Édition du 23 avril 2024

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Asie/Proche-Orient

Mobilisation à Hongkong : les lignes arrière à l’avant-garde

Repérages, communication, secourisme… Sept mois après le début de la mobilisation, la nature du mouvement évolue et, dans l’ombre, s’élaborent des nouvelles tactiques de défense où chacun aide à hauteur de ses moyens et de ses compétences.

Tiré de Europe solidaire sans frontière.

« Rendez-vous à Power Street. 21 h 30. » Paul a bien reçu le message. Il attend sur ce trottoir du quartier de Fortress Hill, dans le nord de Hongkong, impatient. Pour la première fois, il va rencontrer des membres de son groupe Telegram et commencer une mission de repérage pour le compte des manifestants prodémocratie.

Objectif ? Cartographier le quartier pour repérer des planques ou les issues qui permettront aux manifestants de fuir en cas d’affrontements avec la police.

Une vingtaine de personnes approchent dans la nuit jamais noire de Hongkong. « Zacharie ? » « C’est moi », dit Paul, répondant à son nom de code. Les présentations sont vite faites. Le groupe entame sa ronde.
Anonymes, ces habitants du quartier établissent des tactiques de défense. Ailleurs dans ce territoire semi-autonome au sud de la Chine, d’autres créent des affiches, lèvent des fonds, pansent les plaies ou écrivent des plaidoyers avant des procès express.

C’est une armée des ombres au nombre inconnu mais à la détermination évidente. Ils feront tout pour défendre leurs libertés.

Transclasse

« Chacun à son niveau tente d’aider le mouvement. Manifester pacifiquement dans les rues ne suffit pas, il faut s’impliquer plus », explique Paul, publicitaire dans la quarantaine qui n’a rien d’un révolutionnaire.

Il a rejoint récemment ce groupe Telegram de Fortress Hill. Puis il a fallu constituer un sous-groupe avec les « seules personnes de confiance » avant de passer à une phase plus active, en se concertant d’abord en ligne, puis, comme aujourd’hui, physiquement.

« Pour notre cellule, l’action passe par la cartographie parce que souvent les manifestannts, ou même des passants, ne savent pas comment quitter le quartier en sécurité, et à plusieurs reprises ils ont été attaqués par la police ou des Fukiénois », ce groupe d’immigrés chinois qui tient le quartier, explique Paul tout en jetant des regards autour de lui.

« Changeons de trottoir, sans nous retourner. » Des pro-Pékin du quartier, cheveux rasés, tiennent les murs et les observent avec défiance. L’un d’eux se met à les suivre.

Le groupe s’enfonce dans une ruelle sombre, vers un chantier jouxtant le front de mer. « On se mobilise justement pour protéger nos gamins [les jeunes manifestants en première ligne, ndlr] de ce genre d’intimidation », explique Nancy avec un fort accent de Boston, qu’elle a quitté récemment pour revenir vivre dans l’ex-colonie britannique.

« Ce n’est plus le Hongkong d’avant. La police, par ses violences, et le gouvernement, par son obstination à nous priver de nos libertés et de nos droits fondamentaux comme celui de manifester, poussent des gens pacifiques comme nous vers le front », dit la quadragénaire salariée d’une entreprise d’appareils médicaux. Elle ne défile pas lors des manifestations non autorisées, mais fait le guet dans la rue pour communiquer aux manifestants la position des policiers ou pour les camoufler si besoin. Des petites touches de résistance.

Combien sont-ils à avoir basculé dans l’opposition à cause du projet d’extradition vers la Chine présenté au printemps par le gouvernement local ? Qui sont-ils ?

Selon les rares sondages disponibles, la contestation est transgénérationnelle et transclasse. Il semble que les arrestations, plus de 2 500 depuis le 9 juin, jugées arbitraires, et la brutalité policière alimentent la radicalisation politique, comme en témoigne ce sondage mené mi-octobre par la Chinese University of Hongkong :

52 % des sondés imputent la violence ambiante au gouvernement, 18 % à la police et 9 % aux manifestants.

Concernant les méthodes, 52 % estiment que l’autodéfense se justifie et 59 % pensent que les actions radicales sont compréhensibles tant que le gouvernement refuse de répondre aux revendications des manifestants.
Il y a pourtant eu des cocktails Molotov, des policiers agressés, des métros vandalisés et même une bombe artisanale déclenchée le 13 octobre. Mais 51 % disent n’avoir aucune confiance en la police (contre 6 % en mai).

Nébuleuse

Voilà pour les seuls baromètres disponibles. Celui de la rue n’est pas plus probant car la police délivre au compte-gouttes les autorisations de manifester. Les rangs des manifestants se sont depuis indéniablement clairsemés, ce qui fait dire à des observateurs politiques que le mouvement se marginalise.

Une partie de la population semble toutefois continuer à le soutenir, et une frange à y participer. L’organisation, horizontale, évolue en même temps que la nature du mouvement change. Les réseaux sociaux restent le nerf de la guerre.

