Édition du 16 avril 2024

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Économie

Never too big to jail

Poursuivre en justice les banques, leurs dirigeants, la Banque mondiale et le FMI

(tiré de la lettre du CADTM)

Le vendredi 12 septembre s’est tenu l’atelier « Never too big to jail » dans le cadre de la 4e Université du CADTM Europe. Dans cet atelier, qui a réuni plus de cent personnes, sont intervenu-e-s : Claude Quemar (CADTM – France), Rachel Knaebel (Basta ! – France), Patrick Saurin (SUD-BPCE – France) et Emma Aviles (15MpaRato – Espagne). Celui-ci a été modéré par Renaud Vivien (CADTM – Belgique)

16 septembre par Perrine Seron

CC - Flickr

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Cet atelier a mis en lumière diverses actions juridiques intentées en réaction à des comportements délictueux, voire criminels, des banques et de grandes organisations internationales telles que la Banque mondiale (BM) et le Fonds monétaire international (FMI).

Pour le CADTM, les procès ne sont pas une fin en soi mais un moyen de provoquer le débat sur la scène publique, dans le cadre d’une stratégie plus vaste. Ainsi, l’affaire Dexia, par exemple, a été l’occasion de provoquer un débat sur les sauvetages bancaires en Belgique |1|.

Rachel Knaebel, journaliste, a participé à la rédaction de l’ouvrage « Le livre noir des banques ». Ce livre présente le résultat de plusieurs enquêtes menées par des journalistes et des économistes sur des pratiques bancaires de différentes natures, telles que la vente de produits financiers toxiques ou la manipulation des taux d’échanges bancaires.

Rachel Knaebel a présenté plusieurs exemples de ce type de pratiques. La manipulation des taux d’échanges bancaires Libor et Euribor constitue un exemple de fraude massive ayant duré plus de 5 ans et impliquant plusieurs banques. Dans ce cas, les autorités de régulation ont démontré le caractère massif de ces fraudes ayant eu un impact bien au-delà des banques.

Les pratiques frauduleuses des banques ont dans certains cas mené à des sanctions. Ces dernières années, le montant des pénalités infligées aux banques – qui sont aussi fonction de l’importance des fraudes – a explosé. Cependant, ces amendes importantes sont payées dans le cadre d’accords transactionnels qui mettent un terme aux poursuites judiciaires. Ces procédures permettent aux banques d’éviter des procès pénaux durant lesquels les mécanismes des fraudes pourraient être mis à jour et les responsables traduits en justice.

Le site Basta ! contient un tableau interactif illustrant l’implication de 14 grandes banques dans ces affaires de fraude. En ce qui concerne l’action citoyenne, Rachel Knaebel a également donné l’exemple de l’initiative citoyenne européenne contre les sociétés écrans.

Patrick Saurin a également contribué au « Livre noir des banques » et travaille notamment sur des actions en justice en lien avec des prêts toxiques alloués à des collectivités locales en France. A ce sujet, il a publié en 2013 avec le CADTM le livre « Les prêts toxiques, une affaire d’État – Comment les banques financent les collectivités locales |2| ».

En France, les prêts toxiques sont illégaux pour les collectivités locales en raison de leur caractère spéculatif. Les audits citoyens de dettes constituent une manière d’identifier ce type de prêts – qui constituent un montage dans lequel tous les risques sont supportés par les collectivités - et d’interpeller les autorités afin qu’elles engagent des actions contre les responsables. Toutefois, dans le cas où les autorités ne répondent pas à cette demande, il existe en France une disposition appelée « autorisation de plaider », outil juridique permettant aux citoyens de se substituer à leurs représentants politiques défaillants en ce qui concerne la défense de leurs intérêts.

Patrick Saurin a montré par quelques exemples concrets que l’« action citoyenne peut payer » et que le droit est l’un des outils d’action à mobiliser, comme en témoigne le procès contre François Pérol pour une prise illégale d’intérêt notamment dénoncée par l’organisation syndicale SUD BPCE.

Emma Aviles est membre de différents mouvements citoyens en Espagne et participe au Projet 15MpaRato mené par un groupe de citoyens organisés issu des mouvements sociaux nés en 2011 en Espagne |3|.15MpaRato (Disponible en version anglaise et en version espagnole) entend mettre fin à l’impunité économique et politique des responsables de la crise et nommer ces derniers par leurs noms. L’objectif premier de ce projet est de mener Rodrigo Rato à répondre de ses actes devant la justice. Ce dernier, qui a occupé des postes dans le secteur bancaire, comme ministre de l’économie en Espagne et qui a également été directeur du FMI, incarne l’impunité et la corruption dénoncées par le mouvement citoyen.

