Édition du 30 avril 2024

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Les hommes qui paient pour du sexe en Allemagne et ce qu’ils nous apprennent sur l’échec de la prostitution légale

Noues sommes très fières et heureuses de publier la traduction française d’une étude sur la prostitution légale publiée en novembre 2022 par Melissa Farley, Inge Kleine, Kerstin Neuhaus, Yoanna McDowell, Silas Schulz et Saskia Nitschmann : LES HOMMES QUI PAIENT POUR DU SEXE EN ALLEMAGNE ET CE QU’ILS NOUS APPRENNENT SUR L’ÉCHEC DE LA PROSTITUTION LÉGALE : Une étude sur le commerce du sexe dans six pays du point de vue des freiers, les acheteurs de sexe socialement invisibles.

Tiré de Entre les lignes et les mots
https://entreleslignesentrelesmots.wordpress.com/2023/03/26/les-hommes-qui-paient-pour-du-sexe-en-allemagne-et-ce-quils-nous-apprennent-sur-lechec-de-la-prostitution-legale/

Ce travail a été entrepris par des femmes de notre équipe traduction, que noues remercions infiniment : Amarante, Elissi, Julie et Rosenrot.

Ce document est à votre libre disposition. Utilisez-le pour porter la voix abolitionniste dans toutes les sphères de la société !

Résumé analytique

Les hommes qui paient pour du sexe en Allemagne et ce qu’ils nous apprennent sur l’échec de la prostitution légale : le bilan d’une recherche menée dans six pays sur le commerce du sexe du point de vue des « freiers », les acheteurs de sexe socialement invisibles.
Cette recherche a été réalisée dans six pays (Allemagne, Cambodge, États-Unis, Écosse, Royaume-Uni et Inde) auprès de 763 acheteurs de sexe, dont 96 en Allemagne, interrogés durant une heure et demie. Lors de ces entretiens anonymes, les acheteurs de sexe ont fourni des informations spontanées sur la prostitution et la traite qui reflètent des décennies de témoignages de personnes survivantes de la prostitution.

En utilisant les nombreuses données quantitatives et qualitatives recueillies au cours de cette recherche, nous voulons faire la lumière sur certaines questions cruciales concernant la prostitution. La prostitution légale rend-elle la prostitution plus sûre ? Est-ce que la prostitution légale réduit la violence contre les femmes en situation de prostitution ? La prostitution légale réduit-elle la traite sexuelle ? La prostitution légale réduit-elle le contrôle du crime organisé sur le commerce du sexe ? Les acheteurs de sexe sont-ils plus susceptibles de déclarer la traite d’êtres humains si la prostitution est légale ? La prostitution légale prévient-elle ou réduit-elle le nombre de viols ?

L’achat de rapports sexuels est-il associé à de la coercition sexuelle, y compris le viol ?
Oui. Les hommes de ces six pays qui ont rapporté des taux plus élevés d’achats de rapports sexuels ont également déclaré avoir commis significativement plus d’actes de coercition sexuelle, y compris des viols.

Que nous ont appris les acheteurs de sexe sur la traite, le proxénétisme et le crime organisé ?

55% des acheteurs de sexe allemands ont admis avoir vu ou payé un proxénète ou un trafiquant. Selon les acheteurs de sexe, les proxénètes en Allemagne commettent régulièrement des actes de violence qui répondent aux définitions internationales de la torture. Par exemple :
«  Il y en avait un qui a vraiment battu l’une de ses femmes. Vraiment fort. À coups de poings au visage deux ou trois fois et il l’a balancée contre le mur.  »
«  Quand les femmes ne donnaient pas assez au proxénète, elles avaient leurs ongles arrachés, ou il leur prenait leurs drogues, ou elles étaient passées à tabac. Les femmes avaient peur et ne disaient jamais rien. Elles avaient le nez en sang mais ne recevaient jamais de soins médicaux. »

Les acheteurs de sexe allemands signalent-ils la traite aux autorités ?