C’est là que Heung Shing officie, en postant des dessins de propagande prodémocratie. Ce jeune diplômé en design d’une vingtaine d’années œuvre en solo. Il n’a jamais voté de sa vie : « Je ne me souciais pas de la politique. Je pensais que je n’avais aucun espoir pour Hongkong. »

Jusqu’à ce message du 8 juin sur un forum en ligne : « C’est maintenant ou jamais. »

Un déclic. Sa bulle de confort éclate. « J’ai dessiné une affiche pour inciter les gens à manifester et j’ai mis comme ça un pied dans la contestation. Je me suis passionné pour la cause, j’ai commencé à lire la presse, à me documenter. C’est maintenant impossible de faire marche arrière, de s’arrêter en marche et d’abandonner les libertés, d’expression en particulier, qu’on a le droit de conserver », raconte le jeune homme dans un café tranquille du centre commercial de Kowloon City rempli de chalands en ce samedi de pluie. Ni lui ni personne ne s’aperçoit que deux étages plus bas, des cocktails Molotov ont éclaté. Hongkong, où vie quotidienne et violences de rue, désormais, cohabitent.

Evoquant la « culpabilité de n’avoir rien fait avant », même durant le mouvement des parapluies de 2014, pour réclamer des réformes démocratiques, Heung Shing se rattrape en postant au moins une affiche par jour sur Internet, en accès libre.

Ce fan de mangas japonais croque soir et matin des manifestants vêtus de noir, masqués et de plus en plus violents, « ceux par qui on atteindra notre but » : « L’atmosphère nous force à évoluer. J’avais peur au début, car je risque aussi d’être arrêté pour incitation aux émeutes. Mais si ceux en première ligne n’ont pas peur, moi non plus. » Et « ceux en première ligne » sont devenus ses « héros ».

D’autres se chargent de leur propre chef de tirer ses affiches et les collent. Des entreprises les impriment gratuitement ou leur font des prix.
En parallèle, des équipes de « communication » turbinent sur Telegram et les réseaux sociaux pour relayer ces tracts et traduire en plusieurs langues communiqués ou articles de presse. Parmi eux, des étudiants, mais aussi des salariés.

Selon l’actualité, ils prennent une thématique et envoient des messages pour expliquer les méthodes de la contestation. « Il faut convaincre la communauté internationale du bien-fondé de notre lutte, et expliquer certaines actions », confie JL, l’un d’eux.

Pour les manifestations à proprement parler, une nébuleuse de groupes s’active autour des contestataires.

Outre des magasins ou riverains qui laissent bouteilles d’eau et masques à disposition, des groupes sont chargés de fabriquer de bric et de broc des équipements pare-balles. Certains font des moules puis des couches de fibre de verre, « avec des ressources très limitées, beaucoup d’équipements étant bloqués à la douane », explique un bénévole. Il faut ensuite se déplacer en temps réel en fonction de l’évolution des manifestations.

Cliniques de fortune

C’est là que Robert, 27 ans, intervient, au volant de sa berline. Membre d’un groupe de chauffeurs bénévoles, il achemine du matériel ou récupère, à ses frais, à chaque manifestation entre 20 et 30 personnes qui parviennent à s’extirper des filets policiers. « Beaucoup des gamins sont très polis, ils s’excusent et me remercient avant de monter dans la voiture et de changer leurs vêtements », raconte via Telegram Robert, qui a grandi dans « la haine du Parti communiste » et avait 6 ans quand sa mère lui a expliqué Tiananmen. Il est mobilisé aujourd’hui car « la police tire sur nos gamins, les viole, les torture », mais « je suis marié et j’ai un travail, je mesure donc chaque risque et conséquence de mes actes ». Ce qui ne l’empêche pas d’être aussi un « frontliner », d’aller à la confrontation avec la police.

Quand il occupe le second rôle de chauffeur, il est mis en contact par des chatbots sur Telegram avec des manifestants qui cherchent à échapper aux arrestations. « Parfois, certains sont blessés, il faut les conduire chez des médecins, pas à l’hôpital car c’est trop risqué », dit Robert.
Il a déjà pris en charge un « gamin » touché par une balle. Des médecins assurent des « permanences » les jours de manif dans des cliniques de fortune parfois sordides, où les pinces sont désinfectées au briquet et des caisses de bandage stockées dans un appartement rempli de chats et d’encens.

Quels sont les liens entre ces cellules ? Parfois, aucun. Personne ne sait qui dirige qui.

 Parfois, des manifestants sont membres de plusieurs groupes et font la jonction.

 Parfois, des mouvements politiques, locaux notamment, servent de courroie de transmission, voire d’organisateurs. Un responsable politique, partisan de l’indépendance, explique par exemple sous couvert d’anonymat avoir créé une plateforme mettant en contact des manifestants et des avocats bénévoles pour des consultations juridiques anonymes et sécurisées en streaming, sans données enregistrées. Ce même groupe a élaboré un réseau de secouristes et de chauffeurs bénévoles.

Ces groupuscules indépendantistes gagneraient en puissance et recruteraient à tour de bras parmi les adolescents pour des actions violentes. Sur ce point-là, le responsable politique ne dit mot.

Les élections locales du 24 novembre diront qui des radicaux, des pacifistes ou des pro-Pékin constituent le gros des troupes à Hongkong.

Anne-Sophie Labadie

Journaliste à Libération (France).

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