Emma Aviles a expliqué que dans ce combat, la mise au point d’une stratégie judiciaire est cruciale, tout comme la bataille médiatique pour maintenir ces questions au centre du débat public.

Dans ce processus, la collaboration citoyenne occupe une place très importante, qui passe notamment par un soutien financier, mais aussi par les fuites d’informations qui peuvent apporter les preuves nécessaires pour entamer une procédure judiciaire. À cet égard, le collectif Xnet |4| a créé une messagerie de fuites numériques, outil permettant aux citoyens de transmettre des informations dans un environnement sécurisé, inspiré de Wikileaks.

Ici aussi l’action citoyenne a mené à certaines victoires et à des progrès du point de vue judiciaire. Des phénomènes de corruption et de ventes de produits toxiques à de petits épargnants ont notamment pu être mis en évidence et des responsables politiques et du secteur bancaire mis en cause. Les nouvelles lois « muselières » en Espagne permettent toutefois aux responsables d’échapper à certaines responsabilités.

Pour plus de transparence et pour des institutions sous contrôle citoyen Emma Aviles a mis en avant la nécessité de mettre en commun les ressources, les connaissances et les pratiques. Les citoyens doivent avoir en mains les outils pour faire bouger les choses à partir de la base afin de construire un nouveau système.

Claude Quemar du CADTM France, a quant à lui abordé le cas des institutions financières internationales (IFI), en particulier la Banque mondiale.

Bien que ces institutions – véritables outils géopolitiques - aient appliqué durant des décennies des politiques anti-sociales contradictoires avec les textes internationaux, elles n’ont jamais dû rendre de compte devant la justice. Les IFI ont par exemple financé des emprunts utilisés pour la construction d’infrastructures ayant entraîné des dégâts environnementaux ou encore des déplacements forcés de populations, ce qui constitue un crime contre l’humanité en droit international. Dans ce cas, aucune impunité n’est applicable.

Le fait que ce type d’activités n’aient pas fait l’objet de procès a reposé sur les idées fausses mais communément admises que ces institutions travaillaient au service des populations et bénéficiaient d’impunité. Or, la possibilité de poursuites judiciaires est mentionnée dans les statuts de la Banque mondiale elle-même (article VII, section 3), en ce qui concerne les pays où elle dispose d’une représentation permanente |5|. Cet article a été utilisé comme argument par des chercheurs marocains de l’Université de Rabat - Driss Benatya, Mohamed Mahdi et Najib Akesbi - afin que la Banque mondiale réponde de ses actes devant la justice marocaine |6|. Dans cette situation, la BM a falsifié les données d’une étude réalisée par ces chercheurs afin de justifier ses politiques. La BM n’a pas répondu aux convocations devant la justice, jusqu’au recours à cet article issu de ses propres statuts. Ceci démontre que l’argument de l’impunité longtemps avancé ne tient pas et constitue un précédent dont peuvent se saisir les mouvements citoyens.

A la suite des présentations des intervenants, les interventions du public ont permis de soulever d’autres questions. La place de la nouvelle Banque des BRICS (Brésil, Russie, Inde, Chine, Afrique du Sud), le projet de Banque du Sud, l’importance des aspects pédagogiques des actions citoyennes, la socialisation du système bancaire et la relocalisation de la finance sont autant d’éléments abordés qui ont leur place dans le vaste débat entourant les banques et leurs pratiques.


|1| http://cadtm.org/Dexia-Democratie-confisquee,11615

|2| http://cadtm.org/Les-prets-toxiques-Une-affaire-d

|3| https://15mparato.wordpress.com/

|4| https://xnet-x.net/

|5| “La Banque ne peut être poursuivie que devant un tribunal ayant juridiction sur les territoires d’un État membre où elle possède un bureau, a désigné un agent chargé de recevoir les significations ou notifications de sommations ou a émis ou garanti des titres. Aucune action judiciaire ne pourra cependant être intentée par des États membres ou par des personnes agissant pour le compte des-dits États, ou faisant valoir des droits cédés par ceux-ci".

|6| http://cadtm.org/La-Banque-mondiale-fausse-les

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