Très rarement. Les acheteurs de sexe allemands admettent avoir été témoins de traite sexuelle bien plus souvent que ceux d’autres pays occidentaux, mais ils signalent la traite bien moins souvent aux autorités que d’autres acheteurs de sexe. Seulement 1% des 96 acheteurs de sexe allemands ont signalé des soupçons de traite aux autorités.

Les acheteurs de sexe sont-ils conscients des dommages psychologiques causés par la prostitution ?

Oui. Les acheteurs nous ont rapporté de nombreux exemples détaillés de détresse psychologique. Observant avec justesse des symptômes de dissociation chez les femmes prostituées, les acheteurs de sexe ont dit aux enquêtrices qu’ils croyaient que la capacité à se détacher ou à s’éteindre » différencie les prostituées des autres femmes. Un acheteur explique :
« On remarque parfois qu’elles ne le font pas volontairement, elles semblent absentes ».
« Les proxénètes s’occupent du viol psychologique des femmes. »
« Peut-être qu’elles se sentent vendues et menacées. »
« Leur corps doit être mis à la disposition de tous : c’est très destructeur pour elles. »
« J’ai remarqué des bleus et de l’apathie. »
« Elle avait le corps et l’âme émaciés, elle ne pouvait plus rien ressentir. »
Comprenant que le paiement est un des moyens de contraindre les femmes à se prostituer, un acheteur explique : « L’argent exclut la possibilité que ce soit volontaire.
 »

Les acheteurs de sexe allemands (ou autres) sont-ils racistes dans leurs choix concernant les femmes prostituées qu’ils utilisent ?

Oui. La moitié des acheteurs de cette étude a sélectionné des femmes prostituées sur la base de stéréotypes raciaux ou ethniques. Une liste des préférences ethniques ou raciales des acheteurs de sexe allemands indique qu’ils choisissent les femmes en fonction de leur carnation, claire ou foncée, reconduisant une hiérarchie raciste basée sur la couleur de la peau. La même tendance raciste est manifeste aux États-Unis, au Royaume-Uni et au Cambodge.

Une préférence pour le sexe impersonnel favorise-t-elle les agressions sexuelles ?
Dans les six pays de notre étude, une large majorité des acheteurs de sexe (77%) a déclaré une préférence pour des rapports sexuels impersonnels, ce qui est un des facteurs croisés permettant de prédire les agressions sexuelles. Les acheteurs de sexe ayant signalé une préférence pour des rapports sexuels impersonnels nous ont dit qu’ils pourraient violer une femme s’ils pouvaient le faire en toute impunité, et ils ont davantage déclaré avoir déjà commis des actes de coercition sexuelle.

Le manque d’empathie des acheteurs de sexe est-il lié à la déshumanisation des femmes en situation de prostitution ?
Oui. Le manque d’empathie permet la déshumanisation de ces femmes et facilite les agressions sexuelles par des hommes. Les hommes qui achètent des rapports sexuels ont tendance à avoir peu d’empathie. Les acheteurs de sexe de notre étude ont donné de nombreux exemples de leur objectification des femmes :
« C’est comme boire un gobelet de café, une fois qu’on a fini, on le jette. »
« C’est comme de louer un organe pour 10 minutes. »

Qu’avons-nous appris des acheteurs de sexe concernant les idées reçues sur la prostitution, sur le viol, la masculinité toxique et les agressions sexuelles ?

