Tiré du blogue de l’auteur.
John Bellamy Foster, Marx écologiste, Editions Amsterdam, 2024.
C’est une facette fort peu connue de Karl Marx que le sociologue John Bellamy Foster se propose de nous faire découvrir avec son livre « Marx écologiste » publié par les Editions Amsterdam, compilation de cinq textes pour l’essentiel écrits en 2009.
Pour certains, la cause est entendue : Marx ne s’intéressait pas à la « nature » et aux écosystèmes. Profondément anthropocentriste, technophile et productiviste, il plaidait pour que le prolétariat s’empare de l’appareil technique, productif capitaliste et s’en serve, sans le questionner, pour construire le socialisme ; d’ailleurs Staline et Mao se sont glissés dans ses pas pour faire de l’URSS et de la Chine les puissances industrielles que l’on connaît. D’autres pondèrent : faire de Marx un écologiste avant l’heure est osé, même si on peut trouver ça-et-là dans ses œuvres des réflexions qui laissent penser que l’impact du capitalisme sur la nature ne le laissèrent pas indifférent. Pour John Bellamy Foster, au contraire, « Marx était profondément conscient des risques inhérents à la dégradation écologique » et, avec Engels, il n’a jamais « cessé de penser ensemble l’histoire naturelle et l’histoire humaine », de prendre en compte « l’interaction complexe entre la société humaine et la nature ».
Marx serait donc écologiste ? Je laisse les marxistes, marxiens et autres marxologues en débattre doctement1, même si, selon Foster, « plus personne à gauche » ne soutient que Marx défendait « une conception prométhéenne du progrès » où l’homme se devait de dominer le monde et de le soumettre à sa volonté, à sa toute-puissance.
Marx a été marqué par les travaux du chimiste Charles Liebig sur l’agriculture intensive britannique. La hausse de la productivité agricole se payait d’un appauvrissement des sols, qu’il a fallu compenser par un recours massif aux engrais naturels comme le guano dont l’importation a explosé au milieu du 19e siècle, puis aux engrais chimiques comme les « superphosphates ». Pour Liebig, le capitalisme pillait et épuisait la terre de la même façon qu’il exploitait les travailleurs : « tout système d’agriculture fondé sur la spoliation de la terre, a-t-il écrit, mène à la pauvreté ». Marx parle alors de rupture métabolique pour « saisir l’aliénation matérielle des êtres humains vis-à-vis des conditions naturelles de leur existence dans le capitalisme ».
Foster soutient que dès lors Marx et Engels ont considéré que l’homme n’était pas le centre de l’univers, et que la terre devait être considérée comme la propriété perpétuelle de la collectivité, autrement dit qu’il fallait la préserver pour les générations suivantes ; plus même, Marx et Engels ont soutenu que « la nature et la société humaine ont coévolué à travers un processus complexe de dépendance mutuelle » : « Les faits, écrit Engels, nous rappellent à chaque pas que nous ne régnons nullement sur la nature comme un conquérant règne sur un peuple étranger, comme quelqu’un qui serait en dehors de la nature. »
Pour John Bellamy Foster, l’écologie marxiste a une histoire, et il est temps que l’on s’en saisisse, confrontés comme nous le sommes à l’urgence écologique planétaire. Car ce n’est pas le capitalisme vert qui nous sauvera de la dévastation.
[Version audio disponible]
1- Pour une approche moins « idolâtre », lire Michaël Löwy, Ecosocialisme. L’alternative radicale à la catastrophe écologique capitaliste, Editions Mille-et-une nuits, 2011.
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