hommes ont un emploi contre moins de la moitié des femmes qui sont dans cette situation. Si l’on regarde le même chiffre pour les personnes qui sont passées par l’enseignement supérieur, un peu moins de 9 hommes sur 10 occupent un emploi contre un peu plus de 8 femmes sur 10.

L’ensemble de ces chiffres viennent confirmer les réalités décrites précédemment. Depuis les années 1980, au nom du remboursement de la dette – qui justifie les coupes budgétaires et les politiques d’austérité – l’État a accentué – ou, à minima, n’as pas suffisamment corrigé – les inégalités d’accès à l’emploi et la dévalorisation des activités occupées par les femmes, et spécifiquement par les femmes racisées. Il accentue également leurs heures de travail gratuit pour assurer la reproduction sociale. De plus, les mesures d’austérité provoquent la fermeture de centres d’accueil et d’autres mesures du même type, augmentant les violences sexistes et sexuelles contre les femmes.

Cette dette du soin, due par la société aux femmes pour toutes les tâches gratuites et sous-rémunérées – à laquelle on peut ajouter une dette patriarcale (pour toutes les agressions, le harcèlement subi par les femmes dans l’espace public), doit être reconnue. Ces deux types de dette impliquent des réparations.

La conjonction du capitalisme néolibéral avec des systèmes patriarcaux et racistes profite donc, de manière largement majoritaire, à une minorité d’hommes blancs. Les femmes et les personnes racisées – et donc spécifiquement les femmes racisées – et plus globalement, les populations des Suds, sont les grandes perdantes de ce système. À tel point qu’une proportion importante des populations des Suds souffre de la faim et de l’extrême pauvreté. Au regard du niveau de richesses mondiales, et des richesses naturelles dont regorgent de nombreux pays des Suds, cette situation est inacceptable.

Notes
[1] Cette partie s’appuie largement sur l’article de Camille Bruneau, Sacha Gralinger, « Mais qui dépend de qui ? In(ter) dépendances et dette patriarcale », Revue Fig, décembre 2023, https://www.cadtm.org/Mais-qui-depend-de-qui-in-ter-dependances-et-dette-patriarcale.

[2] Ces deux phrases sont tirées de Camille Bruneau, Sacha Gralinger, « Mais qui dépend de qui ? In(ter) dépendances et dette patriarcale », Revue Fig, décembre 2023, https://www.cadtm.org/Mais-qui-depend-de-qui-in-ter-dependances-et-dette-patriarcale.

Auteur.e
Maxime Perrio

*****

Abonnez-vous à notre lettre hebdomadaire - pour recevoir tous les liens permettant d’avoir accès aux articles publiés chaque semaine.

Chaque semaine, PTAG publie de nouveaux articles dans ses différentes rubriques (économie, environnement, politique, mouvements sociaux, actualités internationales ...). La lettre hebdomadaire vous fait parvenir par courriel les liens qui vous permettent d’avoir accès à ces articles.

Remplir le formulaire ci-dessous et cliquez sur ce bouton pour vous abonner à la lettre de PTAG :

Abonnez-vous à la lettre

Le programme PAFI, vous connaissez ? PAFI pour programme d’aide financière à l’investissement.

Un message, un commentaire ?

modération a priori

Ce forum est modéré a priori : votre contribution n’apparaîtra qu’après avoir été validée par les responsables.

Qui êtes-vous ?
Votre message

Pour créer des paragraphes, laissez simplement des lignes vides.

Sur le même thème : Le mouvement des femmes dans le monde

Sections

redaction @ pressegauche.org

Québec (Québec) Canada

Presse-toi à gauche ! propose à tous ceux et celles qui aspirent à voir grandir l’influence de la gauche au Québec un espace régulier d’échange et de débat, d’interprétation et de lecture de l’actualité de gauche au Québec...