Les idées reçues sur la prostitution sont des notions culturelles sur celle-ci qui sont fausses mais qui justifient l’achat de sexe par les hommes. Les idées reçues sur le viol sont des notions culturelles sur le viol qui sont fausses mais qui justifient le viol. Plus les acheteurs de sexe allemands adhéraient à des idées reçues sur la prostitution, plus ils étaient susceptibles d’adhérer à des idées reçues sur le viol. L’acceptation des idées reçues sur le viol est associée à l’exécution d’agressions sexuelles. Au lieu de constater que la prostitution diminue le nombre de viols, nos résultats suggèrent que le contraire est probablement vrai. Dans les six pays de notre étude, nous avons constaté que l’utilisation fréquente par des hommes de femmes prostituées était corrélée à leur probabilité de commettre un viol. Les acheteurs de sexe allemands et les hommes des cinq autres pays ayant obtenu le score le plus élevé de notre mesure d’identification à la masculinité toxique ont également déclaré une plus grande probabilité de commettre un viol.

Tous les acheteurs de sexe – et particulièrement ceux en Allemagne – adhéraient à l’idée reçue selon laquelle la prostitution permet de prévenir les viols.
Comparativement aux hommes des États-Unis, du Royaume-Uni et d’Écosse, les acheteurs de sexe allemands croyaient plus souvent que les femmes prostituées sont « inviolables » et que la prostitution permet de prévenir le viol. 39% des acheteurs allemands considéraient avoir le droit de faire tout ce qu’ils voulaient à une femme en situation de prostitution une fois qu’ils l’avaient payée.

L’usage de la pornographie a-t-elle un impact sur l’achat de rapports sexuels ou d’autres comportements sexuels agressifs ?

Oui. L’usage fréquent de pornographie contribue aux agressions sexuelles, avec d’autres facteurs. Dans les six pays de notre étude, nous avons constaté que les acheteurs de sexe qui déclarent un usage plus fréquent de la pornographie avaient aussi tendance à acheter plus souvent des rapports sexuels. Les acheteurs de sexe qui utilisent le plus la pornographie ont tendance à faire partie de ceux qui commettent le plus d’actes de coercition sexuelle, y compris des viols.

Les acheteurs de sexe sont-ils impliqués dans des activités criminelles en dehors de la prostitution ?

Oui. Les acheteurs de sexe ont tendance à se livrer à des activités criminelles qui ne sont pas liées à la prostitution. Nous avons comparé tous les crimes pour lesquels des hommes allemands et états-uniens avaient été arrêtés ou condamnés. Les acheteurs de sexe allemands avaient commis dans l’ensemble plus de crimes que les acheteurs de sexe états-uniens. Les Allemands avaient commis plus de crimes de violence contre les femmes, plus de coups et blessures sanctionnées, plus d’homicides, de vols, de cambriolages, de crimes contre la propriété, de ventes et de possession de drogues. D’autre part, les acheteurs de sexe aux États-Unis ont signalé davantage d’infractions liées aux armes, de crimes contre détenteurs de l’autorité, d’atteintes à l’ordre public et d’infractions au code de la route.

Qu’est-ce qui dissuaderait les hommes d’acheter du sexe ?

Les acheteurs de sexe des six pays ont indiqué qu’être enregistrés dans un registre des délinquants sexuels serait un moyen dissuasif très efficace. Un autre moyen de dissuasion cité est la révélation publique de leur achat de rapports sexuels. Une peine de prison serait tout aussi efficace, quelle qu’en soit la durée. Selon tous les hommes interrogés, un programme éducatif sur la prostitution était le moyen le moins efficace de les dissuader d’acheter du sexe.

Sur la base des résultats de notre recherche, nous concluons que la prostitution légale ne rend pas la prostitution plus sûre, ne diminue pas la violence faite aux femmes prostituées, ne réduit pas la traite d’êtres humains à des fins sexuelles ou la mainmise du crime organisé sur le commerce du sexe. Les acheteurs de sexe sont peu susceptibles de signaler la traite même dans un contexte de prostitution légale. La prostitution légale ne prévient pas ou ne réduit pas le nombre de viols.

Télécharger le document : freiers_etude

https://resistancelesbienne.fr/2023/03/11/les-hommes-qui-paient-pour-du-sexe-enallemagne-et-ce-quils-nous-apprennentsur-lechec-de-la-prostitution-legale/

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